Au fil des siècles, la culture de l’huître n’a cessé de s’améliorer, grâce au savoir-faire et au sens de l’observation de générations d’ostréiculteurs, véritables paysans de la mer. Diverses techniques ont été éprouvées au fil des temps : élevage sur table, en poches, à plat sur le sol de l’estran, ou en eau profonde.
Coquillage filtreur, microphage et omnivore, l’huître joue un rôle essentiel sur le littoral. Elle pompe l’eau de mer afin d’en capter les particules nécessaires à son alimentation et l’oxygène pour sa respiration. Elle se nourrit de microalgues, d’organismes microscopiques et aussi de débris divers : un milieu sain et équilibré lui est nécessaire.
Véritable miroir de la biodiversité, sentinelle de l’environnement littoral, l’huître reflète l’état des écosystèmes marins.
La saison de reproduction s’étend de juin à septembre. Pendant cette période, les huîtres sont « laiteuses ». Cet aspect laiteux de l’huître naturelle lui confère un goût particulier et une texture différente de celle qui est la sienne durant les autres périodes de l’année. Les consommateurs avertis privilégient ainsi les fameux mois « en r » pour leur dégustation.
Depuis toujours, l’huître naît en mer et, par une opération de captage, les ostréiculteurs récupèrent le naissain constitué de larves issues de la reproduction des huîtres adultes dans le milieu naturel, afin d’en assurer la culture.
Entre la naissance d’une huître naturelle et le moment où elle peut être consommée, il s’écoule au moins trois ans, trois années de culture et de soins apportés par les ostréiculteurs, qui lui donneront sa chair épaisse et son goût particulier en fonction du terroir.
Organisme vivant particulièrement fragile, l’huître a connu des épizooties régulières. En 1920 et 1921, l’huître plate a été décimée. En 1972 et 1973, ce fut le tour de l’huître creuse, dite « portugaise », remplacée par l’huître creuse « japonaise », la crassostrea gigas, cultivée encore aujourd’hui en France et partout dans le monde.
En termes de génétique, l’huître est naturellement diploïde : elle possède dix lots de deux chromosomes, tout comme les humains et la plupart des êtres vivants.
Depuis le début des années deux mille, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, l’IFREMER, a mis au point et développé la production d’huîtres dites « triploïdes », dans l’intention de rendre la production plus intensive. La particularité de ces huîtres tient à une modification en laboratoire de leur nombre de chromosomes, lequel est passé de dix lots de deux chromosomes à dix lots de trois chromosomes.
Pour l’IFREMER, cette innovation est passée par le rachat d’un brevet américain en 2004, le brevet Rutgers, puis par le dépôt d’un nouveau brevet en nom propre en 2008. Différentes méthodes furent alors expérimentées au fil des années, fondées sur des chocs chimiques et thermiques permettant d’obtenir une huître censée être stérile, donc non laiteuse.
Le procédé retenu par l’IFREMER depuis 2008, et qui prédomine aujourd’hui, consiste à développer des « super-géniteurs », des tétraploïdes, dotés de dix lots de quatre chromosomes, dont les services sont vendus aux écloseries, lesquelles les croisent avec des huîtres diploïdes, afin d’obtenir cette fameuse huître triploïde.
Au-delà de cette différence chromosomique par rapport aux huîtres nées en mer, les huîtres triploïdes sont donc exclusivement produites en écloserie.
D’emblée, ces innovations avaient de quoi séduire la profession. En évitant à l’huître son cycle de reproduction, on empêche sa période de laitance, pendant laquelle elle est moins attractive pour le consommateur. Cela permet de commercialiser un produit standardisé toute l’année, notamment lors de la saison touristique.
Rapidement nommée « huître des quatre saisons » pour séduire le consommateur, l’huître triploïde a envahi les étals. Les professionnels y ont vu un moyen d’augmenter leurs débouchés et de lisser les coûts par l’étalement des ventes sur l’année.
L’huître triploïde présente également l’avantage de grossir plus vite, puisqu’elle ne perd pas son énergie à se reproduire. Sa période de production est donc réduite de trois à deux ans – ce n’est pas rien ! –, ce qui la rend très concurrentielle par rapport à l’huître née en mer.
Le scénario industriel était idéal : une huître qui pousse en deux ans au lieu de trois, qui peut être consommée toute l’année... La profession, dans sa grande majorité, s’y est engouffrée. Croissance et compétitivité étaient au rendez-vous avec ce pur produit de la recherche biotechnologique et de l’innovation.
Aujourd’hui, l’heure est plutôt au désenchantement. La filière conchylicole traverse une crise majeure qui perdure depuis plusieurs années et qui menace la survie de nombreuses entreprises ostréicoles.
Depuis 2008, des surmortalités du naissain et des huîtres juvéniles affectent les stocks d’huîtres creuses de l’ensemble des bassins de production en France. Elles ont déjà provoqué une baisse de plus de 40 % du tonnage français.
Ces mortalités continuent de sévir et ne sont pas circonscrites. Cette hécatombe est largement imputable à un variant de l’herpès virus de l’huître, appelé OsHV-1, qui n’a cessé de se développer. Elle coïncide, comme le font remarquer certains scientifiques, avec l’introduction massive des triploïdes dans le milieu...
Les huîtres adultes sont elles aussi touchées par une bactérie au nom barbare – vibrio aestuarianus –, identifiée par les scientifiques. Les mortalités ont un impact sur les stocks marchands, en particulier ceux d’huîtres triploïdes. Celles-ci, extrêmement fragiles, supportent mal les opérations d’élevage ou d’expédition et sont particulièrement vulnérables aux agressions bactériennes.
Un comble : les « huîtres des quatre saisons » meurent au moment où le marché estival les attend. Le taux de mortalité est passé de 10 % au départ à 25 % en 2012, pour atteindre jusqu’à 80 % selon les bassins en 2013.