Intervention de Gilbert Barbier

Réunion du 12 mai 2015 à 14h30
Risques inhérents à l'exploitation de l'huître triploïde — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Gilbert BarbierGilbert Barbier :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sur l’initiative du groupe écologiste, nous sommes aujourd’hui amenés à débattre des risques inhérents à l’exploitation de l’huître triploïde.

Il s’agit en effet d’un problème très technique qui aurait pu à mon avis bénéficier d’une saisine de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques afin d’avoir une approche mieux renseignée sur le plan épidémiologique et scientifique. Car, pour le moment, nous ne disposons pas d’expertises suffisantes pour formuler des certitudes sur les éventuelles incidences sanitaires ou environnementales de l’huître dite « des quatre saisons ». Toutefois, puisque le débat a été inscrit à l’ordre jour, le RDSE y prend part.

L’huître triploïde est issue d’une modification visant à doter sa cellule de trois jeux de chromosomes au lieu de deux. Cette modification est obtenue par deux méthodes différentes, dont la plus utilisée est la fécondation d’un ovule à trois jeux de chromosomes. L’huître a d’ailleurs de tout temps été largement utilisée en génétique expérimentale. Il n’est dans l’esprit de personne de nier les énormes progrès de la manipulation génétique dans tous les secteurs, y compris dans le domaine humain, et des espoirs liés à ces possibilités de traitement de certaines maladies rares. L’ostréiculture a elle-même bénéficié de ces progrès en créant ces fameuses huîtres triploïdes, dont la stérilité présente un double intérêt. D’une part, cela permet de ramener leur cycle de production à deux ans au lieu de trois. D’autre part, cette huître, moins laiteuse, est commercialisable en été, et donc plus intéressante pour alimenter le marché tout au long de l’année.

Pour ces raisons, l’huître triploïde connaît un certain succès puisqu’elle représenterait actuellement entre 30 % et 40 % des huîtres consommées en France.

Toutefois, depuis quelques années, le camp des « anti-triploïde » – si l’on peut dire – s’est mobilisé, avec parfois devant ou derrière lui des ONG – organisations non gouvernementales – dont la véritable cible est encore une fois les biotechnologies et la recherche scientifique. Il est essentiel de rappeler que mêler ce problème aux OGM est un abus de langage douteux. Un OGM est l’ajout d’un élément cellulaire d’un être différent. Je suppose que les auteurs de la question respectent cette distinction capitale. Cette précision étant posée, quels sont les enjeux liés au développement de cet organisme vivant modifié ou OVM ?

Il y a tout d’abord un enjeu sanitaire. On ne peut pas ignorer cette dimension. Cependant, en 2001, l’AFSSA a conclu que « le caractère polyploïde des huîtres ne paraît pas constituer en lui-même un facteur de risque sanitaire au regard de l’existence de ce phénomène, à l’état naturel, dans les règnes animal et végétal ». J’ajouterai que l’AFSSA n’a pas rapporté d’incidents liés à la consommation d’huîtres triploïdes.

Bien sûr, ce constat ne doit pas exonérer les pouvoirs publics d’exercer toute la vigilance qui s’impose.

Le second point, qui inquiète particulièrement les ostréiculteurs traditionnels, est celui du risque de dissémination, un risque dont on a déjà parlé ici s’agissant des OGM. Si l’on peut être favorable à la production des huîtres triploïdes, on doit cependant s’assurer que celle-ci n’aboutisse pas à la disparition de l’huître naturelle. Les écloseries sont censées être très sécurisées. Le sont-elles vraiment ? En théorie oui, mais l’on peut bien évidemment avoir des exigences en matière de surveillance des installations, avec les contrôles nécessaires.

Je voulais évoquer aussi le problème de la surmortalité des coquillages constatée depuis 2008.

On le sait, cette surmortalité est liée à des virus et des bactéries bien identifiés. La question est de savoir pourquoi ces infections se sont développées. Nous n’avons pas de réponse pour l’instant.

Pour les ostréiculteurs traditionalistes, la domestication de l’espèce par la manipulation génétique est en cause. Or rien n’est prouvé à ce jour, et l’histoire de l’huître rappelle que des variétés ont déjà été décimées avant 1994, date de la mise au point par IFREMER de ces manipulations génétiques.

Dans les années 1920, l’huître plate décimée a été remplacée par l’huître portugaise. À son tour, cette espèce connaît dans les années 1970 une épizootie et est remplacée par l’huître creuse japonaise. C’est pourquoi, aujourd’hui, au regard de ces exemples, on ne peut pas établir de lien entre l’huître triploïde et la surmortalité observée ces dernières années.

Enfin, la question orale de notre collègue Joël Labbé s’attarde également sur l’étiquetage. Je partage en général le principe de transparence que l’on doit avoir à l’égard des consommateurs. Mais, s’agissant de l’huître triploïde, comme vous le savez, dans la réglementation européenne en vigueur, est proposé un étiquetage sur la base du volontariat, car il ne s’agit pas d’OGM, mais d’OVM.

Mes chers collègues, pour conclure, je rappellerai que derrière ce débat, il y a la question sous-jacente du principe de précaution. Pour le RDSE, d’une façon générale, nous ne sommes pas pour une lecture extensive de ce principe, qui aurait pour effet d’entraver la recherche et l’innovation, et donc la notion même de progrès. Comme je l’ai dit, rien n’indique aujourd’hui que l’huître triploïde est un mauvais produit. Mais que cela n’empêche pas, monsieur le secrétaire d’État, les pouvoirs publics d’assumer pleinement leurs responsabilités en mettant en œuvre les outils d’expertise, de surveillance et de contrôle qui s’imposent pour informer et éventuellement protéger consommateurs et producteurs.

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