Intervention de Annick Billon

Réunion du 12 mai 2015 à 14h30
Risques inhérents à l'exploitation de l'huître triploïde — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Annick BillonAnnick Billon :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le questionnement sur les risques inhérents à la production d’huîtres dites « triploïdes » a déjà fait l’objet d’un débat dans cet hémicycle, à l’occasion de l’examen d’un de vos amendements, cher collègue Joël Labbé.

Considérées par certains comme une avancée technique permettant la régulation de la production, ces huîtres sont aussi considérées par d’autres comme plus fragiles en raison d’une croissance rapide, facteur d’une mortalité croissante favorisant le risque de contamination et d’appauvrissement des huîtres.

Je voudrais me livrer à un petit rappel englobant les problématiques de l’ensemble de la filière ostréicole.

Répartie sur sept bassins du littoral, la production d’huîtres s’élève à environ 80 000 tonnes, engendrant un chiffre d’affaires de l’ordre de 345 millions d’euros.

La conchyliculture, à laquelle appartient la filière ostréicole, emploie 18 000 personnes, soit 6 000 équivalents temps plein, auxquels s’ajoutent près de 3 000 chefs d’exploitation et conjoints.

Ce secteur présente de fortes spécificités : forte saisonnalité, caractère à la fois maritime et agricole, importance du travail non salarié, territoires et bassins à fortes spécificités. Le département de la Vendée, dont je suis élue, représente près de 10 % de la production ostréicole. Il est caractérisé par la présence des écloseries les plus importantes du territoire national – quatre sur la dizaine d’écloseries que compte la France, dont le leader national.

La production ostréicole subit des phénomènes de mortalité depuis 2008 qui impactent fortement la production et les ressources des ostréiculteurs, inquiètent le consommateur et concourent de facto à la diminution de la demande.

Des études sur l’origine de ces phénomènes sont réalisées, particulièrement par IFREMER et des comités départementaux de suivi de l’ostréiculture, sous l’égide des directions départementales des territoires et de la mer, les DDTM, et en lien avec les organisations professionnelles, qui assurent également une veille.

Les causes apparaissent multifactorielles – virales, bactériennes, milieu aquatique, variation de la température des eaux – et ne sont pas nécessairement attestées. Les mêmes variations et incertitudes affectent les huîtres à tous les stades de leur développement, et ce quelle que soit leur provenance, captage naturel ou écloseries.

Malgré le florilège d’études et de rapports, la situation reste fragile et la profession est légitimement inquiète pour sa survie.

En effet, quel que soit le stade de production où intervient la mortalité, il engendre une perte de production, donc une perte de ressources.

Je poursuis avec les huîtres issues de milieu naturel ou d’écloseries. La production est quasi équivalente selon les origines et, actuellement, près de 80 % des producteurs font appel aux produits issus d’écloseries.

L’élevage des huîtres depuis la création du naissain jusqu’à la mise sur le marché se pratique de manière différente selon les bassins et les acteurs du métier. Certains procèdent au captage en milieu naturel puis assurent l’élevage dans le même milieu.

En revanche, il n’est pas rare, quelle que soit l’origine du captage, que le naissain soit envoyé en pré-grossissement dans un autre bassin, en France ou à l’étranger, revienne chez un autre éleveur pour atteindre la taille marchande et termine son périple dans un dernier bassin où, après trois mois d’immersion, les huîtres seront vendues sous l’appellation de ce dernier bassin ou de la marque que lui apposera le dernier éleveur.

Pour les huîtres diploïdes d’écloserie, les fonctions de reproduction sont assurées dans les écloseries, qui vendront ensuite les naissains. C’est en relation avec ce milieu que l’IFREMER travaille notamment au renforcement des capacités de résistance de sujets pour faire face aux difficultés que je viens d’évoquer. C’est pour cette raison que la filière dite traditionnelle exprime ses craintes quant à l’utilisation de produits antibactériens et au rejet d’effluents. La réglementation existante, les contrôles et les certifications devraient lever ces inquiétudes.

S’agissant des huîtres triploïdes d’écloserie, je tiens à rappeler que ces organismes vivants ne sont pas des OGM. Les craintes manifestées par la profession et reformulées par les initiateurs de notre débat, si elles sont légitimes au regard des risques supputés, ne trouvent pas à ce jour de confirmation dans les différents rapports d’étude. À la fin de l’année 2014, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, a confirmé l’innocuité de ces huîtres pour le consommateur et l’absence de risque pour l’environnement.

J’en viens à la question de l’étiquetage. En s’appuyant sur les dispositions de la loi n° 2014–344 du 17 mars 2014 relative à la consommation et sur la suggestion de certains ostréiculteurs, il a été demandé d’imposer un étiquetage différenciant les huîtres issues de captage et d’élevage naturel des huîtres issues d’écloseries, et surtout des huîtres triploïdes. Les débats ont cependant fait ressortir que, les huîtres triploïdes n’étant pas classées parmi les OGM, cette demande n’était pas recevable. Notons également que le Comité national de la conchyliculture, le CNC, n’est favorable ni à une labellisation ni à un étiquetage réglementé.

À ce jour, rien n’oblige les ostréiculteurs à indiquer l’origine, le bassin de production ou la marque de leurs produits, mais rien non plus ne leur interdit de le faire selon leur gré, sous quelques réserves. Outre que les appellations « diploïde » ou « triploïde » ne me paraissent pas incitatives à la consommation, elles imposeraient des contrôles très difficiles à définir et à appliquer. Aujourd’hui, rien ne peut garantir qu’un ostréiculteur dit traditionnel ne détient pas dans son cheptel des huîtres triploïdes, ne serait-ce qu’en quantité minime. De fait, la nature crée – en quantité infime, bien sûr – des huîtres triploïdes ; c’est sans doute une anomalie, mais sa réalité est incontestable. Dès lors, quel contrôle effectuer et quelle sanction appliquer en cas de manquement ?

Il me semble que la profession a toutes les capacités pour gérer ces problèmes de conditionnement en préservant l’intérêt du consommateur. Demeure cependant le problème des brevets d’exploitation. Le brevet, américain à l’origine, dont l’IFREMER détenait l’exclusivité d’exploitation pour l’Europe est tombé dans le domaine public le 15 janvier dernier. Par ailleurs, l’IFREMER a déposé en 2007 un nouveau brevet pour une nouvelle technique de production des géniteurs. Enfin, il a été porté à notre connaissance que l’IFREMER souhaitait cesser son activité de production de géniteurs, car sa vocation première est la recherche. Il serait donc disposé à vendre son brevet.

Cette hypothèse n’est pas sans poser des problèmes d’ordre déontologique à la profession. Il ne paraît pas souhaitable qu’un acquéreur puisse s’approprier un monopole dont les incidences pourraient peser fortement sur l’ensemble de la filière ostréicole. Un cahier des charges est à établir pour définir les conditions d’exploitation du brevet par l’entité chargée de détenir et de produire les géniteurs. Cela implique une étroite collaboration entre le ministère de l’agriculture et la profession. Certains acteurs suggèrent de s’appuyer, pour la partie réglementaire, sur les textes régissant les installations classées pour la protection de l’environnement, afin d’encadrer les risques.

Il y a tout de même un souci : c’est le temps. Un brevet est dans le domaine public ; l’autre est en vente. La filière ostréicole est fragilisée et inquiète à cause de tous les éléments que je viens d’évoquer. Monsieur le secrétaire d'État, j’aimerais connaître les dispositions que vos services ont prises ou vont prendre et savoir dans quels délais les problèmes inhérents à la détention et à la gestion des brevets pourraient être résolus. S’il faut s’en remettre à la profession pour réguler, il est important d’organiser le cadre réglementaire et les dispositions de contrôle par les instances adéquates pour sécuriser la production.

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