Intervention de Agnès Canayer

Réunion du 12 mai 2015 à 14h30
Risques inhérents à l'exploitation de l'huître triploïde — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Agnès CanayerAgnès Canayer :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en Normandie, territoire largement ouvert sur la mer avec ses 600 kilomètres de côtes, on pratique la pêche depuis toujours. Cette économie ancestrale s’est enrichie depuis un demi-siècle d’une activité ostréicole en pleine expansion.

La région, qui commercialisait en 1970 un millier de tonnes d’huîtres, soit 3 % de la production nationale, est passée dès 1976 à 10 000 tonnes. Pour la campagne 2010–2011, la production normande est estimée à 16 200 tonnes, pour un total de 84 000 tonnes produites en France. La Normandie est ainsi devenue une région leader. Sur un territoire de 1 100 hectares, l’ostréiculture emploie entre 1 500 et 2 000 personnes, selon les saisons, dans près de 250 entreprises. Ces entreprises sont souvent « mixtes », c’est-à-dire qu’elles cultivent à la fois des huîtres diploïdes, dites naturelles, et des huîtres triploïdes.

Le brassage des eaux et le renouvellement permanent du plancton apportent aux huîtres des qualités gustatives fortes. Les producteurs se sont engagés dans des démarches de qualité, sanctionnées par la dénomination générale « Huîtres de Normandie » et le label « Gourmandie ». Pour bénéficier de cette signature, les producteurs doivent respecter un cahier des charges strict, fondé sur l’origine du produit, sa qualité et sa saveur. En 2011, ils ont mis en place un organisme de défense et de gestion, première étape vers l’obtention d’une indication géographique protégée, ou IGP ; le dossier est en cours d’instruction.

Moins connues que leurs homologues de Charente-Maritime ou du bassin d’Arcachon, les huîtres normandes ont su gagner leurs lettres de noblesse, preuve de la ténacité et du savoir-faire de leurs producteurs. Certaines ont même été récompensées cette année par une médaille d’or au Salon de l’agriculture.

La question qui nous est soumise aujourd’hui s’invite dans une période troublée pour les producteurs. Je me ferai le porte-voix des conchyliculteurs normands, qui viennent de débattre de l’étiquetage. En effet, depuis un an et demi, ils font face à une surmortalité des huîtres, qu’elles soient juvéniles ou adultes. Cette surmortalité, qui est due à un virus, touche l’ensemble de la chaîne de production, fragilisant ainsi les exploitations pour plusieurs années.

En outre, – je le rappelle pour mémoire – les producteurs ne bénéficient pas de soutien financier au titre des calamités agricoles, les épizooties n’entrant pas dans le champ de la prise en charge. Ils subissent donc une perte sèche. Cette année, et pour la première fois, les producteurs d’Isigny-sur-Mer se trouvent dans une situation de très grande difficulté, malgré le soutien gouvernemental, qui s’est traduit par une remise gracieuse des redevances domaniales et un soutien du Fonds d’allégement des charges. La priorité actuelle des producteurs est de sauvegarder leurs productions et leurs exploitations et d’enrayer cette crise sanitaire, avec l’aide des services de l’État.

La question permet aussi de s’interroger sur le rôle de l’IFREMER. À la fin des années 1980, il a cherché à améliorer les souches d’huîtres françaises en créant une huître plus résistante. Il a développé et commercialisé un brevet de production d’huîtres tétraploïdes, qui permettent la production d’huîtres triploïdes. Certaines associations de conchyliculteurs, notamment normandes, s’interrogent sur la double casquette de l’IFREMER, qui est à la fois juge et partie. Il souhaiterait aujourd'hui transférer son brevet à la profession ou le rendre au domaine public. Il considère que la profession doit être elle-même organisatrice.

Enfin, concernant l’opportunité de l’étiquetage, la profession est consciente du besoin légitime de connaissance et d’information des consommateurs. Elle s’interroge depuis plusieurs années sur l’impact de l’étiquetage pour les producteurs et sur les mentions qu’il faudrait apposer sur les étiquettes. Elle s’interroge aussi sur les modalités d’établissement de l’étiquetage : par qui et comment ?

Conscients du besoin de connaissance des consommateurs, certains membres du comité régional de la conchyliculture Normandie Mer du Nord n’avaient pas hésité à proposer dès 2013 une délibération pour l’instauration d’un moratoire. Ils étaient inquiets des effets de l’élevage d’huîtres triploïdes sur le milieu naturel, tout en souhaitant maintenir un marché équilibré, où demande et offre sont ajustées. Nous constatons donc un grand esprit de responsabilité parmi les éleveurs.

À la fin du mois d’avril, la profession a pris une position, sur la base d’un questionnaire adressé à l’ensemble de ses membres. Près de 60 % des ostréiculteurs normands y ont répondu, ce qui signifie que le sujet ne laisse pas indifférent. La majorité s’est prononcée contre l’étiquetage, sans doute parce qu’elle est davantage préoccupée par les difficultés actuelles. Les éleveurs favorables à l’étiquetage regrettent cette décision mais se rangent derrière la majorité. Ils rappellent toutefois que le fait d’anticiper la mesure avant qu’elle devienne obligatoire permettrait une meilleure appréhension par la profession.

Les éleveurs sont donc particulièrement avertis sur le sujet de l’étiquetage, et ils en connaissent les enjeux. Faisons-leur confiance pour prendre les mesures nécessaires au moment idoine.

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