Intervention de François Commeinhes

Réunion du 12 mai 2015 à 14h30
Risques inhérents à l'exploitation de l'huître triploïde — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de François CommeinhesFrançois Commeinhes :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis des années, le milieu conchylicole se perd en débats sémantiques et génétiques au sujet de l’huître triploïde.

Stérile, cette huître consacre l’essentiel de son métabolisme à sa croissance et possède, de ce fait, une double qualité. Tout d’abord, – les précédents orateurs l’ont indiqué – au cours de la saison de reproduction, elle ne présente aucun aspect laiteux : elle peut donc être commercialisée plus facilement, et tout au long de l’année. Ensuite, cerise sur le gâteau, sa croissance est accrue de 30 % à 40 %.

En contrepartie, l’huître triploïde peut difficilement être considérée comme l’un des derniers produits alimentaires 100 % naturels, à l’instar de certains autres coquillages et crustacés.

Outre la loi d’orientation agricole qui, depuis 1999, confie la police du marché au Comité national de la conchyliculture, le CNC, un règlement européen adopté en 1997, sur fond de polémique relative aux organismes génétiquement modifiés, les OGM, impose aux États membres de mettre en œuvre un dispositif d’étiquetage circonstancié. S’y ajoute une directive sur les produits de la mer qui, depuis le 1er janvier 2002, renforce les obligations d’information relatives aux conditions d’élevage et de pêche.

À défaut d’être des organismes génétiquement modifiés, les huîtres triploïdes ne seraient-elles pas, au minimum, biotechnologiquement manipulées ? Si tel était le cas, ces dernières relèveraient de la réglementation relative aux nouveaux produits alimentaires, les novel foods, dont la mise sur le marché relève de procédures spécifiques.

Bruxelles a répondu à cette question par le biais d’une directive dès 2002 : « Les huîtres triploïdes peuvent se trouver à l’état naturel. Il n’y a pas de justification à des mentions obligatoires particulières. Toutefois, les producteurs, sur une base volontaire, peuvent informer les consommateurs sur leurs caractéristiques. »

La direction générale de l’alimentation du ministère français de l’agriculture n’est, elle non plus, pas favorable à l’étiquetage obligatoire.

Le débat semble porter moins sur des questions sanitaires – la triploïde est en effectivement sans danger pour le consommateur – ou environnementales – seule la tétraploïde de l’IFREMER, fertile, risque en effet éventuellement de se propager dans les parcs – que sur la transparence et l’information sur le produit commercialisé.

Pourtant, les méthodes de production de ce secteur exigent une clarification.

Afin d’éviter tout risque d’ordre pathologique, génétique ou écologique, les huîtres d’écloserie polyploïdes mises en élevage dans les bassins de production devraient être issues de techniques agréées par l’administration et ayant fait l’objet d’une validation scientifique. Les professionnels pourraient engager des démarches en ce sens auprès des services administratifs compétents.

Parallèlement, l’on pourrait envisager la mise en œuvre d’un schéma de gestion collective de la production d’huîtres polyploïdes. Ce dispositif mobiliserait l’ensemble des professionnels du secteur.

Ce schéma pourrait avantageusement se décliner en divers volets : tout d’abord, un programme pluriannuel de suivi des méthodes d’obtention des mollusques polyploïdes, notamment fondé sur l’étude de l’opportunité des brevets de l’IFREMER ; ensuite, un programme à court terme, c’est-à-dire pour les années 2017 à 2020, d’organisation des stocks en élevage d’huîtres tétraploïdes, en lien avec le CNC ; en outre, un programme détaillant les moyens d’amélioration des prescriptions techniques et les cahiers des charges permettant de développer les garanties pour la biosécurité et la biovigilance ; enfin, un programme de transfert à moyen terme à l’organisation interprofessionnelle des missions actuellement assumées par l’IFREMER pour l’hébergement, la production et la fourniture d’huîtres tétraploïdes.

J’en viens à la question spécifique de l’étiquetage.

La demande d’une plus grande transparence quant aux méthodes de production apparaît, à la réflexion, comme une fausse bonne idée. En effet, les professionnels français sont dépendants d’un double approvisionnement en naissains. Ils estiment que, s’ils n’avaient recouru qu’à un seul d’entre eux, ils auraient largement compromis les ventes d’huîtres au cours des dernières années, sauf à proposer ces produits à un prix inabordable.

En conséquence, il convient de conserver les deux systèmes, à savoir le captage naturel, lorsque ce dernier est disponible, et l’approvisionnement par écloserie.

La distinction entre diploïdes et triploïdes pour les huîtres issues d’écloseries pourrait conduire le consommateur à boycotter ces produits et, partant, condamner toute une profession.

D’ailleurs, dans le domaine agricole, de nombreux fruits et légumes – bananes, tomates, pommes de terre, etc. – sont triploïdes, et, malgré cela, aucun étiquetage spécifique n’a jamais été envisagé. Par exemple, la clémentine est une mandarine triploïde, sans pépins, donc stérile.

Pourquoi réclamer des informations de cette nature pour les huîtres alors qu’elles ne sont pas exigées dans les autres secteurs agricoles ? Procéder ainsi reviendrait, somme toute, à faire deux poids deux mesures.

Cela étant, si un étiquetage devait être décidé, je lancerais un appel à la raison. À mon sens, il faudrait, en pareil cas, ménager les intérêts de l’ensemble de la filière conchylicole en privilégiant les mentions « huîtres issues de captage naturel » pour des huîtres qui seraient nécessairement diploïdes, et « huîtres issues d’écloserie » pour des huîtres qui pourront être diploïdes ou triploïdes.

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