Intervention de André Reichardt

Réunion du 12 mai 2015 à 21h45
Débat sur les conclusions de la commission d'enquête sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en france et en europe

Photo de André ReichardtAndré Reichardt :

Si nous ne rattraperons pas le temps perdu, il importe d’envoyer un signal fort et de donner des moyens d’action importants aux différents acteurs de la lutte antiterroriste. À cet égard, je tiens à rendre un hommage tout particulier à notre collègue Nathalie Goulet, qui, dès le deuxième trimestre de 2014, a proposé au président du Sénat de l’époque la constitution d’une commission d’enquête sénatoriale. Officiellement créée au début du mois d’octobre dernier, cette commission d’enquête a présenté, à l’issue de six mois d’intense travail, 110 propositions – excusez du peu – ordonnées autour de six grands axes. Le premier de ces axes est la prévention de la radicalisation. En effet, comment éradiquer un problème sans s’interroger sur ses origines ?

Les phénomènes de radicalisation sont extrêmement multiformes : si les lieux de radicalisation sont multiples, des mosquées aux prisons, le vecteur essentiel de la radicalisation est assurément internet. De fait, les nouvelles technologies et l’offre d’informations en libre accès rendent possible un « djihad médiatique », qui joue dans la radicalisation un rôle moteur et démultiplicateur. Ces nouvelles technologies rendent la traque difficile, car, même s’il est possible juridiquement, et peut-être même techniquement, de bloquer les sites internet contraires à l’ordre public ou diffusant des propos haineux, les personnes mal intentionnées réussissent toujours à contourner les mécanismes de blocage. Il est donc fondamental que les opérateurs prennent leurs responsabilités en coopérant avec les services de renseignement. Cette préconisation sera d’autant plus efficace si elle émane directement de la société civile.

Les raisons de la radicalisation sont aussi de plusieurs ordres : certains évoquent des frustrations d’ordre social, qui nourrissent une rhétorique fondée sur l’humiliation qui serait faite aux musulmans, tandis que d’autres parlent d’individus fragiles au plan psychologique, et d’autres encore de sensibilité au contexte international – vous voyez de quoi je veux parler.

À phénomène multiforme, réponse multiforme. Aussi le rapport de la commission d’enquête comporte-t-il, en matière de prévention de la radicalisation, des propositions allant de la formation des acteurs de terrain à l’accompagnement des familles confrontées à ce phénomène ; nous préconisons, entre autres mesures, de renforcer le rôle du Centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation.

L’éducation nationale a aussi un rôle majeur à jouer : elle doit développer le regard critique porté sur les contenus d’internet, relayer des programmes de contre-discours et permettre l’enseignement du fait religieux dans un cadre scolaire, et non réservé strictement à la sphère familiale, avec bien entendu toutes les précautions d’usage dues à notre État laïque.

Il nous a semblé fondamental, avec Mme Goulet, d’aborder la question de la représentativité de la communauté musulmane en France. Nous l’avons fait en annexe du rapport, la commission d’enquête n’ayant pas voulu la reprendre à son compte. Comme l’a rappelé ma collègue, les djihadistes ne revendiquent ni des origines chrétiennes ni des origines bouddhistes, ils se réfèrent bien à l’islam, qu’on le veuille ou non. Aussi est-il essentiel de faire le lien avec cette religion, tout en étant naturellement très attentif à proscrire tout amalgame ou raccourci. Or le Conseil français du culte musulman ne semble plus remplir cette mission de représentativité. C’est pourquoi il nous paraît important qu’une réforme de l’organisation de cette instance puisse être menée, afin que l’État ait le ou les bons interlocuteurs sur ces questions.

Nous souhaiterions également l’ouverture d’un débat sur la mise en place de statistiques ethniques, qui, sans stigmatisation, permettrait d’avoir une meilleure connaissance de notre population et d’adapter, par exemple, le nombre d’aumôniers musulmans dans nos prisons. Alors, nous dit-on, que la population musulmane est la plus nombreuse en prison, elle est proportionnellement la moins bien représentée en termes d’aumônerie ! N’est-ce pas l’exemple de la nécessité de statistiques ethniques ? En tant que sénateur alsacien, je peux donner l’exemple du régime concordataire, qui favorise la bonne connaissance des communautés, qui facilite leur cohabitation et qui permet de créer un dialogue interreligieux riche. La mise en place de statistiques ethniques ne me pose donc aucun problème.

Sur le plan intérieur, les services de renseignement doivent être consolidés, en particulier au niveau territorial. Leur coordination doit être améliorée et de nouvelles compétences doivent leur être attribuées de façon à leur permettre d’accroître l’efficacité de leurs actions.

En ce qui concerne les autres propositions, comme le contrôle aux frontières ou la lutte contre le financement du terrorisme, les défis dépassent très largement notre cadre national. La stratégie doit donc être au moins européenne, notamment s’agissant du contrôle aux frontières externes de l’Europe. Il faut oser le dire : nos frontières sont actuellement des passoires et les contrôles varient d’une zone à l’autre. Il est impératif que l’ensemble des pays de l’espace Schengen soient plus rigoureux et appliquent des règles identiques à chaque frontière.

Concernant notre propre pays, avec ma collègue Nathalie Goulet, nous souhaitons la révision de la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978, dans la mesure où elle ne nous paraît plus adaptée aux nouveaux enjeux de sécurité. Pour travailler dans de bonnes conditions, les services de renseignement doivent pouvoir accéder à certains fichiers et avoir la possibilité d’opérer parfois des croisements entre fichiers et données.

Nous devons engager une véritable réflexion de fond sur notre arsenal juridique et judiciaire. Celui-ci doit être adapté et complété tout en respectant, bien sûr, le cadre de notre État de droit. En 1986, le législateur avait déjà doté la puissance publique de pouvoirs dérogatoires de droit commun en mettant en place un arsenal législatif spécifique. Même si, en trente ans, ces dispositifs ont déjà été remaniés et renforcés à plusieurs reprises, nous ressentons aujourd’hui l’urgence d’une nouvelle réflexion de fond.

Monsieur le ministre, le Gouvernement a certes déjà initié cette réflexion, mais nous devons aller plus loin d’une façon globale et plus cohérente. Le projet de loi relatif au renseignement, qui vient d’être voté à l’Assemblée nationale en première lecture et dont l’examen nous sera soumis prochainement, devrait permettre d’accroître les moyens d’investigation des agents du renseignement. Néanmoins, les dispositifs prévus dans le cadre de ce projet de loi ne seront pas suffisants, d’autres démarches et dispositifs nécessitent également d’être engagés et mis en œuvre pour conférer à cette lutte contre le terrorisme une stratégie de guerre totale, ce qui est indispensable.

Les 110 recommandations faites pas la commission d’enquête constituent assurément d’excellentes pistes d’action. Même si certains les qualifieront peut-être de catalogue à la Prévert, cette richesse de propositions permet de conférer à ce travail une cohérence horizontale nécessaire et qui fait aujourd’hui défaut. Le Gouvernement a une vraie responsabilité à cet égard. Il doit sans tarder, me semble-t-il, s’emparer de la totalité de nos recommandations et, au regard de l’unanimité que celles-ci ont recueillie au sein de la commission, veiller à leur concrétisation. Avec ma collègue Nathalie Goulet, nous souhaitons même, comme je vous l’ai dit, que d’autres mesures plus politiques et plus structurelles soient prises. En effet, nous sommes aujourd’hui au pied du mur. Nous avons trop longtemps mésestimé le problème du terrorisme islamique et celui-ci, n’en doutons pas, n’est pas prêt de disparaître. L’urgence est donc déclarée ! Nous sommes condamnés à y répondre rapidement, efficacement et dans la durée.

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