Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque les membres du groupe UDI-UC ont demandé la création de cette commission d’enquête, ils étaient alors, comme nous tous, préoccupés par la menace contre notre sécurité et nos libertés que représente l’augmentation des départs de jeunes, Français pour la plupart, qui vont combattre en Syrie ou en Irak. Nos collègues souhaitaient légitimement que les parlementaires puissent prendre toute la mesure du pernicieux malaise que traduisent ces départs, connaître précisément le fonctionnement des réseaux qui les organisent et évaluer la pertinence et l’efficacité des moyens que se donne notre pays pour s’en défendre. Belle mission !
Après les attentats du mois de janvier, les enquêtes menées par les services spécialisés dans la lutte contre le terrorisme n’ont fait que confirmer l’ampleur, la profondeur, la dangerosité surtout de ce phénomène, et par là même l’urgence à le traiter. Un certain nombre d’éléments récents ont montré que le phénomène d’attraction des réseaux terroristes islamistes sur de jeunes Français ne cessait d’augmenter. Bien que les chiffres bruts ne reflètent qu’une partie de la réalité, ce phénomène est assez précisément quantifiable. Ainsi, les services antiterroristes ont rendu public au début du mois de mai un chiffre symbolique et inquiétant : la barre des 100 morts français, partis combattre en Syrie ou en Irak, a été franchie.
De son côté, la garde des sceaux, lors d’un colloque international réunissant des magistrats et des acteurs de la lutte antiterroriste, a révélé le nombre de procédures judiciaires en cours relatives à ces filières : 125 sont actuellement ouvertes. Quelque 166 personnes ont été mises en examen dans ce cadre et 113 d’entre elles placées en détention provisoire. Rien qu’au début de l’année, 39 enquêtes préliminaires ont été ouvertes et elles ont donné lieu à 19 informations judiciaires et à 35 mises en examen.
Ces chiffres sont à mettre en relation avec les 1 462 individus qui seraient suivis par nos services de renseignement pour leur implication, à des degrés divers, dans les filières de combat de l’islam radical. Et depuis le mois de novembre 2014, on compte 200 personnes de plus, si ce dénombrement est exact !
J’évoque à nouveau ces chiffres pour montrer qu’il ne s’agit pas d’un fantasme. Ils permettent de se rendre compte de l’importance et de la rapidité de la progression du phénomène, auquel s’ajoute le fait que, sur près de 6 000 jeunes en provenance de pays européens, 47 % d’entre eux sont français.
Même si je mesure, comme d’autres, l’imperfection du rapport de la commission d’enquête et ses manques évidents que nous sommes plusieurs à avoir soulignés avant même sa publication, l’un des grands mérites de tout ce travail est sans doute d’avoir procédé à une analyse fouillée et lucide de la situation et d’avoir réussi, malgré ses limites, à établir un diagnostic du phénomène, bien que celui-ci soit difficile à percevoir et surtout à expliquer. Il est en effet très compliqué de cerner le profil et de comprendre les motivations des personnes attirées par ce type d’idéologie dangereuse.
Il est en tout cas des idées reçues à bannir, car les chiffres donnés par la cellule antiradicalisation du ministère de l’intérieur ou le centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam montrent que les profils sont variés et complexes et que la figure du jeune de cité relève trop souvent du cliché. C’est bien pourquoi il aurait fallu aller dans les quartiers dits « populaires ». On trouve à présent des personnes de tous âges, des hommes et des femmes – 25% sont mineurs, 35 % sont des femmes, chiffre inquiétant – de diverses origines géographiques, sociales, religieuses – 40% des djihadistes français seraient des néophytes et des convertis.
Se pose néanmoins la question du malaise que révèle ce phénomène, des causes de ce malaise et des réponses à lui apporter. C’est peut-être là l’une des faiblesses d’analyse du rapport. Reste que notre groupe s’est prononcé en sa faveur – un choix réfléchi –, car nous partageons à la fois le constat, l’essentiel de l’analyse et la plupart des propositions qui ont été faites, que celles-ci portent sur la prévention de la radicalisation, notamment à travers internet, sur la lutte contre ce que l’on pourrait appeler « le djihad médiatique », le renforcement en moyens humains et matériels des services antiterroristes ou bien encore sur la nécessaire adaptation des réponses pénale et carcérale. En revanche, nous sommes plus réservés vis-à-vis des solutions proposées concernant le contrôle des frontières.
Parmi les 110 propositions, plusieurs ont déjà été adoptées ou sont en voie de l’être, à la suite du renforcement des moyens antiterroristes annoncé par le Gouvernement après les attentats de janvier et dans le cadre du projet de loi relatif au renseignement, que nous examinerons dans peu de temps. L’intérêt de notre débat de ce soir sur les conclusions du rapport de la commission d’enquête est donc aussi de les resituer dans l’actualité et de les mettre en perspective avec notre actualité législative. Ainsi, l’une des questions auxquelles le projet de loi relatif au renseignement prétend répondre est de savoir comment mettre des terroristes potentiels hors d’état de nuire alors que nous savons désormais qu’ils vivent parmi nous, au sein même de notre société. De ce point de vue, nous pouvons mesurer combien le traitement étroitement sécuritaire de la question djihadiste montre ses limites. Par exemple, le travail de déradicalisation en amont et en aval des départs, qui suppose selon nous une approche interministérielle, reste embryonnaire. Or sans une véritable politique de prévention, les services ne peuvent intervenir que quand le mal est déjà fait. Ce volet préventif est le grand absent des politiques menées par le Gouvernement pour protéger notre société contre le fléau qu’est le terrorisme inspiré par l’islamisme radical.
Telles sont les quelques observations sur les conclusions de cette commission d’enquête dont je souhaitais vous faire part au nom du groupe CRC.
En conclusion, permettez-moi de saluer Mme la présidente de la commission d’enquête, M. le coprésident, Mmes, MM. les vice-présidents, M. le rapporteur, ainsi que l’ensemble de nos collègues qui, dans le respect des choix politiques des uns et des autres, ont participé aux travaux de la commission d’enquête et permis l’élaboration de ce rapport et donc des 110 propositions qu’il contient.