Intervention de Philippe Esnol

Réunion du 12 mai 2015 à 21h45
Débat sur les conclusions de la commission d'enquête sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en france et en europe

Photo de Philippe EsnolPhilippe Esnol :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, dont nous débattons des conclusions ce soir, s’était donné pour objectif de comprendre ce qui poussait un nombre croissant de nos compatriotes à rejoindre les groupes armés islamiques dans les zones de combat irako-syriennes. Ses travaux ont consisté à analyser l’efficacité des mesures prises par les pouvoirs publics afin d’endiguer cet afflux de départs d’une ampleur inédite. Il faut en effet rappeler que ce sont près de 1 500 ressortissants français qui sont concernés par ce phénomène, classant, hélas ! la France en tête des pays européens « pourvoyeurs » de combattants étrangers.

Si l’évolution de la menace terroriste et les attentats meurtriers qui nous ont frappés ont, depuis lors, confirmé la pertinence de la création d’une telle commission d’enquête, ils ont aussi contribué à ce qu’une partie de nos préconisations soient à ce jour déjà mises en œuvre ou en passe de l’être. Pour ne prendre que deux exemples de nature législative, la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme a permis, entre autres mesures, la mise en place d’interdictions administratives de sortie du territoire ou d’entrée sur le territoire. Le projet de loi relatif au renseignement, qui nous sera bientôt soumis, permettra, quant à lui, de résoudre les dysfonctionnements constatés et donnera aux services des moyens légaux pour travailler.

Aussi, s’agissant de nos recommandations, vous pouvez avoir l’impression, mes chers collègues, que l’on vous sert un peu du « réchauffé ». Cependant, il faut rendre justice à la commission en soulignant son travail sérieux et en indiquant qu’elle a, en l’espace de quelques mois seulement, abouti à la formulation de pas moins de 110 propositions. Celles-ci concernent des champs très divers – le milieu carcéral, la propagande sur internet, le financement du terrorisme… – et alimentent donc une stratégie globale qui s’étend de la prévention à la répression. Jugées par certains trop techniques, ces propositions ont néanmoins le mérite de constituer des pistes d’amélioration opérationnelles pour combler les lacunes du dispositif de lutte contre le terrorisme d’inspiration djihadiste dont notre pays s’est doté.

Enfin, je tenais encore à nous féliciter de la bonne intelligence dans laquelle nous avons travaillé et qui a conduit à l’adoption de ce rapport à l’unanimité.

Je souhaiterais revenir à présent sur les aspects qui m’apparaissent prioritaires et sur lesquels les recommandations de la commission me semblent de nature à permettre des avancées concrètes. En effet, ce qui fait l’intérêt de ce rapport, me semble-t-il, c’est l’importance accordée au volet « prévention, détection, déradicalisation ». Sur ce point, notre pays a, par rapport à ses voisins européens, un peu de retard à rattraper. Une chose est pour moi certaine : seule la mobilisation de toutes les composantes de la société permettra d’y parvenir.

L’une des urgences, pour prévenir les départs de candidats au djihad, c’est d’abord d’aider et d’orienter les familles qui y sont confrontées. Ces dernières étaient, jusqu’à la mise en service du numéro vert, privées d’interlocuteurs compétents lorsqu’elles constataient la radicalisation d’un proche. Cette plateforme téléphonique, gérée par le Centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation, n’a rien d’anecdotique dans la mesure où tout signalement permet ensuite le déclenchement d’un dispositif de suivi individualisé. La commission a estimé que la gravité de la situation exigeait que ce numéro vert fonctionne dorénavant 24 heures sur 24, tant il constitue une porte d’entrée pour pouvoir, à temps, stopper le processus de radicalisation.

De la même façon, la commission a proposé, à destination des acteurs de terrain, particulièrement des acteurs éducatifs et des personnels chargés de missions d’accompagnement social, la mise en place d’actions obligatoires de formation à la détection de la radicalisation. La méconnaissance de l’islam est telle qu’il nous est apparu indispensable de former ces agents afin qu’ils soient en mesure de différencier ce qui relève de la pratique de cette religion d’un embrigadement par un réseau djihadiste. C’est tout à fait primordial en ce que cela permet de contrer plus facilement la « contamination des esprits » que nous observons aujourd’hui.

Bien sûr, l’école a là un rôle crucial à jouer. Elle doit renouer avec son ambition de former des citoyens et se faire un devoir de développer leur sens critique, base de la rationalité. Une formation à la réception des contenus diffusés sur internet ainsi qu’un enseignement laïque du fait religieux ont été proposés. Ce dernier me semble opportun pour que la religion ne soit plus uniquement abordée dans la sphère privée, au risque d’être laissée dans les seules mains de ceux qui en ont une lecture radicale.

En outre, j’en suis convaincu, il faut sans cesse promouvoir la laïcité en martelant qu’elle est tout sauf une atteinte envers les croyants. C’est au contraire un synonyme de liberté et un indispensable outil du vivre ensemble dans une société multiconfessionnelle, en deux mots un « bien commun » qu’il nous faut à tout prix préserver. Ceux qui se sont attachés à la faire prévaloir ces dernières années, témoins de la montée de la pression communautaire, ont été parfois bien seuls et, pis, injustement accusés de racisme ou d’islamophobie. J’en sais quelque chose pour avoir, lorsque j’étais maire de Conflans-Sainte-Honorine, apporté mon soutien à la crèche Baby Loup, en proposant de l’accueillir sur la commune pour mettre le personnel à l’abri des menaces quotidiennes qu’il subissait à la suite de la saga judiciaire déclenchée par le licenciement d’une salariée voilée.

Si cette thématique ne constitue par le cœur du rapport, je la relie pourtant directement en ce qu’elle est emblématique des « batailles » que notre société doit désormais impérativement gagner. Il y va de même s’agissant du délitement du sentiment d’appartenance républicaine, sur lequel notre collègue et président Gérard Larcher a travaillé.

À cet égard, nous ne pouvons plus ignorer qu’une partie de notre jeunesse rejette le modèle de société que nous avons à lui proposer. Je fais référence ici non pas uniquement à ceux qui sont prêts à partir pour la Syrie, mais plus largement à tous ceux qui, en janvier dernier, ne se sont pas « sentis Charlie ». En effet, la République ne peut plus se contenter d’être une agglomération d’individus, un simple corpus de règles juridiques leur permettant de coexister, sans partager aucun autre projet, aucune finalité. Pourtant, ce projet n’est pas à inventer. Il peut, selon moi, se résumer par « Liberté, Égalité, Fraternité ». Nous devons aujourd’hui trouver les moyens de le faire vivre et de l’inscrire dans les esprits et les cœurs desquels il se serait effacé.

Vous l’aurez compris, ce que je propose, c’est finalement « d’actionner toutes les manettes ». Il faut agir sur tous les plans : améliorer la coordination des services antiterroristes et renforcer leurs prérogatives, s’allier aux opérateurs d’internet pour contrer le « djihad médiatique », tarir les sources de financement du terrorisme et travailler sans relâche à une coopération internationale forte et resserrée. Toutefois, j’en suis persuadé, toutes ces mesures resteront vaines si nous ne faisons pas le travail de fond qui consiste à « réhabiliter la nation française », c’est-à-dire, pour reprendre les mots d’Ernest Renan qu’il a si justement exprimés, « le consentement, ce désir clairement exprimé de continuer la vie commune ».

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