Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 12 mai 2015 à 21h45
Débat sur les conclusions de la commission d'enquête sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en france et en europe

Bernard Cazeneuve :

C’est la raison pour laquelle nous avons proposé cette disposition.

Pour ma part, je n’ai pas de suspicion à l’égard d’internet, mais je considère que cet espace doit être soumis, à l’instar de tous les espaces où s’exprime la parole publique, à une exigence républicaine en termes de régulation et de respect du droit. Car nous ne combattrons pas le terrorisme si nous ne sommes pas déterminés à faire respecter, à tout prix, le droit.

Nous avons décidé, dans le même esprit, d’interdire à ceux dont nous savons qu’ils vont s’engager dans des opérations terroristes de sortir du territoire. Que n’ai-je entendu à la suite de cette décision !

Certains disaient qu’il fallait les laisser partir, car, dès lors qu’ils seraient parvenus sur le théâtre des opérations terroristes, ils perdraient la vie. Beau discours de la part d’un pays qui a aboli la peine de mort ! Ces paroles étaient non seulement contraires à toutes nos traditions, mais tout à fait stupides au regard du résultat à atteindre.

En effet, les hommes de nationalité française partis sur le théâtre d’opérations terroristes reviendront nécessairement sur le territoire national, dans la mesure où les règles du droit international nous imposent de les recevoir sur notre sol dès lors qu’ils y reviennent.

Or, s’ils sont de retour d’un théâtre d’opérations où l’on décapite, où l’on crucifie, où l’on exécute, où l’on martyrise des hommes et des femmes en raison de leur religion et de leur liberté de penser, de quelles violences seront-ils désormais capables ? C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place l’interdiction administrative de sortie du territoire. Ce sont 60 départs qui ont ainsi été empêchés depuis la publication de ces textes réglementaires, et 50 autres dossiers sont en cours d’instruction.

Par ailleurs, l’interdiction de retour sur le territoire français s’applique à tous ceux qui, ayant résidé en France mais n’étant pas de nationalité française, ont commis des actes criminels sur le théâtre des opérations terroristes et prétendent revenir sur le territoire national. Ceux-là n’ont pas leur place en France ! Nous avons mis en place cette mesure parce que, là encore, le droit doit passer.

En outre, nous avons créé l’incrimination pénale d’entreprise terroriste individuelle et donné de nouveaux pouvoirs à nos services, afin qu’ils puissent intervenir sur internet, procéder à distance à des perquisitions sur le cloud et, ainsi, prévenir la commission d’actes terroristes.

Nous venons également de présenter aux commissions des lois et des affaires étrangères du Sénat un projet de loi relatif au renseignement.

Ce texte prévoit, par des dispositifs ciblés ne s’appliquant qu’à la lutte antiterroriste et non, contrairement à ce que j’ai entendu, par la mise en place d’une surveillance de masse, d’empêcher tous ceux qui seraient tentés de s’engager dans des activités terroristes de le faire. Nous mobilisons, à cette fin, des techniques de renseignement hautement contrôlées par une autorité administrative indépendante, par le Conseil d’État, lequel exercera un contrôle juridictionnel, et par la délégation parlementaire au renseignement, qui aura aussi un droit de regard sur l’activité des services.

Ces mesures de police administrative permettront d’éviter la commission d’actes terroristes plutôt que d’attendre une judiciarisation de ces faits par le juge judiciaire, laquelle intervient lorsque nous nous montrons incapables de prévenir ces actes.

Voilà ce que nous faisons ! Et, non seulement nous agissons sur le plan national en consacrant des moyens supplémentaires à la lutte antiterroriste et en présentant des textes législatifs, mais nous agissons aussi sur le plan européen.

Certains d’entre vous ont appelé de leurs vœux la mise en place de la directive Passenger Name Record, ou PNR, et considéré que les choses avançaient trop lentement. Mais cette proposition a été présentée pour la première fois devant les instances européennes en 2003. En 2012, ce projet n’avait pas avancé d’un iota !

Ce PNR est aujourd’hui en passe d’être adopté avant la fin de l’année 2015, car il y a urgence. Il n’y a pas d’antinomie entre la protection offerte par le PNR et celle des données personnelles, cette garantie, pour ceux qui se rendent dans les aéroports et utilisent les moyens de transport aériens, de voir leur vie privée et leurs données personnelles protégées.

De la même manière, je suis favorable à l’instauration de contrôles systématiques et coordonnés aux frontières extérieures de l’Union européenne, ainsi que l’ont proposé plusieurs orateurs. Cette mesure garantira la traçabilité du parcours des terroristes lors de leur retour au sein de l’Union européenne, et nous permettra de les arrêter et de procéder à leur judiciarisation. Si nous ne le faisions pas, nous exposerions les ressortissants de nos pays à des risques considérables.

Je suis favorable, j’y insiste, à des contrôles coordonnés et systématiques au sein de l’espace Schengen. C’est d’ailleurs une solution pragmatique, car il n’est point besoin de modifier le code Schengen pour ce faire.

Je suis également favorable à ce que nous engagions avec l’Union européenne des actions puissantes en termes de contre-discours. Nous œuvrons avec le coordinateur de l’Union européenne pour la lutte contre le terrorisme, Gilles de Kerchove. Nous mobilisons les moyens et les financements de l’Union européenne afin de sensibiliser les opérateurs internet.

La France est à la pointe de ce combat. Je me suis ainsi rendu dans la Silicon Valley pour demander à la totalité des opérateurs internet de déterminer, en lien avec notre pays, un code de bonne conduite en matière de lutte antiterroriste. Ils en ont accepté le principe, et nous avons signé ensemble une charte, le 20 avril dernier, par laquelle ils s’engagent à retirer les contenus faisant l’apologie du terrorisme, à faciliter les enquêtes judiciaires lorsqu’il y a une situation d’urgence et à développer avec nous, en participant à un comité permanent, le contre-discours sur internet. En effet, il faut aussi utiliser internet pour informer ceux qui sont embrigadés par des organisations sectaires.

Action sur le plan international, renforcement des services de renseignement et organisation du décloisonnement de l’activité de ces services – contrairement à ce que j’ai lu dans le rapport parlementaire, il y a non pas une guerre entre les services de renseignement au sein du ministère de l’intérieur, mais une coopération renforcée, que j’ai souhaitée et qui se développe ! –, action législative et action européenne, tels sont les axes de notre politique antiterroriste.

J’ajouterai deux points.

Premièrement, je propose que l’on refonde notre relation avec l’islam de France. C’est le sens de l’action dans laquelle nous sommes engagés, et nos objectifs sont extrêmement précis.

À la suite de l’engagement des préfets en faveur d’actions de dialogue interreligieux dans les territoires de leur ressort, je recevrai, demain, les représentants du Conseil français du culte musulman, le CFCM. Nous voulons mettre en place une instance de dialogue autour du Premier ministre, à l’instar de ce que nous faisons avec les catholiques de France.

Notre objectif est de traiter, avec ces interlocuteurs, les grandes questions qui concernent la relation de la République avec la religion musulmane, dans le souci d’assurer la plus grande représentativité des musulmans de France. Ces sujets seront aussi divers que les conditions de la construction et de la gestion des mosquées dans le respect rigoureux des textes qui régissent la laïcité en France ou la formation des aumôniers musulmans.

À cet égard, nous souhaitons qu’il y ait dans nos prisons, nos hôpitaux, nos armées et les services du ministère de l’intérieur des imams qui connaissent de façon très approfondie la religion qu’ils enseignent, parlent français et soient également titulaires de diplômes universitaires, afin de maîtriser parfaitement les principes et les règles de la République. Il ne saurait en effet, dans notre esprit, y avoir d’antinomie entre ces règles et la pratique religieuse. C’est aussi cela, la laïcité !

La laïcité est le toit qui nous est commun, la somme et le creuset de valeurs qui nous sont communes et permettent à chacun de choisir sa religion dans le respect de celle des autres. Car ce qui nous rassemble au bout du compte est plus fort que ce qui peut nous diviser, y compris du fait de nos appartenances religieuses. Ce qui nous rassemble, c’est l’appartenance absolue, totale et sans concession aux valeurs de la République et, parmi celles-ci, à la laïcité.

La formation des imams est donc un sujet fondamental, dès lors que ceux-ci exercent des fonctions d’aumônier. Car si l’État n’a pas à s’occuper de la formation des imams, il doit cependant veiller à ce que les aumôniers qu’il recrute aient reçu une formation de haut niveau.

Nous serons donc très exigeants sur la construction et la gestion des lieux de culte, ainsi que sur le développement des diplômes universitaires. Nous veillerons à la création d’une fondation des œuvres de l’islam, et nous lancerons une réflexion collective sur le sujet fondamental de la religion et de la laïcité.

La laïcité ne doit pas être dévoyée, car c’est une valeur inclusive. La laïcité, c’est le droit de croire et de ne pas croire, et de faire le choix de sa religion, en ayant la garantie de pouvoir exprimer ce choix librement. La laïcité ne peut donc pas être tournée contre une religion.

Ainsi, certains propos tenus sur les repas différenciés dans les écoles ne sont pas une manifestation de la laïcité ;…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion