Intervention de Éric Brun

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 10 mars 2015 : 1ère réunion
Audition de nicolas bériot secrétaire général de l'observatoire national sur les effets du réchauffement climatique et éric brun chargé de mission

Éric Brun, chargé de mission à l'Onerc :

J'exposerai d'abord les évolutions d'ores et déjà constatées puis je présenterai les projections attendues pour les cinquante ou cent prochaines années. Je concentrerai mon propos sur la métropole, car un tel exercice se révèle beaucoup plus difficile pour l'outre-mer.

Un powerpoint est projeté.

Ce premier document, fourni par Météo France et qui n'est pas encore publié, montre l'évolution, depuis cinquante ans, des précipitations, de la quantité de pluie tombée chaque année en France au cours de la période 1960-2010. Les zones marquées en bleu ou en vert clair sont celles où les précipitations ont augmenté ; celles en jaune ou en orange ont vu les précipitations diminuer. En gros, sur la moitié nord de la France, les précipitations ont plutôt augmenté tandis qu'elles ont diminué sur la moitié sud. Nos collègues de Météo France insistent sur le fait que, pris point par point, le constat n'est pas forcément significatif au niveau statistique du fait de la grande variabilité observée d'une année sur l'autre. Si années sèches et années humides se succèdent, la cohérence globale est parlante. S'il pleut plus dans la moitié nord, ça n'empêche pas que les sécheresses soient plus sévères parce qu'en fait on observe une relation étroite entre l'augmentation des températures et l'augmentation de ce qu'on appelle l'évapotranspiration, c'est-à-dire l'évaporation des sols et la transpiration par les plantes. Autrement dit, un accroissement des précipitations à l'avenir n'entraînerait pas automatiquement une diminution des sécheresses. Si on enregistre en même temps plus de pluie et des températures plus chaudes, on a un équilibre à trouver. En fait, ce petit graphique le montre pour le bassin de la Seine, plus les températures projetées y seront élevées - en l'occurrence de deux à trois degrés suivant les scénarios -, plus l'évaporation des sols augmentera, venant compenser la hausse des précipitations.

Sur la période 1959-2009, tous les points de mesure traités par Météo France et homogénéisés montrent une augmentation des températures en France. La moyenne sur l'ensemble des points s'élève au rythme de 0,3 degré tous les dix ans, soit une croissance d'1,5 degré en cinquante ans. La répartition n'est pas uniforme sur l'ensemble du territoire. Le quart sud-est voit ses températures augmenter davantage que la partie ouest parce que le climat océanique fait que l'océan se réchauffe plus lentement et produit donc un réchauffement moins fort dans la partie ouest ; on observe plus de précipitations sur le nord et des températures plus élevées tandis que, sur le sud, on constate des températures plus élevées mais aussi moins de précipitations. Il en résulte des sécheresses plus importantes. Météo France a défini un indicateur de sécheresses « agricoles », qui tient compte, au cours de l'année, non pas des quantités de pluie mais des températures et donne le taux de l'humidité dans le sol. Ainsi, depuis 1959, le nombre de sécheresses dites agricoles a augmenté. Il ne s'agit pas d'une augmentation régulière, je vous l'ai dit : on remarque très bien le pic de 1976, dont tout le monde se souvient, et puis aussi celui de 1989-1990. Il y a déjà eu de grandes sécheresses dans le passé mais on observe, dans les périodes récentes, que ces sécheresses sont de plus en plus fréquentes. Ce n'est pas qu'elles soient forcément plus sévères, mais il y en a de plus en plus. Ce petit trait noir qu'on voit un peu augmenter correspond à la moyenne sur plusieurs années, pour lisser l'effet d'une année sèche suivie d'une année humide. Le fait que les sécheresses agricoles sont de plus en plus fréquentes et augmentent se voit aussi sur cette carte d'humidité des sols, en tendance sur cinquante ans ; le phénomène touche les deux tiers de la France.

Par conséquent, le constat est clair : il fait de plus en plus chaud, il pleut de plus en plus dans les régions nord, de moins en moins dans les régions sud mais les sécheresses augmentent aussi bien au nord qu'au sud.

En ce qui concerne les projections, j'ai établi un document extrait de cartes produites par le cinquième rapport du Giec, sur la base de données qui datent d'à peine une année pour l'ensemble du globe, à partir de modèles calculés sur un point tous les cent cinquante kilomètres environ, soit un niveau de résolution bien différent de ce que l'on a vu précédemment. Cette carte synthétise tout ce que le Giec a produit en matière de simulation et quels que soient les scénarios climatiques. On y exprime les variations à attendre de précipitations pour la fin du siècle en fonction de l'augmentation moyenne des températures sur le globe, selon des scénarios qui tablent sur deux, trois, quatre ou cinq degrés. En faisant la synthèse, on peut calculer un pourcentage de précipitations, en plus ou en moins, par degré d'augmentation de la température. En retenant le scénario moyen d'une augmentation de trois degrés d'ici à la fin du siècle, il faudrait multiplier les valeurs du pourcentage de base par trois, soit une baisse des précipitations de 36 % à 40 % dans les régions où vous voyez de l'orange foncé, et une hausse de 36 % à 40 % pour celles notées en bleu. La France, elle, se situe dans une zone intermédiaire entre la partie nord, celle des couleurs vertes et bleues, où les précipitations augmentent, et la partie sud - voyez l'Espagne, toute la Méditerranée -, pour laquelle les modèles anticipent une diminution des précipitations. Cela confirme ce que l'on observe déjà depuis cinquante ans en matière de projections climatiques à échéance 2080-2100 : plus de précipitations dans le nord de la France et moins dans le sud.

Il s'agit là de projections pour la fin du XXIe siècle. Jusqu'à présent, je m'étais fondé sur une carte des événements correspondant aux cinquante dernières années, qui sont particulièrement éclairants. Météo France avait produit, dans les années 2003-2004, des statistiques rétrospectives pour cent ans mais avec beaucoup moins de points puisque les séries de mesures homogénéisées remontant au début du XXe siècle sont beaucoup plus rares. Pour ces raisons, Météo France a préféré refaire l'évolution sur cinquante ans, avec beaucoup plus de données et davantage de fiabilité, mais les grandes tendances restent les mêmes.

Je vous l'ai dit, la France se situe juste dans la période de transition entre plus de précipitations au nord et moins au sud, mais quand on regarde en détail l'évolution saison par saison, notamment en été, on constate que la quasi-totalité des modèles climatiques prévoit un assèchement sur l'ensemble du territoire français. C'est un point important : avec plus de précipitations annuelles, la moitié nord en aura davantage en hiver mais moins en été, tandis que, pour les régions sud, les quantités de précipitations diminueront quelle que soit la période de l'année. Des équipes scientifiques travaillant au sein de l'Institut Pierre-Simon Laplace ont fait des simulations pour différents bassins versants, notamment ceux de la Seine et de la Somme. J'ai extrait un résultat pour la Somme, transposable pour la Seine : son débit, au vu de l'évolution observée de 1950 à 2000 telle que prolongée sur la base des scénarios climatiques du quatrième rapport du Giec, va diminuer d'à peu près 50 % d'ici à la fin du siècle. D'autres extrapolations faites dans le cadre du projet Explore 2070 du ministère de l'écologie pour l'ensemble du territoire métropolitain aboutissent à une baisse des débits, pour un scénario intermédiaire de changement climatique, de l'ordre de 10 % à 40 %. De même, des simulations faites pour la Somme sur la hauteur des nappes phréatiques réalimentées par les précipitations essentiellement hivernales tablent sur une baisse de cinq mètres, ce qui est considérable.

Par ailleurs, les régions montagneuses, qui alimentent une bonne partie de nos grands fleuves, vont subir de très fortes diminutions de l'enneigement. Cela a pour conséquence de décaler le pic de débit pendant la période printanière. Prenons le débit moyen de la Durance sur une centaine d'années, qui enregistre un grand pic au printemps avec la fonte des neiges, et les projections en cas de doublement de gaz carbonique. Ce sont des travaux, déjà assez anciens, qui datent de l'époque où l'on imaginait à peine que le gaz carbonique pourrait doubler, alors qu'aujourd'hui on en est plutôt à son triplement ou quadruplement. Or, à cette époque et avec les modèles d'alors, on calculait que le pic printanier de débit se produirait avec une avance de l'ordre de deux à quatre semaines, ce qui est considérable. Ce n'est pas anodin car la conséquence en est qu'en été, à partir des mois de juin et juillet, les débits seront beaucoup plus faibles que ce qu'ils sont actuellement : la fonte des neiges ayant eu lieu plus tôt, on aura davantage d'évaporation. De même, les climatologues prévoient une baisse considérable des glaciers dans les Alpes françaises, qui alimentent en partie les rivières ; cette source essentielle en eau aujourd'hui est donc vouée à disparaître avec le temps.

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