Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui nous revient de l'Assemblée nationale quasiment conforme. Autrement dit, le débat a fait long feu, puisque la mesure la plus éminemment contestable, la création de contrats à durée indéterminée de droit public, a été entérinée.
Aujourd'hui, la commission des lois nous propose un vote conforme. Les articles 6 à 8 du chapitre consacré aux agents non titulaires, qui ont constitué le coeur du débat en première lecture, ne sont plus amendables.
Le risque de voir se créer une fonction publique bis avait pourtant été pointé par la quasi-totalité des syndicats et par les associations d'élus, tous opposés ou du moins très inquiets du devenir d'une telle mesure. Il s'agit, en effet, d'un dispositif dérogatoire à cette particularité de la fonction publique française, qui fait du contrat l'exception et du recrutement par concours le principe.
Il n'y a pas de « lutte contre la précarité » dans ce texte, si ce n'est le titre nouveau donné par l'Assemblée nationale en seconde lecture au chapitre consacré aux non-titulaires.
Pourtant, lutter contre la précarité en limitant le recours abusif aux contrats à durée déterminée est bien l'objectif de la directive de 1999. Celle-ci va dans le bon sens, mais le Gouvernement l'accommode à sa « sauce » idéologique et politique, celle qui érige le contrat contre le statut, dans un contexte de banalisation et de fragmentation de la fonction publique.
Qu'il me soit donc permis de dénoncer de nouveau fortement ce choix, qui concernerait tout de même pas moins de 250 000 agents, et de regretter qu'aucun de nos amendements tendant à encadrer le dispositif, à limiter le recours aux contractuels ou qu'aucune mesure destinée à empêcher la reconstitution de l'emploi précaire n'aient été adoptés.
Le seul apport positif de nos débats - nous avions d'ailleurs déposé un amendement en ce sens - a été l'assouplissement du dispositif transitoire prévu pour les agents non titulaires âgés d'au moins cinquante ans en réduisant la condition de services effectifs à six ans au cours des huit dernières années au lieu de huit ans au cours des dix dernières années.
Au-delà de la généralisation « irraisonnée » des CDI, le bilan de cette législature en matière de fonction publique est bien sombre. Après trois ans, trois ministres et une promesse récurrente d'un grand projet de modernisation de la fonction publique, qu'avons-nous vu venir ? Non pas la réforme ambitieuse et cohérente, unanimement réclamée, tant à droite qu'à gauche, tous partenaires sociaux confondus, que mérite la fonction publique, mais des mesures disparates enfonçant autant de coins dans un statut dangereusement disloqué, au point que l'on pourrait croire ce saucissonnage volontaire et destiné à empêcher toute lisibilité d'ensemble !
Que fait donc le Gouvernement pour lutter contre la précarité dans la fonction publique, alors qu'il poursuit inlassablement la baisse des effectifs ? Moins 1089 postes en 2003, moins 4561 en 2004, moins 7188 en 2005. Il semblerait que 2006 marque un certain ralentissement, avec la suppression annoncée de « seulement » 5312 postes ! Mais, compte tenu des nouvelles règles budgétaires, nous n'avons aucune certitude, d'autant que le ministre des finances continue de contredire le Premier ministre, affirmant que « personne ne peut dire aujourd'hui si ce sera moins 5000, moins 6000 ou moins 7000 fonctionnaires en 2006 » ; il espère que les ministres feront « mieux » que ce qui est annoncé, mieux selon sa logique, qui n'est évidemment pas la mienne ! Le ministre délégué au budget a encore récemment affirmé que 5000 était « un plancher » et que les ministres « qui le voudront seront totalement libres d'aller plus loin dans la voie de la réduction des effectifs ».
En dehors des atteintes au statut et de l'obsession comptable qui fait des fonctionnaires des variables d'ajustement aux errances budgétaires, que retenir encore de ces trois années ? L'absence de dialogue social, l'incapacité à conduire des négociations salariales et le recul du pouvoir d'achat des agents, les augmentations octroyées unilatéralement pour 2005 n'étant que la stricte compensation de l'inflation ; la réforme des retraites, qui se traduit également par une baisse importante de pouvoir d'achat ; le lundi de Pentecôte travaillé, pour un résultat global que l'INSEE qualifie de « très proche de zéro » ; le transfert de 130 000 agents de l'Etat vers les collectivités territoriales, avec les difficultés que l'on connaît ?
Il n'y a vraiment pas de quoi pavoiser ! Et ce ne sont ni les quelques propos généralistes et lénifiants prononcés par M. de Villepin lors de son discours de politique générale ni la séance de rattrapage lors de sa première conférence de presse, au cours de laquelle il affirme qu'il n'y aura pas de « charcutage des effectifs » et que l'on ne peut faire de « politique avec un simple rabot », qui seront de nature à rassurer des fonctionnaires légitimement désenchantés de se sentir ainsi négligés. Apparemment, la fonction publique n'intéresse nullement le nouveau Premier ministre, qui ne lui a consacré qu'un service minimum !
Que dire également de la suppression des limites d'âge pour les concours de la fonction publique et de la création du PACTE junior par ordonnances ? D'ailleurs, peut-on en dire quelque chose dès lors que la procédure des ordonnances écarte de fait le Parlement de toute possibilité de débat démocratique ? La commission des lois n'a même pas été saisie alors qu'elle traite traditionnellement de toutes les questions relatives à la fonction publique.
Ces deux mesures seront prises en urgence, par ordonnances. N'est-ce pas paradoxal ? En effet, le Gouvernement reconnaît à la première une portée « plus symbolique que réelle » : les limites d'âge aux concours dans la fonction publique territoriale sont supprimées et un très grand nombre de dérogations existe dans la fonction publique de l'Etat ? Quant à la seconde mesure, elle mériterait une discussion approfondie. Elle n'est pas nouvelle, puisqu'elle figurait déjà dans le programme 4 du plan Borloo, présenté en conseil des ministres le 30 juin 2004. Son objectif est de « permettre aux jeunes de seize à vingt-cinq ans sortis du système éducatif sans diplôme ou ayant des difficultés d'insertion professionnelle de bénéficier d'une formation en alternance rémunérée et d'intégrer la fonction publique, à l'issue d'un examen professionnel, en qualité de fonctionnaire titulaire ».
Cette dernière proposition se situe dans la lignée du pré-recrutement élaboré sous la précédente législature, afin notamment de diversifier les origines socio-économiques des fonctionnaires en réservant des emplois à des jeunes en difficulté.
La réussite de cette idée dépend des conditions de sa mise en oeuvre. Or, justement, pour ce que l'on en connaît, et au-delà du fait que l'on est en train de recréer la catégorie D et d'élargir l'accès à la fonction publique sans concours, il est permis de douter de sa portée et de son efficacité. En effet, n'oublions pas que ce dispositif est censé s'adresser à des jeunes en difficulté et que le niveau de rémunération envisagé ne leur permettra pas de bénéficier de cette formation en alternance.
Malheureusement, nous ne pourrons pas discuter de sa mise en oeuvre. S'il est tout à fait normal que la fonction publique participe au plan de lutte pour l'emploi, les solutions proposées s'apparentent plus à de l'esbroufe, à de la poudre aux yeux qu'à une véritable solution.
Cette méthode des ordonnances est d'autant plus regrettable qu'il semble qu'après trois ans nous aurions pu enfin discuter d'un « vrai » projet de loi.