...celui-ci persiste et signe dans sa volonté de transposer des directives contraires au voeu exprimé par les Français. Lors du référendum sur la Constitution européenne, ceux-ci ont en effet exprimé le souhait de voir la justice sociale prendre le pas sur le libéralisme. Or ce que propose aujourd'hui le Gouvernement est à l'opposé de leurs attentes.
Le texte qui nous est soumis est loin de lutter contre la précarité dans la fonction publique ; au contraire, il la renforce ; pis, il la pérennise. Sous couvert de la transposition de la directive européenne du 28 juin 1999 visant à limiter les recours abusifs aux contrats à durée déterminée dans l'ensemble de l'activité salariée, le Gouvernement propose la création de contrats à durée indéterminée dans la fonction publique.
Force est de constater que ce projet de loi de transposition est contraire à l'objectif de la directive européenne puisqu'il vise à instaurer une nouvelle voie de recrutement précaire : l'agent sera engagé sous contrat à durée déterminée pendant trois ans, renouvelable une fois, mais l'employeur ne sera pas soumis à une obligation de recrutement au terme de ces six ans d'embauche. La durée de ce contrat est ainsi quatre fois supérieure à celle qui est imposée dans le secteur privé.
Loin de résorber la précarité dans la fonction publique, le Gouvernement l'encourage. Loin de chercher à limiter le recours aux contrats à durée déterminée, il propose de le maintenir dans la fonction publique, car l'application d'un tel projet pourrait tout à la fois favoriser le turnover d'agents non titulaires et créer une sous-catégorie de fonctionnaires, privés de la carrière et des garanties qu'emporte le statut de fonctionnaire. Dans le cadre de la politique actuelle de suppressions d'emplois, c'est là ouvrir la porte à un véritable cheval de Troie pour mettre à mal les garanties statutaires.
Au surplus, le Gouvernement ne résout absolument pas la question des conditions d'emploi des non-titulaires, condamnés actuellement au chômage, au temps partiel ou à la vacation.
La situation que connaissent les trois fonctions publiques au regard des emplois précaires ne peut pas perdurer. La part des non-titulaires dans leurs effectifs est en effet très importante : de 12, 7 % dans la fonction publique de l'Etat, d'un peu plus de 20 % dans la fonction publique territoriale et de 5, 8 % dans la fonction publique hospitalière. Au total, ce sont donc 242 152 personnes qui se trouvent dans une situation instable.
Avec la multiplication des CDD, entrecoupés de périodes de chômage, et les nombreux contrats à temps partiels, la problématique est la même que dans le secteur privé : il est quasiment impossible d'organiser sa vie personnelle autour d'une vie professionnelle aussi précaire, et il est difficile de s'investir dans un emploi aussi fluctuant.
Cet enchaînement de contrats à durée déterminée maintient les agents dans une dépendance anormale pour organiser leur vie. Comment envisager l'avenir et sécuriser le présent quand on ne sait même pas si l'on va être réembauché le mois suivant ? Les répercussions de cette précarité sont multiples dans le cadre d'un projet de vie, notamment en matière de logement, et peuvent même avoir un effet pervers sur la santé.
Pérenniser les contrats à durée déterminée au lieu de limiter les possibilités d'y recourir révèle la volonté du Gouvernement de ne pas résorber efficacement la précarité. Sinon, il aurait été facile de mettre en oeuvre la loi Sapin du 3 janvier 2001 et de maintenir les postes de fonctionnaires supprimés depuis maintenant trois ans. L'application de cette loi nécessite en effet de créer des postes destinés à être occupés, par la suite, par des agents contractuels ayant été titularisés, en réactivant les concours réservés et la reconnaissance des acquis.
Le Gouvernement a fait d'autres choix et procède depuis trois ans à un véritable « dégraissage » de la fonction publique. Selon lui, au nom de la maîtrise des dépenses publiques, le nombre de fonctionnaires devrait impérativement être revu à la baisse, ces derniers pesant trop lourd dans le budget de l'Etat. Or cette restriction des dépenses publiques n'est plus le leitmotiv du Gouvernement quand il s'agit d'accorder des allégements de charges aux entreprises ! Ainsi, aux termes du projet de loi de sauvegarde des entreprises, les administrations fiscales et sociales peuvent consentir des remises de dettes aux entreprises en difficulté.
Par conséquent, après la diminution des effectifs, le démantèlement du statut de la fonction publique est la prochaine étape à franchir pour le Gouvernement.
En effet, ce projet de loi est la mort annoncée du statut de fonctionnaire et du recrutement par concours, pourtant garant de l'égalité d'accès à la fonction publique. C'est la porte ouverte au recrutement clientéliste, à tous les niveaux de la hiérarchie.
Nous ne sommes évidemment pas hostiles à une modernisation du statut de la fonction publique, avec - pourquoi pas ? - la création de nouveaux corps, correspondant à des missions nouvelles, à des besoins émergents, intégrant des métiers nouveaux tels qu'informaticien ou responsable de communication.
Mais le principe du recrutement par concours doit être impérativement préservé. C'est d'ailleurs, je le rappelle, une exigence constitutionnelle : l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 pose la règle de l'égalité devant les emplois publics et interdit, de fait, les discriminations, aussi bien pour l'entrée dans la fonction publique que pour le déroulement de la carrière.
Puisque seul le concours garantit cette égalité des citoyens dans l'accès à la fonction publique et que toute autre procédure de recrutement laisserait la place au pouvoir discrétionnaire, le concours doit être la règle commune.
Au-delà des adaptations qui peuvent s'avérer indispensables, comme la mise en adéquation des concours avec les qualifications professionnelles requises, toute tentative marginalisant le recrutement par concours doit être dénoncée et combattue. C'est bien ce que nous faisons en défendant cette motion tendant à opposer la question préalable.
Le recrutement par la voie contractuelle, qui est aujourd'hui mis en avant, conduit déjà à écarter de manière discrétionnaire un grand nombre de catégories de personnes, notamment les personnes handicapées, ce qui, en l'occurrence, laisse la fonction publique très éloignée des obligations d'emploi fixées par la loi.
Banaliser la contractualisation dans la fonction publique constitue un réel danger. Les droits des agents seront progressivement remis en cause par l'introduction d'un nouveau type de relation entre l'Etat employeur et ses agents, et deux types de statuts coexisteront au sein des trois fonctions publiques.
Tandis que les agents titulaires continueront d'être soumis au statut général, à leurs côtés, travailleront de nouveaux agents contractuels qui ne seront pas soumis au même régime. Cela signifie qu'ils ne bénéficieront pas des garanties du statut en termes de déroulement de carrière ou encore de maintien de leur emploi.
En définitive, seront-ils recrutés et intégrés dans tel ou tel corps de fonctionnaires ou recrutés uniquement pour un emploi déterminé ? Il y a là une différence qui n'est pas sans importance, au regard tant de l'agent concerné que de la mission de service public à laquelle il participe. Le fait d'être recruté dans un corps et d'y faire carrière est une des garanties de la continuité du service public.
Multiplier les recrutements contractuels pour des emplois déterminés peut aboutir progressivement à une remise en cause de la continuité du service public, et même de son existence, si nous poussons le raisonnement un peu plus loin, comme l'a d'ailleurs certainement fait le Gouvernement.
Pour l'agent recruté à durée indéterminée, l'incertitude va peser sur sa carrière : quel en sera le déroulement, quelle forme prendra sa fin de contrat, quelles seront les garanties dont il pourra bénéficier à ce moment-là, que se passera-t-il si son emploi est supprimé ?