Intervention de Xavier Pintat

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 13 mai 2015 à 9h30
Renforcement de la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Xavier PintatXavier Pintat, rapporteur :

Depuis 1996, les installations nucléaires civiles françaises ont été l'objet d'une quinzaine d'intrusions ou tentatives d'intrusion, de la part de militants anti-nucléaires. Ces intrusions n'ont, à aucun moment, remis en cause la sûreté des installations. Ce n'était d'ailleurs pas leur objectif puisqu'il s'agissait d'actions militantes à visée contestataire, dans le but de créer un fort impact médiatique.

Le 18 mars 2014, en particulier, une soixantaine de militants se sont introduits de force, employant des moyens violents, jusqu'au sommet du dôme d'un réacteur et sur le toit de la piscine de stockage de la centrale nucléaire de Fessenheim. À l'issue de la procédure judiciaire alors intentée, le tribunal correctionnel de Colmar a condamné du chef de violation de domicile, en septembre dernier, cinquante-cinq militants, dont trois seulement étaient présents au tribunal, à des peines de deux mois de prison avec sursis.

Ce type de sanction n'est pas suffisamment dissuasif pour éviter que ne se multiplient des intrusions spectaculaires, du type de celles qui ont émaillé l'actualité de ces dernières années.

C'est tout l'enjeu de cette proposition de loi, dont le Sénat est saisi en première lecture, après son adoption par l'Assemblée nationale le 5 février dernier. Ce texte, déposé à l'initiative de notre collègue, député du Loiret, Claude de Ganay a été modifié par la commission de la défense de l'Assemblée nationale, en concertation avec le Gouvernement, et par consensus entre les groupes socialiste et UMP. Il vise à renforcer la protection de sites caractérisés tant par leur importance en termes économiques que par leur sensibilité en termes de sécurité, puisque des matières radioactives y sont entreposées.

Par ailleurs, ce texte prévoit la présentation par le Gouvernement d'un rapport au Parlement sur les enjeux soulevés par les survols d'installations sensibles par des drones.

L'article premier renforce les sanctions pénales applicables aux auteurs d'intrusion dans des installations abritant des matières nucléaires. Il s'agit de prévoir des peines suffisamment dissuasives pour réduire le nombre d'intrusions.

Pourquoi est-ce nécessaire ? Parce que les actions des militants anti-nucléaires, même si elles ne présentent pas de danger direct en termes de sûreté, mobilisent néanmoins d'importants moyens humains. Elles font courir des risques non seulement au personnel des installations, aux forces de sécurité qui y sont déployées, mais aussi aux militants eux-mêmes. Les moyens mobilisés pour répondre aux intrusions sont alors détournés de leur vocation principale, qui est de défendre les installations contre le risque terroriste.

La protection des installations nucléaires d'EDF est assurée par des forces spécialisées de la gendarmerie nationale, les pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie (PSPG), qui comptent 882 hommes et femmes, formés par le Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) ; elles sont des unités antiterroristes. En cas de menace, les PSPG sont le premier maillon de la chaîne avant l'intervention de la gendarmerie du département et du GIGN.

Les sites du CEA et d'Areva sont protégés par des services internes de sécurité, les formations locales de sécurité (FLS), qui représentent un effectif de 1 300 agents. Pour les sites non militaires du CEA, et pour les sites d'Areva, c'est le RAID, unité de la police nationale, qui constitue le dernier maillon de la chaîne d'intervention.

La vocation première de ce dispositif est de répondre à la menace terroriste. Toute intrusion est donc présumée terroriste avant que sa nature ne soit établie de façon certaine. Les forces de sécurité sont déployées prioritairement autour des périmètres les plus sensibles des installations, qu'ils doivent protéger d'une action susceptible d'être fulgurante. C'est pourquoi leur action peut paraître inadaptée, en cas d'intrusion de militants antinucléaires. Ces actions militantes, si elles se multipliaient, risqueraient donc de réduire la vigilance vis-à-vis du risque terroriste, qui n'est pas un risque théorique, comme l'ont montré les attaques perpétrées en janvier dernier à Paris et en région parisienne.

Les intrusions militantes se distinguent bien évidemment des actions terroristes par leurs objectifs, leurs moyens et leurs conséquences potentielles. Ces deux types de menaces appellent des réponses distinctes, adaptées et proportionnées aux risques qu'elles font respectivement courir. Néanmoins, il n'est pas nécessairement facile de distinguer rapidement ces deux types d'action sur le terrain. En effet, un ou plusieurs terroristes pourraient, demain, prendre l'apparence de militants anti-nucléaires ou infiltrer des organisations militantes.

Le droit pénal actuel est inadapté pour répondre à ces intrusions récurrentes.

Des délits spécifiques sont prévus par le code de la défense, afin de protéger l'intégrité des matières nucléaires.

Le code pénal permet, par ailleurs, de réprimer le fait d'exposer autrui à un risque immédiat ou celui de mettre en péril la santé de l'homme ou le milieu naturel. Il sanctionne les destructions et dégradations et réprime évidemment le terrorisme.

Par ailleurs, des régimes de protection spécifiques existent pour les zones militaires (article 413-5 du code pénal) et pour les sites intéressant la défense nationale (article 413-7 du code pénal).

Mais aucun de ces régimes de sanctions pénales ne permet de réprimer de façon satisfaisante les intrusions militantes commises dans les installations nucléaires. En conséquence, le juge pénal est amené à retenir des qualifications juridiques inadaptées, telles que la violation de domicile (article 226-4 du code pénal). La Cour de cassation a validé cette approche, à propos de l'intrusion commise en décembre 2011 dans la centrale de Nogent-sur-Seine. Elle a considéré que les lieux où les militants s'étaient introduits constituaient bien, pour EDF, un domicile au sens du droit pénal. Dans ce cas, les militants ont été condamnés pour dégradation en réunion et violation de domicile, à six mois d'emprisonnement avec sursis.

Les affaires jugées à ce jour n'ont conduit qu'à des peines de prison avec sursis de l'ordre de 2 à 6 mois (lorsque l'intrusion était accompagnée de dégradations), et à des amendes ou frais de procédure de l'ordre de 1 000 à 3 000 euros.

Que prévoit, par conséquent, cette proposition de loi ? Rappelons tout d'abord que l'article 55 de la loi de programmation militaire a autorisé le Gouvernement à insérer par ordonnance dans le code de la défense et le code général des collectivités territoriales des dispositions visant à renforcer la protection des installations nucléaires. Sur le fondement de cette habilitation, le Gouvernement a permis aux préfets de réglementer la circulation et le stationnement autour des installations. Le Gouvernement a considéré, en revanche, que, s'agissant de dispositions pénales créant une nouvelle infraction, il était préférable de recourir à la procédure parlementaire plutôt que de légiférer par ordonnance.

Le texte proposé par l'Assemblée nationale prévoit un dispositif échelonné de peines, à partir d'une peine de base qui est une peine d'emprisonnement d'un an et une amende de 15 000 euros, identique à celle prévue pour introduction sans autorisation en zone militaire ou pour violation de domicile ; cette peine est susceptible d'être aggravée en fonction des circonstances (lorsque l'infraction est accompagnée de destructions, commise en réunion, avec usage d'une arme ou en bande organisée...).

Par ailleurs, des peines complémentaires sont prévues, applicables non seulement aux personnes physiques, mais aussi aux personnes morales, ce qui permettra de sanctionner l'instigateur de l'action, par des amendes susceptibles d'être très élevées (leur taux maximum est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques).

Le texte qui nous est proposé est issu d'échanges avec le Gouvernement. J'ai pu vérifier son caractère consensuel lors de mes auditions. Il permet de répondre aux actes d'intrusion de façon spécifique, adaptée et proportionnée. Il réduira le doute des forces de sécurité, quant aux intentions réellement malveillantes des intrus, étant donné le risque encouru, ce qui permettra aux dispositifs de sécurité existant de rester focalisés sur leur mission première. Avec l'adoption de ces dispositions, l'Etat aura pris les mesures qui sont de son ressort, et pourra alors légitimement demander aux opérateurs d'accélérer leurs investissements pour la protection physique passive des installations.

Enfin, et surtout, ce dispositif ne prive en aucun cas les militants antinucléaires de leur liberté d'expression et de manifestation, qui pourra s'exercer dans les conditions légales à l'extérieur des sites.

C'est pourquoi je vous proposerai d'adopter ces dispositions sans modification.

J'en viens à l'article 2 de la proposition de loi, qui prévoit que le Gouvernement dépose au Parlement, avant le 30 septembre 2015, un rapport sur la question des drones.

Une quarantaine de survols distincts par des drones, non revendiqués, ont été répertoriés, au-dessus de dix-neuf sites abritant des matières nucléaires, depuis septembre dernier. Six centrales nucléaires ont notamment été survolées de façon simultanée le 31 octobre 2014. La base militaire de l'Ile-Longue a été survolée les 26 et 27 janvier derniers. Tous sites confondus, 67 survols illégaux ont été recensés. Ces survols n'ont pas présenté de menace directe. Ils pourraient relever de plusieurs actions distinctes et d'objectifs différents. Sur un nombre non négligeable de survols, des recoupements ont été effectués ; ils correspondraient au passage autorisé d'aéronefs au-dessus de 1 000 mètres.

Toutefois, ce phénomène ne doit pas être minimisé et appelle une réflexion sur une nouvelle dimension de la sécurité aérienne, du fait de l'usage croissant de drones civils, professionnels ou de loisirs. La détection des petits drones employés, volant à basse altitude, nécessite des investissements particuliers.

À la suite de ces survols, une démarche interministérielle a été décidée, en vue d'identifier les adaptations juridiques, techniques et capacitaires requises. À l'initiative de la commission de la défense de l'Assemblée nationale, cet article 2 vise donc à ce que le Parlement soit pleinement associé à cette démarche.

En conclusion, cette proposition de loi ne prétend pas apporter de réponse à l'ensemble des enjeux soulevés par la multiplication des intrusions et survols d'installations sensibles. Ces phénomènes nécessiteront des investissements pour la protection physique des installations, ainsi qu'une réflexion sur le statut et les moyens des forces chargées de veiller à leur sécurité, et sa conformité avec le droit européen. Par ailleurs, le statut juridique des drones devra probablement être précisé, notamment celui de la formation - et de l'information - de leurs pilotes, sans porter atteinte au développement économique de cette filière, en pleine expansion. Les intrusions aériennes requièrent des évolutions des systèmes d'alerte et de détection, ainsi que des moyens de neutralisation. Au-delà de la question des intrusions et des survols, l'évolution des menaces doit amener à prendre en compte aussi les problématiques de cybersécurité, dans le prolongement des dispositions de la loi de programmation militaire à ce sujet. Une réflexion sur un éventuel renforcement des liens entre sûreté et sécurité nucléaire pourrait également être entreprise, sans empiéter sur le caractère régalien de la conduite de la politique de sécurité nucléaire.

Cette proposition de loi devra probablement être complétée par un autre texte, notamment sur le statut des personnels de sécurité et sur le régime juridique des drones. Néanmoins, le dispositif soumis aujourd'hui à notre examen est nécessaire et son adoption est urgente. C'est pourquoi je vous propose que nous l'adoptions sans modification, afin qu'il puisse entrer rapidement en vigueur.

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