Vous êtes appelés à vous prononcer non pour un mandat de six ans mais pour la durée restant à courir du mandat d'Alain Delcamp, soit un peu plus de quatre ans. Sa candidature, il y a un an et demi, relevait d'une forme d'évidence car vous le connaissiez tous bien. Proposer la mienne, celle d'une personnalité aussi visiblement étrangère au sérail, n'allait pas de soi ; aussi mes premiers mots sont-ils pour remercier le président Larcher.
Cette audition n'aurait pas de sens s'il ne s'agissait que d'apprécier un curriculum vitae et non de jauger une personnalité. Je dois m'efforcer de vous convaincre que je suis capable de remplir les fonctions de membre du collège de la Haute Autorité, avec sérieux, discernement, compétence, réalisme, conscience, discrétion, indépendance, impartialité et responsabilité. Je ne sais pas si je possède toutes ces qualités, mais les responsabilités que j'ai exercées les ont cultivées.
Je suis avant tout professeur de droit public, une vocation née dès ma première année de droit en 1962, en constatant l'indépendance que ce métier assure. J'ai exercé ce métier de 1973 à 2009, à la faculté de Nancy, à Sceaux, puis, entre 1988 et 2009, à Paris II. J'appartiens à la première génération d'universitaires qui, après 68, ne pouvait se contenter de dispenser de loin sa connaissance. Je crois avoir exercé toutes les fonctions, hormis celle de président d'université. J'ai enseigné, dirigé des thèses, participé à la gestion de l'université, siégé dans divers conseils. J'ai été vice-doyen de la faculté de droit de Nancy aux côtés de Jack Lang, et doyen de celle de Sceaux, directeur d'UFR à Paris II. J'ai également été membre du Conseil national des universités puis du Conseil national de la recherche scientifique. J'ai créé des diplômes et présidé pendant dix ans l'Association française de droit de la santé. J'ai dirigé pendant dix ans le centre de recherche de science administrative de Paris II. Enfin, pendant les cinq dernières années de ma carrière universitaire, j'ai dirigé l'Institut de préparation à l'administration générale de Paris où j'ai créé plusieurs formations, dont celle d'administrateur d'élection que certains d'entre vous connaissent par le colloque que le Sénat a accueilli depuis plusieurs années.
La vie universitaire a été un apprentissage de la collégialité et du réalisme, tant il est difficile de fédérer des personnalités ayant un grand souci d'indépendance, et d'ouvrir l'université sur l'extérieur.
Mes spécialités sont le droit de la santé, la science administrative et le droit de la fonction publique, qui m'a conduit à travailler avec plusieurs directeurs de la fonction publique. J'ai à ce titre en 2003 été chargé par M. Jean-Paul Delevoye, alors ministre de la fonction publique, de l'élaboration d'un rapport sur l'adaptation de la fonction publique au droit communautaire, qui a ensuite servi à la préparation de la loi de 2005, l'ouvrant aux ressortissants des autres pays de l'Union européenne. J'ai également été désigné en 2011 par le Président de l'Assemblée nationale de l'époque, Bernard Accoyer, au Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, où j'ai siégé ces trois dernières années et qui constitue un autre exemple de la nécessité de la collégialité mais aussi de la prudence et de l'écoute.
Entre 1978 et 1982, j'ai été directeur des études de l'ENA, nommé sur proposition du secrétaire général du Gouvernement de l'époque, Marceau Long. Pendant ces années intenses, j'ai côtoyé les plus hauts fonctionnaires de la République et leurs successeurs, brillants et exigeants. J'ai notamment eu la charge de la fameuse promotion Voltaire.
Il serait fastidieux d'énumérer tout ce que j'ai alors appris sur le fonctionnement de l'État, sur les vertus de la discrétion, voire du secret, ainsi que, sur la diversité, au-delà des apparences, de ces futurs hauts fonctionnaires. Je me suis efforcé d'adapter les enseignements aux besoins d'une administration moderne, notamment celles du management public et d'ouvrir l'école à de nouveaux intervenants. J'ai travaillé en bonne harmonie avec les deux directeurs des stages de l'époque, MM. Jean Puybasset et Christian Frémont.
En 1990, je me suis inscrit au barreau de Paris. Si cette activité m'a confirmé la nécessité d'allier la rigueur, la prudence, le réalisme et la discrétion, elle m'a surtout ouvert des horizons nouveaux. En raison de mes fonctions universitaires et la déontologie m'interdisant de plaider contre l'État, j'ai été avocat à temps très partiel, dans des domaines éloignés de la vie publique, en droit civil ou en droit de la sécurité sociale. J'ai surtout travaillé en droit médical mais aussi en droit de la fonction publique internationale, en tant que conseiller de plusieurs organisations internationales ayant leur siège en France.
J'exerce également des activités à Monaco depuis dix ans, d'abord comme membre du Comité supérieur d'études juridiques de la Principauté puis, depuis huit ans, en tant que vice-président du Tribunal suprême, qui est une juridiction administrative et la plus ancienne cour constitutionnelle du monde, puisque créée dès 1911.
En raison des fantasmes que peut susciter Monaco, je soulignerai que le Tribunal suprême est exclusivement composé de juristes français, sans doute pour éviter les risques conflits d'intérêts dans une principauté comptant 30 000 habitants dont 8 000 Monégasques. Cette fonction est intellectuellement stimulante, car le droit y est très spécifique. Financièrement, elle rapporte environ 10 000 euros par an. Nous siégeons trois ou quatre fois par an, pendant deux jours. Cette dernière expérience m'a conduit à représenter Monaco à la Conférence des cours constitutionnelles européennes et à participer à ce qu'on appelle « le dialogue des juges ».
Outre l'indépendance et l'impartialité, j'ai appris au Tribunal suprême à concilier la rigueur juridique, la prudence voire la capacité d'autolimitation, et les droits légitimes des administrés et l'intérêt de l'État.
C'est sans doute la diversité de ces expériences qui a conduit le président Larcher à vous proposer ma candidature. J'aime à penser que c'est aussi parce qu'il a compris que ces activités m'ont enseigné l'importance du discernement, de la pondération et du pragmatisme.
La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique est une institution originale. Son fonctionnement suppose sérieux et compétence, mais aussi prudence et modération. Je ne sous-estime pas la difficulté de sa tâche, tant le nombre de justiciables concernés est considérable. Il faut donc trouver un mode de fonctionnement qui inspire confiance à tous, sans démagogie ni laxisme. Cette institution a déjà montré depuis sa naissance qu'elle peut contribuer à consolider la confiance entre les citoyens et les élites politiques et administratives, c'est-à-dire le ciment politique. Si vous m'accordez vos suffrages, c'est dans cet esprit que j'oeuvrerai.