La réunion

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Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission entend M. Jean-Michel Lemoyne de Forges, candidat proposé par le Président du Sénat comme membre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique en application de l'article 19 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

M. Jean-Michel Lemoyne de Forges est pressenti par le Président du Sénat pour exercer les fonctions de membre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Nous l'entendons, en vertu de l'article 19 de la loi du 11 octobre 2013, avant de nous prononcer sur ce choix dans la salle de la commission.

M. Lemoyne de Forges est agrégé des facultés de droit, professeur émérite à l'université Paris II, vice-président du Tribunal suprême de la Principauté de Monaco. Au cours de sa très riche carrière universitaire, il a été directeur des études de l'École nationale d'administration (ENA), entre 1978 et 1982. Il a également exercé des fonctions d'avocat.

Debut de section - Permalien
Jean-Michel Lemoyne de Forges, candidat proposé par le Président du Sénat comme membre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique

Vous êtes appelés à vous prononcer non pour un mandat de six ans mais pour la durée restant à courir du mandat d'Alain Delcamp, soit un peu plus de quatre ans. Sa candidature, il y a un an et demi, relevait d'une forme d'évidence car vous le connaissiez tous bien. Proposer la mienne, celle d'une personnalité aussi visiblement étrangère au sérail, n'allait pas de soi ; aussi mes premiers mots sont-ils pour remercier le président Larcher.

Cette audition n'aurait pas de sens s'il ne s'agissait que d'apprécier un curriculum vitae et non de jauger une personnalité. Je dois m'efforcer de vous convaincre que je suis capable de remplir les fonctions de membre du collège de la Haute Autorité, avec sérieux, discernement, compétence, réalisme, conscience, discrétion, indépendance, impartialité et responsabilité. Je ne sais pas si je possède toutes ces qualités, mais les responsabilités que j'ai exercées les ont cultivées.

Je suis avant tout professeur de droit public, une vocation née dès ma première année de droit en 1962, en constatant l'indépendance que ce métier assure. J'ai exercé ce métier de 1973 à 2009, à la faculté de Nancy, à Sceaux, puis, entre 1988 et 2009, à Paris II. J'appartiens à la première génération d'universitaires qui, après 68, ne pouvait se contenter de dispenser de loin sa connaissance. Je crois avoir exercé toutes les fonctions, hormis celle de président d'université. J'ai enseigné, dirigé des thèses, participé à la gestion de l'université, siégé dans divers conseils. J'ai été vice-doyen de la faculté de droit de Nancy aux côtés de Jack Lang, et doyen de celle de Sceaux, directeur d'UFR à Paris II. J'ai également été membre du Conseil national des universités puis du Conseil national de la recherche scientifique. J'ai créé des diplômes et présidé pendant dix ans l'Association française de droit de la santé. J'ai dirigé pendant dix ans le centre de recherche de science administrative de Paris II. Enfin, pendant les cinq dernières années de ma carrière universitaire, j'ai dirigé l'Institut de préparation à l'administration générale de Paris où j'ai créé plusieurs formations, dont celle d'administrateur d'élection que certains d'entre vous connaissent par le colloque que le Sénat a accueilli depuis plusieurs années.

La vie universitaire a été un apprentissage de la collégialité et du réalisme, tant il est difficile de fédérer des personnalités ayant un grand souci d'indépendance, et d'ouvrir l'université sur l'extérieur.

Mes spécialités sont le droit de la santé, la science administrative et le droit de la fonction publique, qui m'a conduit à travailler avec plusieurs directeurs de la fonction publique. J'ai à ce titre en 2003 été chargé par M. Jean-Paul Delevoye, alors ministre de la fonction publique, de l'élaboration d'un rapport sur l'adaptation de la fonction publique au droit communautaire, qui a ensuite servi à la préparation de la loi de 2005, l'ouvrant aux ressortissants des autres pays de l'Union européenne. J'ai également été désigné en 2011 par le Président de l'Assemblée nationale de l'époque, Bernard Accoyer, au Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, où j'ai siégé ces trois dernières années et qui constitue un autre exemple de la nécessité de la collégialité mais aussi de la prudence et de l'écoute.

Entre 1978 et 1982, j'ai été directeur des études de l'ENA, nommé sur proposition du secrétaire général du Gouvernement de l'époque, Marceau Long. Pendant ces années intenses, j'ai côtoyé les plus hauts fonctionnaires de la République et leurs successeurs, brillants et exigeants. J'ai notamment eu la charge de la fameuse promotion Voltaire.

Il serait fastidieux d'énumérer tout ce que j'ai alors appris sur le fonctionnement de l'État, sur les vertus de la discrétion, voire du secret, ainsi que, sur la diversité, au-delà des apparences, de ces futurs hauts fonctionnaires. Je me suis efforcé d'adapter les enseignements aux besoins d'une administration moderne, notamment celles du management public et d'ouvrir l'école à de nouveaux intervenants. J'ai travaillé en bonne harmonie avec les deux directeurs des stages de l'époque, MM. Jean Puybasset et Christian Frémont.

En 1990, je me suis inscrit au barreau de Paris. Si cette activité m'a confirmé la nécessité d'allier la rigueur, la prudence, le réalisme et la discrétion, elle m'a surtout ouvert des horizons nouveaux. En raison de mes fonctions universitaires et la déontologie m'interdisant de plaider contre l'État, j'ai été avocat à temps très partiel, dans des domaines éloignés de la vie publique, en droit civil ou en droit de la sécurité sociale. J'ai surtout travaillé en droit médical mais aussi en droit de la fonction publique internationale, en tant que conseiller de plusieurs organisations internationales ayant leur siège en France.

J'exerce également des activités à Monaco depuis dix ans, d'abord comme membre du Comité supérieur d'études juridiques de la Principauté puis, depuis huit ans, en tant que vice-président du Tribunal suprême, qui est une juridiction administrative et la plus ancienne cour constitutionnelle du monde, puisque créée dès 1911.

En raison des fantasmes que peut susciter Monaco, je soulignerai que le Tribunal suprême est exclusivement composé de juristes français, sans doute pour éviter les risques conflits d'intérêts dans une principauté comptant 30 000 habitants dont 8 000 Monégasques. Cette fonction est intellectuellement stimulante, car le droit y est très spécifique. Financièrement, elle rapporte environ 10 000 euros par an. Nous siégeons trois ou quatre fois par an, pendant deux jours. Cette dernière expérience m'a conduit à représenter Monaco à la Conférence des cours constitutionnelles européennes et à participer à ce qu'on appelle « le dialogue des juges ».

Outre l'indépendance et l'impartialité, j'ai appris au Tribunal suprême à concilier la rigueur juridique, la prudence voire la capacité d'autolimitation, et les droits légitimes des administrés et l'intérêt de l'État.

C'est sans doute la diversité de ces expériences qui a conduit le président Larcher à vous proposer ma candidature. J'aime à penser que c'est aussi parce qu'il a compris que ces activités m'ont enseigné l'importance du discernement, de la pondération et du pragmatisme.

La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique est une institution originale. Son fonctionnement suppose sérieux et compétence, mais aussi prudence et modération. Je ne sous-estime pas la difficulté de sa tâche, tant le nombre de justiciables concernés est considérable. Il faut donc trouver un mode de fonctionnement qui inspire confiance à tous, sans démagogie ni laxisme. Cette institution a déjà montré depuis sa naissance qu'elle peut contribuer à consolider la confiance entre les citoyens et les élites politiques et administratives, c'est-à-dire le ciment politique. Si vous m'accordez vos suffrages, c'est dans cet esprit que j'oeuvrerai.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur le professeur, monsieur le vice-président, maître, je suis heureux de faire votre connaissance, quoique dans des conditions singulières puisque certaines personnes ont découvert le 15 mai que le président Larcher proposait votre candidature, et que beaucoup apprirent hier que nous étions convoqués ce matin.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Le communiqué officiel de la Présidence du Sénat annonçant la proposition de nomination remonte à trois semaines.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Comment se fait-il que nous n'ayons reçu la convocation que vendredi ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Nous aurions pu entendre M. Lemoyne de Forges plus tôt s'il n'avait pas été à l'étranger. La démission de M. Delcamp remonte à un mois et nous avons pensé qu'il était nécessaire de ne pas laisser le siège vacant plus longtemps. Les informations ont été rendues publiques il y a trois semaines. La convocation vous a été adressée mercredi dernier. Elle l'est habituellement le jeudi - qui toutefois était férié la semaine dernière.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

À l'avenir, lorsqu'il y a un communiqué de la Présidence qui concerne la commission, il serait utile que les membres de la commission en soient informés.

Monsieur Lemoyne de Forges, si vous étiez nommé, démissionneriez-vous immédiatement de la vice-présidence du Tribunal suprême de Monaco ? S'agissant de votre activité d'avocat, quels clients avez-vous défendus ? S'agissant de la sécurité sociale et du droit médical, avez-vous défendu des sociétés pharmaceutiques et le cas échéant, lesquelles ? Je pose ces questions par souci de clarté quant au risque éventuel de conflit d'intérêts.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

La plus grande transparence possible concernant les élus est présentée comme un remède aux maux de notre système politique. On peut penser qu'elle produit l'effet contraire. J'ai cru comprendre à vos propos que les vertus du secret vous paraissaient à cultiver. Quel est votre point de vue ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Pour ce qui est de la forme, nous devrions disposer d'un temps de réaction supplémentaire pour les nominations importantes. Je ne suis pas sûr qu'abuser du pin-pon soit la meilleure solution pour arriver rapidement à destination. Pour ce qui est du fond, je partage les questions du président Sueur : entendez-vous renoncer à toute autre activité ? Vu l'importance donnée à cette autorité administrative dite « indépendante », il me paraît nécessaire d'être libre vis-à-vis de tout et de tout le monde. Enfin, jugeriez-vous normal que la déclaration de patrimoine, demandée aux membres de la Haute Autorité, soit publiée ? Lorsqu'on est amené à dire ce qui est bon, il faut d'abord l'appliquer.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je n'ai pas utilisé le pin-pon. Le titulaire a démissionné depuis près d'un mois. Nous aurions pu repousser l'audition d'une semaine, mais la vacance du siège s'allongeait.

Debut de section - Permalien
Jean-Michel Lemoyne de Forges, candidat proposé par le Président du Sénat comme membre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique

Il me semble que la loi dispose qu'en cas de vacance de poste, le titulaire doit être remplacé dans les trente jours. Je suis un peu responsable de la situation actuelle, du fait d'un déplacement.

Pour répondre à vos questions, j'espère qu'il est évident que j'entends me conformer strictement à la loi. Je n'ai pas du tout l'intention de démissionner de la vice-présidence du Tribunal suprême de Monaco. Je suis surpris qu'on envisage que le mandat de membre du collège de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique soit exclusif de toute autre activité. Cette fonction est quasiment bénévole ! La séance est indemnisée 200 euros, avec un plafond annuel de 7 500 euros. Seul le président travaille à temps plein selon un statut particulier. En outre, je ne vois pas quel conflit d'intérêts pourrait exister avec le Tribunal suprême de Monaco.

Je comprends bien vos préoccupations en ce qui concerne mes activités d'avocat. La dernière consultation que j'ai menée pour un laboratoire pharmaceutique a eu lieu il y a plus de vingt ans - je n'étais même pas avocat à l'époque. Les organisations internationales pour lesquelles j'ai travaillé sont le Conseil de l'Europe, la Banque de développement du Conseil de l'Europe, l'Organisation internationale de la vigne et du vin, l'Organisation internationale de métrologie légale et quelques autres petites organisations. Pour le reste, mes clients étaient surtout des médecins, des professionnels paramédicaux et des établissements hospitaliers privés.

Je n'ai pratiqué le droit pénal que deux fois : la première en 1995 pour la Banque de développement du Conseil de l'Europe, et la seconde, plus récemment, pour une affaire dans laquelle un de mes amis, ancien député, avait été mis en cause. Je suis intervenu en soutien de spécialistes du droit pénal.

Je n'ai jamais été membre d'un parti politique ni travaillé pour un homme politique ou pour une collectivité territoriale. Une question déontologique s'est posée lorsque j'étais avocat et président de l'Association française de droit de la santé. J'ai toujours veillé à ce que ces activités soient séparées. Je précise que j'ai pris ma retraite d'avocat l'an dernier et que je suis encore inscrit au barreau pour l'achèvement de quelques affaires, mais je n'ai pas l'intention d'accepter de nouveaux clients.

M. Collombat a posé une question de fond sur la transparence. Depuis 1988, vous, législateurs, avez adopté une série de textes allant vers plus de transparence. Vous avez même accepté que votre propre déontologie soit confiée à un organisme extérieur.

Debut de section - Permalien
Jean-Michel Lemoyne de Forges, candidat proposé par le Président du Sénat comme membre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique

Vous avez raison. J'évoquais le législateur, de façon plus générale. La transparence a ses limites. À un moment, l'exercice risque de frôler le ridicule. Il ne faut pas abuser de la transparence. Pour préciser l'esprit dans lequel j'aborderais ces fonctions, compte tenu de tout ce que j'ai appris, je pense qu'on ne peut pas travailler si on ne part pas du postulat que les gens sont de bonne foi. On peut dialoguer, discuter, mais l'objectif n'est pas de jouer les chevaliers blancs à tout prix. Sur le fond, je ne sais pas si la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a déjà atteint son rythme de croisière. J'ai cru comprendre qu'elle avait des moyens limités. Il faut simplement trouver un mode de fonctionnement raisonnable. Enfin, il s'agit d'un organe collégial : aucun membre ne pourrait à lui seul la faire évoluer, si cela était nécessaire.

La réunion est reprise à 9 h 55