Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre assemblée représentant les collectivités territoriales, il nous incombe à nous, sénateurs, de les accompagner dans leur évolution et d’œuvrer pour moderniser leur gouvernance et leur bonne gestion.
C’est dans cet esprit que je vous propose de faire évoluer le statut de Paris, en étendant les pouvoirs de police du maire de Paris.
Cette proposition, cosignée par mes collègues Pierre Charon et Philippe Dominati, comme moi sénateurs de Paris, s’inscrit du reste dans la continuité d’un long processus de « normalisation » du statut de Paris, qui a commencé avec un premier texte en 1975, qui a induit l’élection d’un maire à Paris en 1977 et qui s’est poursuivi jusqu’en 2002, lorsque nous avons adopté, « petitement », l’élargissement des pouvoirs de police du maire de Paris à la police du stationnement et à la police de circulation.
C’est donc non une rupture radicale que je vous propose, mais la poursuite d’une modernisation, qui, il faut le dire, part de très loin.
En effet, si Paris est la seule municipalité en France dont le maire ne détient pas le pouvoir de police, c’est que l’Histoire a pu le justifier.
Oui, mes chers collègues, Paris est historiquement une des villes les plus denses du monde : en 1800, on comptait déjà 700 000 Parisiens répartis sur 3, 4 kilomètres carrés, ce qui représente une densité proche de celle que nous connaissons aujourd’hui, avec 2, 1 millions d’habitants sur 10 kilomètres carrés. Mais cette concentration humaine a souvent défié le pouvoir de l’État.
Louis XIV s’installa à Versailles pour fuir Paris, où menaçait la Fronde ! Un peu plus d’un siècle plus tard, la population parisienne, en pleine Révolution, ramenait la famille royale à Paris pour la juger. On peut penser que la défiance des Parisiens contre l’État a pu inciter Napoléon Bonaparte – il avait une certaine expérience à cet égard puisque, en 1795, il avait arrêté l’insurrection royaliste rue Saint-Honoré, devant l’église Saint-Roch, en faisant tirer au canon sur les partisans de la monarchie qui manifestaient, dont 300 furent tout de même tués : les moyens de l’époque avaient des effets beaucoup plus dévastateurs que les grenades lacrymogènes ! –, au lendemain de son coup d’État, à rattacher au pouvoir central les attributions de police générale qui dépendaient de la commune de Paris ; c’est le fameux arrêté du 12 messidor an VIII – c'est-à-dire le 1er juillet 1800 –, qui confie au préfet, représentant de l’État, les pouvoirs de police afin d’assurer le maintien de l’ordre public dans une capitale en proie aux soulèvements. C’est cet arrêté qui marque et structure encore aujourd’hui la police parisienne.
L’Histoire donna raison à Bonaparte. Lors de la révolution ouvrière de 1848, Ledru-Rollin disait des barricades qu’elles sont « la passion héréditaire de la population parisienne ».
Plus tard, pendant la Commune, en 1871, le chef du gouvernement, Adolphe Thiers, fit cette déclaration fracassante : « Paris sera soumis à la puissance de l’État, comme un hameau de cent habitants ! »
Paris l’insoumise, Paris qui défiait l’autorité de l’État devait être surveillée de près par la police nationale.
Une métropole aussi dense nécessitait par ailleurs une attention particulière en matière de lutte contre l’insalubrité : ce fut l’objet de la mission de police confiée en 1859 au préfet Hausmann.
Bref, en regardant l’histoire de Paris, on comprend que l’État ait voulu assurer l’ordre public et la salubrité à Paris, mater les révoltes, avec des moyens qu’il contrôle : une police nationale, sous l’autorité d’un préfet aux ordres du ministre de l’intérieur. D’ailleurs, jusqu’en 1975, Paris n’avait pas de maire, mais était gouvernée par un préfet. Et aujourd’hui encore, les pouvoirs de police du maire sont, à Paris, largement concentrés entre les mains du préfet, qui assiste à chaque conseil de Paris. Je le remercie d’ailleurs d’être présent aujourd'hui au Sénat.
La question que je pose avec mes collègues Pierre Charon et Philippe Dominati est la suivante : la confiscation des pouvoirs de police du maire de Paris par le préfet, héritée de Napoléon Bonaparte – un insulaire comme moi, à défaut d’être un modèle de démocratie ! – n’est-elle pas devenue obsolète ? Le temps des révolutions n’est plus, d’autres formes de contestation ayant désormais pris le relais, et si les réformes de 1975, de 1982 et de 2002 ont permis un élargissement progressif des pouvoirs de police du maire de Paris, ce dernier n’a toujours pas les moyens opérationnels d’exécuter ses propres décisions.
Un exemple : la maire de Paris peut bien décider de multiplier par trois le prix du stationnement, comme elle l’a fait récemment, les Parisiens savent que ni la verbalisation ni le recouvrement des contraventions ne sont une priorité pour la préfecture de police. Du coup, 85 % des Parisiens ne paient pas le stationnement, privant la ville d’une recette substantielle ! La loi peut bien confier au maire de Paris la responsabilité de fixer le montant des amendes, la Ville n’a pas les moyens humains d’en assurer le recouvrement !
En effet, les 1 848 agents de surveillance de Paris, les ASP, chargés d’assurer le respect de la police du stationnement – ce sont eux, chers collègues de province, qui mettent des contraventions –, comme les 4 127 agents administratifs de la Ville de Paris chargés de délivrer les licences de taxi et de gérer les formalités administratives sur les polices spéciales, ne sont pas placés sous l’autorité du maire, mais sous celle du préfet.
Or la Ville finance tout ce personnel : chaque année, 300 millions d’euros prélevés sur le budget de la Ville servent à financer ces 5 975 agents aux ordres du seul préfet !
Mes chers collègues, la mairie de Paris finance 41, 8 % du budget total d’une police qu’elle ne contrôle pas ! Qui d’entre vous accepterait une telle situation ?
La maire actuelle, Mme Anne Hidalgo, parle de « coproduction » entre la mairie et la préfecture de police. Voilà un concept surprenant : vous payez, et vous n’avez aucune autorité sur les gens que vous payez.
Quel est le maire de France, le président de conseil général – le Conseil de Paris est aussi conseil général – ou le président de région qui accepterait une telle situation ?
Et c’est sans compter que, en plus de ces 300 millions d’euros versés à la préfecture, la Ville finance déjà ses propres agents municipaux : 650 inspecteurs de sécurité, 900 agents d’accueil et de surveillance et 96 inspecteurs de salubrité, qui forment un embryon de police municipale fort de 1 646 agents. Pour créer une police municipale à Paris, il suffirait d’intégrer à cette équipe d’agents municipaux les 1 848 agents de surveillance de Paris. On aurait ainsi, sans que l’État ait à débourser le moindre centime, un effectif total de 3 494 agents, ce qui n’est pas négligeable ! Et cela peut se faire à budget constant puisque la mairie assure déjà le financement de ces agents.
Vous l’aurez compris, le statut actuel n’est pas cohérent en termes d’organisation, et il ne l’est pas non plus en termes d’efficacité !
Il n’est pas en phase avec l’évolution des usages et des mentalités.
En outre, cette dilution des responsabilités en matière de police pose un vrai problème en termes politiques. Nous avons voté il y a trois mois, au Conseil de Paris, un contrat parisien de prévention et de sécurité pour la période 2015-2020 : voilà 160 pages d’objectifs qui, comme ceux du précédent plan quinquennal, ne seront pas atteints. Pourquoi ? Parce que la maire de Paris n’est pas responsable devant les électeurs de l’exercice du pouvoir de police !
Quand on l’interroge sur les résultats, elle répond : « Ce n’est pas à moi, mais au préfet de rendre des comptes ! » Et le préfet n’a que faire de l’atteinte de ces objectifs, car lui n’est pas responsable politiquement ! Quant aux vingt maires d’arrondissement, qui recueillent quotidiennement les inquiétudes et les plaintes de leurs administrés, ils ne peuvent rien faire non plus ! Heureusement, les bonnes relations qu’entretient le préfet de police avec les commissaires de quartier permettent de régler quelques problèmes…
Ce petit jeu où personne n’est responsable a, au fond, toujours arrangé les maires de Paris, de droite comme de gauche, car la sécurité est un piège électoral pour le maire en place, surtout dans la capitale.
Par ailleurs, les ministres de l’intérieur successifs ont naturellement préféré conserver un pouvoir étendu sur la capitale. Voilà pourquoi les différentes propositions de réforme des pouvoirs de police du maire de Paris sont toujours restées lettres mortes : je pense aux propositions de loi de Pierre-Christian Taittinger et Dominique Pado en 1986, de Raymond Bourgine en 1990, de Laurent Dominati, Gilbert Gantier et Claude Goasguen en 1999, et à la mienne en 2012.
La chance souriant aux audacieux, la présente proposition sera peut-être la bonne ! Aujourd’hui, alors que la maire de Paris et le ministre de l’intérieur sont de la même couleur politique, j’espère que le Gouvernement profitera de notre initiative sénatoriale pour amorcer un dialogue avec la mairie de Paris, afin de réformer le statut archaïque de Paris en matière de police municipale.
Hélas, j’en doute, car il semble que le Gouvernement ne fasse pas franchement confiance à la capacité d’action de la maire de Paris. C’est du moins ce qu’a laissé entendre le Gouvernement lorsqu’il a émis un avis défavorable sur un amendement de mon collègue Olivier Cadic au projet de loi Macron prévoyant que le Conseil de Paris détermine le nombre de « dimanches du maire » pour l’ouverture des commerces le dimanche.
M. Macron a invoqué le fait que la dérogation au repos dominical relevait de « l’ordre public », dont le préfet de police est le gardien, pour priver la maire de Paris, seul maire de France dans ce cas, d’un pouvoir de décision sur ce point. En réalité, l’État est réticent à confier à la maire de Paris des décisions aussi importantes en matière d’ouverture de commerce comme il l’est en matière de police. On peut s’interroger sur les relations qui existent entre le Gouvernement et la maire de Paris, pourtant du même bord !