Intervention de Marylise Lebranchu

Réunion du 21 mai 2015 à 15h00
Pouvoirs de police à paris — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Marylise Lebranchu :

Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat est saisi d’une proposition de loi tendant à modifier le régime applicable à Paris en matière de pouvoirs de police. Ce n’est pas tout à fait une surprise puisque cette question avait été abordée lors de la discussion du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, devenu la loi MAPTAM.

La proposition de loi a pour objectif d’accroître les pouvoirs de police du maire de Paris. Après avoir beaucoup discuté de cette question difficile avec le ministre de l’intérieur, je crains que la réponse que lui et moi nous sommes accordés à y apporter ne déçoive quelque peu les auteurs de la proposition de loi, ainsi que la commission.

La proposition de loi concède au préfet de police des pouvoirs assez résiduels en matière de circulation et de stationnement, pour lui permettre d’assurer la protection des institutions de la République et des représentations diplomatiques : c’était bien le moins !

Étant donné le bouleversement que vous proposez, vous comprendrez que le Gouvernement ait examiné le texte longuement et précisément, en prêtant une attention aiguë à chacune de ses dispositions.

Quel est l’état du droit ? Comme cela a été rappelé, depuis 1667, l’autorité de police exerce à Paris un bloc de compétences unifié en matière d’ordre public et de sécurité, concentrant et les compétences de l’État et celle de la police municipale. Cet héritage de l’Ancien régime a été confirmé par la loi du 28 pluviôse an VIII et par l’arrêté du 12 messidor an VIII, qui, dans un souci d’efficacité, a confié à une autorité unique l’intégralité des pouvoirs de police dans la capitale.

Depuis lors, plusieurs lois ont étendu la compétence du maire de Paris : la loi du 29 septembre 1986; la loi du 27 février 2002 et la loi MAPTAM du 27 janvier 2014, notamment.

Avec cette proposition de loi, vous souhaitez aller beaucoup plus loin, en franchissant une marche considérable puisque le maire de Paris deviendrait le détenteur de droit commun des pouvoirs de police générale, tandis que le préfet de police n’exercerait plus qu’une compétence liée à la lutte contre les atteintes à la tranquillité publique et au respect du bon ordre à l’occasion des grands rassemblements.

Cela provoquerait un grand bouleversement, y compris pour les forces de police étatisées, qui seraient placées sous l’autorité du maire puisqu’elles devraient exécuter des arrêtés pris par lui – rien que cela !

Si j’en crois l’exposé des motifs, la question est de savoir si l’héritage ancien de la police parisienne est conforme à notre droit, s’il se justifie au titre de l’organisation administrative et s’il peut être comparé à ce qui existe dans les capitales de semblable importance.

J’avoue être assez dubitative. Contrairement à ce que vous avancez, le bloc de compétences dont dispose le préfet de police n’est pas attentatoire au principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales. C’est le sens de la décision du Conseil constitutionnel du 9 juillet 1970. En outre, dans sa décision Guyot du 10 octobre 2013, le Conseil d’État a estimé qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité à la Constitution des pouvoirs étendus en matière de circulation dont dispose le préfet de police. Il n’y a donc aucun problème juridique ; je pense que tout le monde finira par s’accorder sur ce point.

Vous insistez ensuite sur la singularité qui caractériserait la France. C’est oublier que bien d’autres pays connaissent une situation similaire. Je pense notamment aux États-Unis, dont la capitale, Washington, ne constitue pas un État de l’Union, mais un district fédéral, au sein duquel le pouvoir fédéral exerce des pouvoirs de police en lieu et place du maire. Il en est de même au Royaume-Uni : à Londres, les missions de la Metropolitan police sont très similaires à celles de la préfecture de police, et le responsable est nommé par le pouvoir central.

En aucun cas la France n’est donc isolée dans sa conception de la sécurité au sein de sa capitale.

Votre proposition de loi a aussi, certainement en toute bonne foi, un objet caché : pointer la responsabilité de la maire de Paris. Je veux m’inscrire en faux contre une telle démarche. Vous ne pouvez pas imaginer, ne serait-ce qu’un instant, que la maire de Paris et le préfet de police, lui-même placé sous l’autorité directe du ministre de l’intérieur, ne soient pas en permanence en relation, déterminés à assurer la sécurité des Parisiennes et des Parisiens.

La maire de Paris est parfaitement au fait des enjeux de sécurité à Paris. Elle interpelle le Gouvernement aussi souvent que nécessaire, lorsqu’il s’agit de défendre la sécurité de ses administrés. Du reste, le 21 avril dernier, le ministre de l’intérieur et la maire de Paris ont, ensemble, à la suite d’une décision concertée, pu inaugurer un commissariat de police à la gare du Nord, ce qui démontre la parfaite entente entre l’État et la Ville de Paris dans la défense de la sécurité des Français, et la capacité qui en résulte à prendre des initiatives fortes ; celle-ci en est une, à l’évidence.

Cette entente s’est également manifestée au moment des attentats des 7, 8 et 9 janvier dernier, avec la mise en œuvre du plan Vigipirate dans la capitale. Vous le savez bien, le ministre de l’intérieur, le préfet de police et la maire de Paris échangent régulièrement sur ces questions.

J’en arrive à la principale difficulté que soulève votre proposition de loi.

Dans votre exposé des motifs, vous évoquez des enjeux de visibilité, de responsabilité politique, d’organisation administrative du territoire, mais vous n’évoquez jamais, à bien y regarder, les enjeux de sécurité stricto sensu.

Si elle était adoptée, votre proposition de loi aurait pour effet de désorganiser profondément la préfecture de police et, partant, les forces de police, qui font un travail remarquable dans la capitale. C’est très exactement l’inverse de ce que recherche le Gouvernement, qui souhaite, au contraire, renforcer autant que possible la cohésion, l’intégration, l’échange d’informations et la coopération entre les différentes directions de la police, y compris à Paris.

La préfecture de police est un bloc. Elle tire son efficacité et sa réactivité de l’intégration des missions qui lui sont confiées, en matière de sécurité publique, d’ordre public et de polices administratives, concourant à la sécurité comme à la sûreté. Elle tire cette même efficacité d’une chaîne hiérarchique unique, qui permet de faire face aux défis d’une ville pas tout à fait comme les autres : Paris appartient, certes, aux Parisiens, mais elle appartient aussi à la communauté nationale ; elle accueille des millions de touristes étrangers ; elle est le siège de représentations diplomatiques nombreuses, d’institutions internationales ; elle concentre des points d’intérêts vitaux pour la Nation et pour le rayonnement de la France.

La gestion de sa sécurité, hautement sensible – vous en convenez –, appelle donc une organisation particulière qui, dans l’histoire contemporaine, a donné toutes les preuves de sa pertinence. Compromettre cet édifice d’une efficacité éprouvée serait, sans aucun doute, une erreur, peut-être même une faute.

Face aux défis nouveaux auxquels nous sommes désormais malheureusement confrontés – je pense naturellement à la lutte contre le terrorisme –, il me semble en effet inopportun de fragiliser cette organisation, qui, dans le cadre de la police d’agglomération, intègre depuis 2009 les départements de la petite couronne pour mieux prendre en compte la mobilité de la délinquance, comme le caractère diffus de la menace terroriste. À cet égard, il faut savoir que les départements qui sont un peu au-delà demandent parfois à intégrer ce système.

J’observe enfin que la proposition de loi, qui tend à banaliser l’organisation des pouvoirs de police à Paris, se garde bien de toucher, sans doute parce qu’elle ne le peut pas, à l’exception que constitue l’organisation du service public de secours et de lutte contre les incendies, lui aussi placé sous l’autorité du préfet de police. La logique d’alignement sur le droit commun qui inspire les auteurs de la proposition de loi n’est donc pas poussée à son terme sur le sujet primordial de la sécurité civile, ce qui ne laisse pas d’interroger.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les auteurs de la proposition de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, toutes les organisations gagnent à se moderniser, c’est vrai, à se réformer, sans doute, à renforcer leur efficience, c’est évident. La préfecture de police n’échappe pas à cette dynamique, elle n’est pas confinée dans l’immobilisme. Elle a mis et met en œuvre des réformes de structures importantes, sur le plan administratif comme en matière opérationnelle. Elle entretient avec la mairie de Paris et les élus parisiens une relation permanente, dense et confiante.

Selon nous, le présent texte remet en cause les fondamentaux de son organisation et remettra en cause, par là même, la solidité et la cohérence de l’édifice, parfaitement adaptée aux exigences particulières de la sécurité de notre capitale, qui intéresse les Parisiens et tous ceux qui passent par Paris, ne serait-ce que pour un court séjour.

C’est pourquoi, monsieur Pozzo di Borgo, je vous demande de retirer votre proposition de loi. Cependant, je tiens à vous dire que tout texte, même avec un avis aussi défavorable du Gouvernement, fait avancer les sujets. Sans doute, sur tel ou tel point, faut-il continuer à travailler, mais vous devez savoir que le ministre de l’intérieur et le préfet de police sont aussi soucieux de poursuivre ce travail. Néanmoins, à nos yeux, ce n’est pas cette option qui nous permettra d’être plus efficaces. Je crois que nos efforts en la matière ont été démontrés, même si, aujourd’hui, j’appelle chacun, en responsabilité, à faire preuve de beaucoup de vigilance.

Quoi qu'il en soit, je remercie les uns et les autres de nous avoir donné l’occasion de débattre de cette question.

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