Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous abordons cet après-midi la proposition de loi, présentée par trois de nos collègues de l’UDI-UC et de l’UMP, MM. Pozzo di Borgo, Pierre Charon et Philippe Dominati, tendant à modifier le régime applicable à Paris en matière de pouvoirs de police.
Cette proposition de loi vise à transférer au maire – ou à la maire – de Paris les compétences de police attribuées au préfet de police. En effet, en l’état actuel du droit, le régime applicable à Paris en matière de pouvoirs de police est dérogatoire du droit commun. Cette exception au régime général trouve son origine dans l’histoire de nos institutions, comme l’a très bien rappelé Mme la ministre.
Avant de vous faire part de la position de mon groupe sur les finalités de cette proposition de loi et les conséquences importantes, voire dangereuses, qu’induirait cette modification législative du point de vue de la sécurité des Parisiennes et des Parisiens, je souhaite revenir sur l’histoire de ce régime particulier.
Depuis 1667, l’autorité de police à Paris exerce un bloc de compétences unifié en matière d’ordre public et de sécurité, concentrant ainsi à la fois les compétences étatiques et les compétences municipales. La préfecture de police a été créée par Napoléon Bonaparte et exerce l’intégralité des pouvoirs de police sur la capitale dans le but de renforcer son efficacité pour la préservation de l’ordre public.
Ces particularités correspondent également aux contraintes spécifiques à Paris, qui est une capitale où siègent les institutions de la Républiques et de nombreuses représentations diplomatiques en même temps qu’elle constitue, avec sa couronne, la première agglomération de France et que, chaque année, elle accueille 29 millions de touristes et voit se dérouler environ 7 000 manifestations revendicatives.
Contrairement à ce qu’affirment les auteurs de la présente proposition de loi, cette répartition des compétences n’est pas attentatoire au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territorial. Mme la ministre a pertinemment rappelé qu’il existait des exemples similaires de police dans de grands pays, comme à Washington, capitale de l’État fédéral des États-Unis, ou, encore plus près de chez nous, à Londres.
Considérant le régime actuel comme archaïque, les auteurs de la proposition de loi entendent moderniser le dispositif en créant une police municipale. Cependant, ce texte entraînerait, s’il était adopté, des bouleversements majeurs de l’ordre juridique qui encadre l’action du préfet de police et du maire ou de la maire de Paris. En effet, celui-ci ou celle-ci deviendrait alors le détenteur de droit commun et le préfet de police n’exercerait plus qu’un pouvoir de police résiduel.
Cette situation conduirait à un démembrement de la préfecture auquel nous sommes opposés. Ce qui m’interpelle dans ce texte, c’est que, sous prétexte d’améliorer la sécurité des Parisiens, on casse ce qui fonctionne bien ! La droite républicaine s’est toujours voulue championne de la lutte contre la délinquance. Or, aujourd’hui, messieurs, vous jouez un peu avec la sécurité des Parisiens en prenant le risque d’affaiblir la préfecture de police. Là où vous vous placez dans le registre de la communication, la gauche démontre encore une fois son sérieux et agit !
J’ajoute que la Ville de Paris n’a jamais eu la volonté de créer de police municipale, qu’elle que soit l’étiquette politique de son maire, de Jacques Chirac à Anne Hidalgo. Pour avoir le privilège de siéger au Conseil de Paris depuis fort longtemps, je me rappelle les positions tranchées sur ce sujet de Jacques Chirac. Lors de la dernière élection municipale, la candidate de l’UMP à la mairie de Paris s’y était dans un premier temps montrée défavorable ; elle a ensuite changé de position et en a fait un de ses thèmes de campagne. Force est de constater que les Parisiennes et les Parisiens ont tranché ce débat en votant majoritairement pour les listes soutenues par Anne Hidalgo.
Cependant, en mars dernier, à l’occasion d’une séance du Conseil de Paris, les groupes UMP et UDI revenaient à la charge en proposant une délibération tendant à organiser un référendum local à Paris sur la création d’une police municipale. La majorité municipale a repoussé cette proposition. Anticipant ce rejet, notre collègue Yves Pozzo di Borgo avait déjà annoncé au Conseil de Paris qu’il déposerait une proposition de loi au Sénat pour, d’après le bulletin municipal, « que la police municipale soit au moins acceptée au Sénat, où nous sommes majoritaires ».
Je ne suis pas certain que ce procédé soit la meilleure façon de légiférer dans l’intérêt général… En effet, après avoir utilisé l’assemblée parisienne pour refaire le débat perdu des dernières élections municipales, voilà qu’on utilise le Sénat pour remettre la question sur le tapis ! Je considère que, comme l’a rappelé le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, ce texte constitue une intrusion dangereuse des débats du Conseil de Paris dans l’enceinte du Parlement et engendre des polémiques politiciennes inutiles.
La préfecture de police est une institution forte, qui fonctionne ; elle a d’ailleurs démontré son efficacité. Depuis sa création, elle a su se réformer et s’adapter pour garder sa valeur ajoutée au service de la sécurité des Parisiens. J’en veux pour preuve la réorganisation des services de la préfecture à l’échelon de l’agglomération parisienne, qui a ainsi anticipé en la création de la métropole du Grand Paris.
La proposition de loi qui nous est soumise prévoyait initialement le démantèlement de cette institution. En effet, l’amendement que vous avez introduit par la commission des lois sur votre initiative, monsieur le rapporteur, édulcore la proposition initiale. En étant un peu taquin, je dirai que l’on peut deviner, derrière cette modification, l’intervention d’un ancien ministre de l’intérieur, ancien Président de la République et président d’un parti représenté par un groupe majoritaire dans notre assemblée, qui n’aurait pas tout à fait apprécié le texte dans sa version initiale, vous amenant ainsi à trouver une solution de compromis.
Je considère que la remise en cause de l’équilibre actuel porte atteinte à la cohérence et, par là même, à l’efficience de l’action de la préfecture de police. Elle priverait les Parisiens des synergies et des économies d’échelle du modèle actuel. Au demeurant, le coût d’une telle réforme pour les finances publiques n’a pas été mesuré et aucune étude d’impact n’a été commandée pour en étudier les effets.
C’est la raison pour laquelle je ne partage pas l’avis de notre rapporteur, selon lequel il y a lieu de renforcer les responsabilités du maire ou de la maire de Paris et d’aligner le droit applicable sur celui des autres communes de France. Cet argument ne me paraît pas pertinent : Paris, capitale de la France, n’est pas n’importe quelle ville française !
Je rappelle qu’après avoir assumé la décision du gouvernement de François Fillon, aujourd’hui député de Paris, de supprimer près de 1 600 postes de policiers à Paris, les auteurs de ce texte souhaiteraient que la ville puisse compenser ces suppressions par la création d’une police municipale.
La majorité municipale parisienne ne souscrit pas à ce raisonnement. Elle considère que la sécurité des Parisiens doit rester une prérogative de l’État, et la maire de Paris et sa majorité travaillent étroitement avec le ministre de l’intérieur pour que Paris bénéficie davantage de police nationale, de plus de police de proximité, que vous avez d’ailleurs détruite. Je rappelle que c’est Nicolas Sarkozy, lui encore, qui, alors qu’il était ministre de l’intérieur, est revenu sur cette réforme, pourtant efficace, qui avait été mise en place par Jean-Pierre Chevènement.
Je me félicite que Paris ait été entendu par les différents ministres de l’intérieur qui ont exercé cette fonction depuis 2012 – d’abord Manuel Valls, aujourd’hui Premier ministre, puis Bernard Cazeneuve – et qui ont permis à Paris de retrouver un nombre de policiers plus conforme aux besoins.
Remplacer la police nationale par une police municipale n’est pas la solution, et vous le savez.
Face au risque terroriste de plus en plus pressant que connaissent notre pays et notamment sa capitale, le dispositif prévu par cette proposition de loi conduirait à affaiblir la préfecture de police à une période où elle doit faire face à des enjeux majeurs.
Incontestablement, dans le contexte actuel, nous avons besoin d’une police nationale républicaine solide, confortée dans ses effectifs et dans ses moyens. C’est le message que nous ont adressé les milliers de Parisiens qui se sont dressés contre le terrorisme le 11 janvier dernier.
Il est clair que votre proposition de loi constitue un très mauvais signal, voire une manifestation de défiance à l’égard des personnels de la préfecture de police, qui œuvrent au quotidien au service des Parisiens pour leur sécurité.
En conclusion, je voudrais dire à M. le rapporteur que l’argument selon lequel ce système ne serait pas efficace parce que l’argent des amendes ne rentrerait pas dans les caisses, n’est pas recevable. En effet, les automobilistes en infraction sont bel et bien verbalisés ; c’est au niveau du recouvrement des amendes que se situe le problème.
J’entends aussi dire que les fonctionnaires de police qui assurent le « barriérage » des voies, par exemple à l’occasion du marathon, seraient mieux employés s’ils étaient affectés à des missions de sécurité. Mais pensez-vous vraiment, chers collègues, qu’on pourra envoyer ces fonctionnaires-là assurer l’ordre dans les cités ou arrêter les dealers et les toxicomanes ? Ce n’est pas sérieux !
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe socialiste votera contre cette proposition de loi, même si le débat mérite d’être ouvert. Je pense toutefois qu’il doit l’être de manière sereine et non politicienne.