Intervention de Dominique Watrin

Réunion du 20 mai 2015 à 14h00
Débat sur le rétablissement de l'allocation équivalent retraite

Photo de Dominique WatrinDominique Watrin, au nom du groupe CRC :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le 6 novembre dernier, le Président de la République a déclaré refuser « qu’une personne de soixante ans vive avec moins de 500 euros par mois. Pour les seniors qui ont toutes leurs annuités et qui ont plus de soixante ans il sera mis en place une allocation leur permettant d’aller jusqu’à la retraite dans de bonnes conditions. Pour ceux qui n’ont pas toutes leurs cotisations, un contrat aidé ».

Ces propos tenus devant 8 millions de téléspectateurs nous avaient alors donné bon espoir que le Gouvernement décide de rétablir l’allocation équivalent retraite, l’AER, supprimée par Nicolas Sarkozy en 2011.

L’allocation équivalent retraite était le minimum social majoré versé aux demandeurs d’emploi ayant la durée requise pour bénéficier d’une retraite à taux plein, mais n’ayant pas encore l’âge d’ouverture des droits pour la liquidation de leur retraite.

Or la création en urgence de l’allocation transitoire de solidarité, l’ATS, et son extension en 2013 par décret n’a pas permis de remplacer le dispositif antérieur.

En effet, l’ATS est censée bénéficier à tous nos concitoyens nés en 1952 ou en 1953, inscrits à Pôle emploi au 31 décembre 2010 et justifiant de 165 trimestres d’assurance.

Cependant, de nombreuses Françaises et de nombreux Français, nés en 1952 ou en 1953, inscrits à Pôle emploi au 31 décembre 2010 et justifiant des 165 trimestres nécessaires ont été exclus du dispositif, car les trimestres validés au titre du bénéfice de l’allocation de solidarité spécifique ne sont pas pris en compte.

C’est d’ailleurs un comble puisque ce sont précisément ces publics en fin de droits qui ont besoin du dispositif et que l’on pénalise par cette règle. Ce constat aurait dû conduire le Gouvernement à une refonte du système pour revenir à l’ancienne allocation équivalent retraite ou à tout autre système produisant les mêmes effets.

Lors d’une question orale sur le sujet le 14 octobre 2014, M. le ministre du travail m’avait répondu, en se fondant sur un rapport du Gouvernement, qu’il était plus juste et efficace d’étendre davantage l’allocation transitoire de solidarité plutôt que de rétablir l’allocation équivalent retraite.

Je voudrais signaler que ce rapport dont M. le ministre du travail faisait état dans sa réponse, qui devait être rendu public, selon lui « dans la semaine », est, sept mois après, toujours introuvable sur le site du ministère et n’a jamais été présenté à la commission des affaires sociales du Sénat.

Le 26 mars 2015, M. le ministre déclarait que pour les années 1954, 1955 et 1956 le Premier ministre annoncerait « dans les jours à venir » la mise en place de l’extension de l’ATS. Or, à ce jour, elle ne bénéficie toujours qu’aux chômeurs nés entre 1952 et 1953, et sous les conditions restrictives que j’ai expliquées.

En attendant, nous sommes en mai 2015 et malgré le million de chômeurs âgés en France, le Gouvernement n’a toujours pas décidé de rétablir l’AER, qui leur permettrait de vivre décemment jusqu’à la liquidation de leur pension. Un pays aussi riche que la France, qui sait dégager des dizaines de milliards d’euros pour exonérer de cotisations sociales les entreprises, en premier lieu celles du CAC 40, serait-il donc incapable d’assurer un revenu décent à ceux qui ont créé durant des années cette richesse ?

Comme nous l’a écrit le collectif AER-ATS « des seniors au chômage de longue durée et arrivés en fin de droit d’indemnisations se trouvent en situation de grande précarité avec seulement l’allocation spécifique de solidarité, soit 477 euros par mois pour se loger, assumer leurs charges et se nourrir ».

C’est le cas, par exemple, de Florence, citée dans le journal l’Humanité du 13 mars 2015, qui percevait 900 euros par mois d’assurance chômage. Aujourd’hui, la chômeuse doit se contenter de 477 euros d’allocation spécifique de solidarité. Alors l’été, pendant la période des récoltes, Florence retrousse ses manches et trie les grains de maïs à la chaîne huit heures par jour.

Je suis moi-même saisi dans ma circonscription, le Pas-de-Calais, de situations dramatiques tels ces salariés licenciés en février 2013 par la société Meca stamp international à Hénin-Beaumont. Une douzaine de personnes ayant travaillé à la forge dans des conditions très difficiles, soumises pendant plus de vingt ans au bruit, à la chaleur, à la poussière, aux travaux répétitifs, aux vibrations, aux postes en 3x8, aux postes de nuit, se retrouvent au Secours populaire ou aux Restos du cœur. Voilà l’avenir que promet la France à des familles qui ont cotisé plus de trente-sept ans ! Cela ne peut plus durer !

Cette illustration du quotidien de milliers de Françaises et de Français devrait conduire le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le secrétaire d'État, à prendre enfin les décisions nécessaires.

Alors oui, j’ai bien compris ce que m’a répondu M. le ministre du travail le 14 octobre 2014 : il renvoyait aussi cette question à l’amélioration de l’emploi des plus de cinquante ans et à la lutte contre le chômage de longue durée. Il parlait de cibler les contrats aidés dans le secteur marchand sur ce public. Il parlait de combattre les discriminations dont sont victimes, dans le maintien à l’emploi, les salariés au-delà de quarante-cinq ans. Il parlait du développement des contrats de génération et de l’amélioration de la formation de ces seniors via 100 000 formations prioritaires à Pôle emploi.

Mais quelle est la réalité aujourd’hui ?

Les contrats de génération ont toujours du mal à être signés malgré le doublement des aides accordées aux entreprises. Ces contrats de génération étaient censés permettre aux entreprises de moins de 300 salariés qui embauchent un jeune de moins de vingt-six ans en CDI tout en maintenant un senior de plus de cinquante-sept ans dans l’emploi de toucher une aide annuelle de 4 000 euros pendant trois ans. Malgré le doublement de l’aide depuis septembre, seuls 33 000 contrats ont été enregistrés depuis deux ans, loin de l’objectif initial de 75 000 contrats signés.

Selon une étude récente de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, le nombre de contrats aidés dans le secteur marchand a certes progressé. Mais les contrats uniques d’insertion, qui représentent la majeure partie des contrats aidés, et qui sont censés bénéficier aux plus éloignés de l’emploi, ont reculé de 8, 1 % tandis que les signatures d’emploi d’avenir ont, elles, nettement progressé.

Quant aux formations assurées par Pôle emploi pour la reconversion des seniors, il n’en est fait mention dans aucune des communications récentes du Gouvernement. Faut-il en conclure qu’il s’agit d’un renoncement supplémentaire ? Nous attendons des précisions de votre part, monsieur le secrétaire d'État. Car, enfin, le taux d’emploi des seniors en France était en 2014 de 44, 5 %, alors que la moyenne dans l’OCDE est de 54 %. Ainsi, le nombre d’inscrits à Pôle emploi de plus de cinquante ans et sans aucune activité a augmenté de 12, 3 % entre décembre 2012 et décembre 2013.

Le groupe communiste républicain et citoyen, je le dis très solennellement, refuse de laisser les personnes ayant travaillé et cotisé toute leur vie continuer à se retrouver dans une situation de grande précarité, contraintes de vivre avec l’allocation de solidarité spécifique ou le revenu de solidarité active, dont le montant est, faut-il le rappeler, largement inférieur au seuil de pauvreté.

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les seniors concernés ne réclament pas l’aumône. Ils réclament tout simplement leurs droits, notamment celui du départ à la retraite anticipé pour carrières longues ou travaux pénibles.

On voit ici tous les dégâts des lois de réforme des retraites de 2010 et 2013 que les parlementaires communistes ont combattu toutes deux, et qui se traduisent par un report de l’âge de départ en retraite particulièrement injuste pour ceux qui ont travaillé le plus dur.

Certes, des dispositifs existent pour les personnes ayant commencé à travailler avant seize ans et justifiant de longues carrières. Il y a aussi les départs anticipés en cas d’inaptitude ou d’invalidité. Dans la fonction publique, des règles particulières s’appliquent.

Je voudrais tout de même souligner, quant à la pénibilité, les informations qui nous reviennent des salariés. Depuis la mise en place du compte pénibilité, les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail, les CARSAT, n’auraient plus de textes sur lesquels s’appuyer afin de traiter les retraites anticipées à soixante ans pour pénibilité. Elles sont ainsi contraintes de refuser tous les dossiers, prolongeant de deux ans les difficultés des chômeurs seniors.

Il y a donc urgence, monsieur le secrétaire d'État, à régler les problèmes dans leur ensemble, à faire en sorte que des salariés qui ont tant donné pour leur pays ne soient plus victimes d’une injustice sociale.

C’est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen vous demande de rétablir l’allocation équivalent retraite ou de nous expliquer quelles mesures vous comptez prendre pour arriver au même résultat et, a minima, tenir les engagements pris publiquement par le Président de la République, et restés à ce jour sans effets.

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