Intervention de Rémy Pointereau

Réunion du 20 mai 2015 à 14h00
Conditions de saisine du conseil national d'évaluation des normes — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Rémy PointereauRémy Pointereau :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sur l’initiative du président du Sénat, Gérard Larcher, la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, présidée par notre collègue Jean-Marie Bockel, a reçu compétence, par une décision du bureau du Sénat de novembre dernier, d’évaluer et de simplifier les normes applicables aux collectivités territoriales. En tant que vice-président de cette délégation, chargé de la simplification des normes, j’ai souhaité constituer un groupe de travail qui, depuis bientôt quatre mois, s’attelle à la maîtrise de la prolifération normative.

L’effort de simplification engagé par le groupe de travail ne pouvant aboutir sans l’appui des acteurs de terrain, la délégation aux collectivités territoriales a souhaité inaugurer sa nouvelle mission en invitant les élus locaux à répondre à une consultation en ligne à ce sujet à l’occasion de la dernière édition du congrès des maires. Quelque 4 200 contributions ont été recueillies, les trois quarts émanant de maires. Elles ont permis d’identifier les secteurs dont la simplification est jugée prioritaire par les élus locaux : l’urbanisme, pour plus de 60 % d’entre eux ; l’accessibilité, à hauteur de plus de 30 % ; l’achat public et l’environnement, autour de 20 % chacun. En outre, 900 commentaires ont été apportés. Ils sont riches d’enseignements sur l’état d’exaspération des élus face à des normes qui freinent l’action et grèvent les finances des collectivités territoriales.

Fort de ce constat, la délégation aux collectivités territoriales a entendu agir sur le flux de normes ; le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte a constitué pour elle une parfaite entrée en matière. Aussi la délégation a-t-elle confié à mon collègue Philippe Mouiller et à moi-même la rédaction d’un rapport sur les dispositions de ce projet de loi applicables aux collectivités territoriales. Au total, huit propositions avaient été satisfaites à l’issue des travaux des commissions saisies au fond, deux amendements ont en outre été adoptés en séance publique. Si ces résultats encore modestes ne sont pas à la hauteur de nos espérances, notre intervention aura au moins permis de faire de la complexité normative un élément incontournable du débat législatif.

Parce qu’il est essentiel de poursuivre cet effort, j’entends défendre quelques propositions de simplification à l’occasion de l’examen au Sénat du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Mais il importe aujourd’hui d’aller plus loin, en se penchant non sur le flux, mais sur le stock de normes. La délégation aux collectivités territoriales prendra toute sa part dans ce travail de simplification du droit en vigueur. Je souhaite d’ailleurs présenter à l’automne prochain quelques pistes de simplification en matière d’urbanisme et d’aménagement, afin de répondre de manière concrète et ciblée aux préoccupations qui ont été exprimées par les élus locaux. Pour ce faire, je m’appuierai sur l’excellent travail de notre collègue Éric Doligé en ce domaine.

La délégation aux collectivités territoriales ne peut, à elle seule, faire avancer le chantier de la simplification du stock de normes ; le Conseil national d’évaluation des normes doit également pouvoir y contribuer pleinement, à condition – j’y insiste – qu’on lui donne des moyens humains et financiers plus importants pour exercer sa mission. Or, comme cela a été rappelé, le décret du 30 avril 2014 pris en application de la loi du 17 octobre 2013 est venu encadrer les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales peuvent demander au Conseil national d’évaluation des normes d’évaluer une norme réglementaire en vigueur et a rendu impraticable la saisine du CNEN par ces dernières. En résulte une situation paradoxale : les élus locaux sont largement exclus d’un outil que le législateur avait pourtant créé à leur attention, à la suite des états généraux de la démocratie territoriale de 2012. À l’époque, on parlait du « choc de simplification » !

Il est regrettable que la proposition de loi de nos collègues Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur, qui, rappelons-le, fut adoptée dans un fort esprit de consensus au Sénat et dont la lettre est pourtant claire – elle tient en deux articles –, ait vu sa portée ainsi amoindrie. C’est pour remédier à cette situation que nous avons souhaité avec le président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, Jean-Marie Bockel, présenter la proposition de loi simplifiant les conditions de saisine du CNEN dont nous débattons aujourd’hui.

Le texte qui résulte des travaux de la commission des lois améliore indéniablement la proposition de loi initiale. Il résout en particulier de façon plus efficace la difficulté résultant de l’exigence, imposée par le décret du 30 avril 2014 à l’auteur d’une saisine, de produire une fiche d’impact de la norme contestée. Si l’on admet volontiers que l’auteur d’une saisine ait l’obligation de la motiver, il incombe en revanche à l’administration à l’origine de la norme, et non à l’auteur de la saisine, d’apporter au CNEN les éléments techniques et financiers nécessaires à la conduite de l’évaluation. Dans la mesure où l’administration a réalisé une étude d’impact avant l’édiction de la norme, il est logique qu’elle en mesure également les conséquences a posteriori.

Cette modification de bon sens est de nature à simplifier la faculté pour les collectivités territoriales de saisir le CNEN, les plus petites communes ne disposant souvent pas des moyens humains et des ressources juridiques suffisants pour produire une fiche d’impact étayée. Elle est également susceptible de faciliter l’exercice par le CNEN de sa mission d’évaluation des normes réglementaires, puisque les rapporteurs qu’il désigne afin d’instruire les demandes et d’élaborer un projet d’avis ne bénéficient pas toujours d’une information complète et de qualité. C’est pourquoi il est légitime d’attribuer à l’administration, dans le déroulement de la procédure d’évaluation, une « charge de la preuve » de la qualité et de l’efficacité de la norme. On ne peut donc qu’approuver la formulation adoptée sur ce point par la commission des lois visant à inverser la charge de la preuve vers l’administration.

Le texte issu des travaux de la commission des lois complète également la proposition de loi initiale en matière de normes relatives aux équipements sportifs, à la suite de l’adoption de l’un de mes amendements. Ces dispositions, dont l’incidence financière est souvent élevée, sont une source d’inflation normative bien connue des élus locaux.

Alors que la gestion des équipements sportifs est assurée à hauteur de 85 % par les collectivités territoriales – cette participation financière est donc très importante –, ces normes sont soumises non à l’avis du CNEN, mais à celui d’une structure dédiée que vous avez évoquée, monsieur le secrétaire d’État, à savoir la commission d’examen des projets de règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs. Un lien existe tout de même entre ces deux instances, puisque la CERFRES peut soumettre, sur décision de son président ou à la demande d’un tiers de ses membres, certains projets de normes à l’avis préalable du CNEN. Mais c’est rarement le cas ! Aussi est-il justifié que la remise d’un avis par le CNEN, préalablement à celui de la CERFRES, ne soit plus l’exception mais devienne la règle. On ne peut que souscrire à la disposition adoptée sur ce sujet par la commission des lois. Il y aura donc désormais un double avis.

Si ces deux avancées sont appréciables et compléteront utilement la procédure d’instruction et le champ de compétences du CNEN, le texte proposé par la commission de lois pourrait néanmoins être amélioré sur deux points précis, sur lesquels j’ai déposé des amendements.

Dans sa rédaction initiale, la proposition de loi introduisait la possibilité de confier aux associations d’élus locaux le droit de saisir le CNEN sur le stock de normes. La possibilité d’une saisine par les associations d’élus me paraît indispensable, puisque celles-ci disposent d’une connaissance des problématiques locales et de moyens d’expertise juridique qui font d’elles des acteurs incontournables de la lutte contre l’inflation normative. Cette saisine aidera le Conseil national d’évaluation des normes à gérer rationnellement l’afflux éventuel de saisines dispersées. C’est pourquoi j’ai souhaité déposer un amendement au texte de la commission, afin de rétablir pour les associations nationales la possibilité d’adresser une demande d’évaluation au CNEN.

Un autre changement intervenu à l’occasion de l’examen du texte en commission est l’inscription, dans le code général des collectivités territoriales, d’un alinéa indiquant que « les demandes d’évaluation sont motivées ». Bien que la codification de cette obligation de motivation ne pose pas problème en soi, elle ne doit pas être perçue pour autant comme un obstacle à la saisine du CNEN par les collectivités territoriales. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé un amendement visant à préciser que cette motivation est « succincte », pour éviter qu’elle ne devienne un pensum.

Je forme le vœu que ces deux amendements aient une issue favorable. Les collectivités territoriales attendent que l’effort de simplification, dont tout le monde reconnaît la nécessité, aboutisse à des résultats concrets et visibles sur le terrain. Je sais, monsieur le secrétaire d’État, pour vous avoir auditionné, que vous souhaitez ardemment avancer dans cette voie. Faisons donc du Sénat le moteur de la simplification des normes !

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