Intervention de Jean-Claude Requier

Réunion du 20 mai 2015 à 14h00
Conditions de saisine du conseil national d'évaluation des normes — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-Claude RequierJean-Claude Requier :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une proposition de loi pour simplifier la saisine du Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, c’est le comble du comble. Voilà où nous mène l’édiction de décrets d’application qui vont au-delà de la loi et l’interprètent à leur façon !

Ces décrets, qui méconnaissent l’esprit de la loi, sinon sa lettre, s’apparentent à l’élaboration d’une véritable loi administrative. Ce genre de pratique de l’administration ne devrait pouvoir se répéter encore à l’infini. Aujourd’hui, notre assemblée est contrainte de se pencher de nouveau sur un sujet dont elle a déjà débattu, sur lequel le Parlement s’est prononcé et dont la lettre comme l’esprit avaient été fixés par les débats parlementaires. Si la Ve République a mis en place des mécanismes de parlementarisme rationalisé, peut-être faudra-t-il penser à mettre en œuvre des mécanismes d’administration rationalisée !

Nous avons déjà, lors des cinq lois de simplification qui se sont succédé depuis 2012, soulevé le fait que c’est le plus souvent le fonctionnement de l’administration qui est en cause, du fait de rigidités structurelles, de certains comportements ancrés dans la pratique et même, pourrait-on dire, d’un certain esprit administratif. Une grande majorité des 900 propositions de simplification contenues dans le programme pluriannuel qui met en œuvre le choc de simplification est d’ordre réglementaire. C’est, par exemple, largement le cas en matière d’environnement, d’urbanisme, de fiscalité et de déclarations des entreprises. Ces dernières doivent plusieurs fois par an communiquer leur chiffre d’affaires, leur respect des normes environnementales ou paritaires, tout cela du fait de l’administration !

Au même titre que les acteurs économiques, les collectivités territoriales sont affectées par le fléau de l’inflation normative. Le seul code général des collectivités territoriales compte 3 500 pages, et ce n’est pas, loin s’en faut, l’unique code applicable dans les collectivités locales : il faut y ajouter le code électoral, le code de l’urbanisme, le code de la construction et de l’habitation, le code de l’environnement, le code de la fonction publique… Selon le rapport de M. Belot, « les 163 projets de normes de l’État qui ont donné lieu à une évaluation en 2009 représentaient plus de 580 millions d’euros [...] ; pour 2010, le coût des 176 projets évalués représentait 577 millions ». Il faut aussi rappeler l’impact financier pour les collectivités territoriales des décrets d’application de la loi Grenelle 2, qui a nécessité plus de 250 décrets et arrêtés. Espérons que la future loi relative à la transition énergétique n’aura pas les mêmes effets dommageables. En tout cas, nous sommes sans illusion sur les effets sur nos collectivités de la « clarification » des compétences qu’opère l’actuelle réforme territoriale.

Le Conseil national d’évaluation des normes est issu d’une proposition de loi sénatoriale déposée en novembre 2012 sur l’initiative de nos excellents collègues Jacqueline Gourault, qui préside ce soir la séance, et Jean-Pierre Sueur, qui siège aujourd’hui au banc de la commission. De façon emblématique, comme le souligne l’exposé des motifs de la présente proposition de loi, le décret portant application de la loi du 17 octobre 2013 méconnaît l’objectif de simplification que cette loi portait. A contrario de la volonté du législateur, ce décret multiplie les conditions de saisine. Il impose, pour qu’une demande d’évaluation soit examinée, la signature d’au moins cent maires et présidents d’établissement public de coopération intercommunale, ou de dix présidents de conseil général, ou de deux présidents de conseil régional, mais aussi la réalisation d’une fiche d’impact présentant entre autres éléments « ses motifs précisément étayés ».

Autant dire que la loi est vidée de sa substance et que le décret d’application fait du Conseil national d’évaluation des normes une simple coquille vide. Autant dire que l’administration craignait des saisines intempestives de la part des élus et tenait à limiter au maximum l’exercice de ce droit créé par la loi. Cette complexification inexpliquée de la saisine du Conseil national d’évaluation des normes montre une certaine défiance envers les élus locaux. Nous saluons donc l’initiative de nos collègues Jean-Marie Bockel et Rémy Pointereau en même temps que nous déplorons d’être obligés d’y recourir. La navette parlementaire devra être succincte et diligente, puisque nous avons déjà débattu à plusieurs reprises de ce sujet.

Le groupe du RDSE votera à l’unanimité le présent texte. Nous espérons ainsi pouvoir faire mentir la définition humoristique que donnait de l’administration l’économiste Georges Elgozy : « Mot femelle qui commence comme admiration et finit comme frustration ».

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