Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les élus des collectivités locales se plaignent depuis longtemps de l’inflation des textes normatifs. Rappelons d’abord que nombre de normes sont justifiées par des raisons tenant, par exemple, à la sécurité, à la santé ou à la préservation de l’environnement. Toutefois, à côté de ces normes nécessaires, d’autres sont plus discutables ou, du moins, leur nécessité peut être remise en cause. Ainsi, beaucoup d’élus se sont plaints de l’édiction de nouvelles normes en matière sportive qui imposent aux communes de modifier les panneaux d’affichage des résultats pour que leur stade soit homologué et puisse accueillir des compétitions d’un certain niveau. De telles décisions peuvent paraître judicieuses aux associations ou aux instances qui les ont prises, mais elles induisent des coûts qui s’imposent aux élus et pèsent sur les contribuables. Autrement dit, si certaines normes sont indispensables, d’autres ne le sont pas et leur mise en œuvre peut très légitimement donner lieu à des discussions au regard des contraintes et coûts qu’elles induisent.
Lors des états généraux de la démocratie territoriale qui ont été organisés au Sénat en 2012 sur l’initiative de Jean-Pierre Bel, alors président de notre assemblée, deux points majeurs sont apparus. Ils reflétaient les préoccupations de milliers d’élus qui, dans chaque département de France, avaient participé à ces états généraux. Le premier concernait les conditions d’exercice des mandats locaux, ce qu’il est convenu d’appeler le statut de l’élu ; le second avait précisément trait aux normes applicables aux collectivités locales. Il fut alors demandé à deux de nos collègues – Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur – d’élaborer des propositions de loi susceptibles de faire évoluer les choses sur ces deux points.
Le premier de ces deux textes, la proposition de loi visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat, a enfin été adopté en seconde lecture à l’Assemblée nationale, après une trop longue attente. Une commission mixte paritaire a eu lieu. Le texte a été promulgué, et la loi est aujourd’hui en vigueur.
Le second texte, la proposition de loi portant création d’un Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, a été adopté plus rapidement. Il accorde des pouvoirs plus étendus à ce conseil national qu’à l’instance qui existait précédemment. Il lui donne mission d’étudier l’ensemble des projets de textes législatifs et réglementaires instituant des normes applicables aux collectivités locales. Ainsi, c’est en amont que de nouvelles normes éventuelles sont étudiées par une instance représentative des élus locaux qui peut faire toute observation utile quant à l’opportunité des projets de normes eu égard aux coûts et aux contraintes qu’elles sont susceptibles d’induire. De surcroît, le Conseil national d’évaluation des normes peut se saisir non seulement des normes qu’il est prévu d’édicter, mais aussi du stock des normes en vigueur dans les lois ou les textes à caractère réglementaire.
Les sénateurs, qui représentent, selon la Constitution, les collectivités territoriales de la République, se sont, à juste titre, réjouis de la promulgation de ce texte, qui avait d’ailleurs été adopté par notre assemblée à l’unanimité. Or il se trouve que le décret publié pour appliquer cette loi n’a respecté, comme cela a déjà été très bien dit par les orateurs précédents, ni l’esprit ni la lettre de la loi votée. Ainsi, aux termes de ce décret, pour que le Conseil national d’évaluation des normes puisse être saisi d’une ou de plusieurs normes prévues ou existantes, il faut que cent maires soient cosignataires de la saisine, ou encore dix présidents de conseil général – aujourd’hui conseil départemental – ou deux présidents de conseil régional. Ni la proposition de loi ni le texte voté au Sénat ne prévoyaient une telle disposition, qui n’a pas même été évoquée au cours des débats parlementaires. Ce décret fixe donc des conditions bien plus restrictives que le législateur ne l’a souhaité pour la saisine du CNEN.
C’est donc à bon droit que nos collègues Jean-Marie Bockel et Rémy Pointereau ont déposé une proposition de loi tendant à inscrire dans la loi que chaque commune, quelle que soit sa taille, chaque établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, chaque département, chaque région pourra saisir directement le CNEN. Je tiens à dire ici que le groupe socialiste soutient pleinement cette initiative, qui vise à faire respecter ce que le législateur a voulu.