Intervention de Xavier Pintat

Réunion du 20 mai 2015 à 21h30
Protection des installations civiles abritant des matières nucléaires — Adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Xavier PintatXavier Pintat, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis 1996, les installations nucléaires civiles françaises ont été visées par une quinzaine d’intrusions ou de tentatives d’intrusion menées par des militants antinucléaires. Celles-ci n’ont à aucun moment remis en cause la sûreté des installations ; tel n’était d’ailleurs pas l’objectif de ces actions militantes à visée contestataire, destinées à provoquer un fort retentissement médiatique.

Le 18 mars 2014, en particulier, une soixantaine de militants se sont introduits par la force, et même par la violence, jusqu’au sommet du dôme d’un réacteur et sur le toit de la piscine de stockage de la centrale de Fessenheim. À l’issue de la procédure judiciaire qui a suivi ces événements, le tribunal correctionnel de Colmar, au mois de septembre dernier, a reconnu coupables de violation de domicile cinquante-cinq de ces militants, dont trois seulement étaient présents à l’audience : il les a condamnés à des peines de deux mois de prison avec sursis.

Mes chers collègues, des sanctions de ce type ne sont pas suffisamment dissuasives, ce qui nous expose à la multiplication d’intrusions spectaculaires comparables à celles qui ont émaillé l’actualité de ces dernières années. Tel est le constat qui a inspiré la présente proposition de loi, que nous examinons en première lecture après que l’Assemblée nationale l’a adoptée le 5 février dernier.

Ce texte vise à renforcer la protection de sites qui se caractérisent tant par leur importance économique que par leur sensibilité du point de vue de la sécurité, puisque des matières radioactives y sont entreposées. Si ce renforcement est nécessaire, c’est parce que les actions des militants antinucléaires, même si elles ne représentent aucun danger direct, entraînent la mobilisation d’importants moyens humains et font courir des risques non seulement au personnel des installations et aux forces de sécurité qui y sont déployées, mais aussi aux militants eux-mêmes. De fait, les moyens mobilisés pour répondre aux intrusions sont détournés de leur vocation principale : la défense des installations contre le risque terroriste.

Je vous rappelle que la protection des installations nucléaires d’EDF est assurée par les pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie, les PSPG, qui comptent 882 hommes et femmes formés par le groupe d’intervention de la gendarmerie nationale, le GIGN. Quant aux sites non militaires du CEA, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, et aux sites d’Areva, ils sont protégés par des services internes de sécurité, les formations locales de sécurité, dont l’effectif total est de 1 300 agents. Le dernier maillon de la chaîne d’intervention est, dans le premier cas, le GIGN et, dans le second, le RAID, unité de la police nationale.

La vocation première du dispositif qui nous est soumis est évidemment de parer à la menace terroriste. Or les actions militantes, si elles se multipliaient, risqueraient à terme d’entamer la vigilance vis-à-vis du risque terroriste, qui n’est pas un risque théorique, comme l’ont montré les attaques perpétrées au mois de janvier dernier à Paris et en région parisienne.

Ces deux types de menaces appellent des réponses distinctes, adaptées et proportionnées aux risques respectifs qu’elles font courir. Or il faut bien le reconnaître, le droit pénal actuel ne permet pas de répondre aux intrusions récurrentes.

En effet, si des délits spécifiques sont prévus par le code de la défense afin de préserver l’intégrité des matières nucléaires, de protéger les zones militaires ou intéressant la défense nationale et de réprimer les destructions et dégradations, aucun des différents régimes de sanctions pénales ne permet de réprimer de façon satisfaisante les intrusions militantes commises dans les installations nucléaires. En conséquence, le juge pénal est contraint de retenir des qualifications juridiques inadaptées, telles que la violation de domicile ; cette méthode a été validée par la Cour de cassation en 2014.

C’est ainsi que des militants ont été condamnés à six mois d’emprisonnement avec sursis, une peine symbolique, pour dégradation en réunion et violation de domicile. Plus généralement, les affaires jugées à ce jour n’ont conduit qu’à des peines de prison avec sursis de deux à six mois, lorsque l’intrusion était accompagnée de dégradations, ainsi qu’à des amendes ou frais de procédure compris entre 1 000 et 3 000 euros.

Je vous rappelle, mes chers collègues, que l’article 55 de la loi du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale a autorisé le Gouvernement à insérer par ordonnance dans le code de la défense et dans le code général des collectivités territoriales des dispositions visant à renforcer la protection des installations nucléaires. Sur le fondement de cette habilitation, le Gouvernement a permis aux préfets de réglementer la circulation et le stationnement autour des installations. Reste que, s’agissant de dispositions pénales instaurant une nouvelle infraction, il est préférable de recourir à la procédure parlementaire.

La présente proposition de loi prévoit un dispositif échelonné de peines, fondé sur une peine de base : un an d’emprisonnement et une amende de 15 000 euros ; cette peine est équivalente à celle qui est prévue pour la répression de l’introduction sans autorisation en zone militaire ou de la violation de domicile. Elle est susceptible d’être aggravée en fonction des circonstances, en particulier si l’infraction est accompagnée de destructions, commise en réunion ou en bande organisée, ou associée à l’usage d’une arme.

Par ailleurs, le texte que nous examinons instaure des peines complémentaires, applicables non seulement aux personnes physiques, mais aussi aux personnes morales, ce qui permettra de sanctionner l’instigateur de l’action par des amendes susceptibles d’être très élevées, puisque leur taux pourra atteindre le quintuple de celui qui est prévu pour les personnes physiques.

Mes chers collègues, cette proposition de loi permet, je le crois, de répondre aux actes d’intrusion d’une manière spécifique, adaptée et proportionnée. Son adoption réduira le doute des forces de sécurité quant aux intentions réellement malveillantes des intrus, compte tenu du risque encouru, ce qui permettra aux dispositifs de sécurité de se focaliser sur leur mission première : la lutte contre le terrorisme.

Après l’adoption de ce texte, l’État aura pris les mesures qui sont de son ressort ; il pourra alors légitimement demander aux opérateurs d’accélérer les investissements en matière de protection physique passive des installations.

Enfin, et surtout, la proposition de loi ne prive en aucun cas les militants antinucléaires de leur liberté d’expression et de manifestation : comme M. le secrétaire d’État l’a souligné, ils pourront l’exercer dans un cadre légal à l’extérieur des sites.

J’en viens à présent à l’article 2 de la proposition de loi, aux termes duquel le Gouvernement devra déposer au Parlement, avant le 30 septembre 2015, un rapport sur la question des drones, qu’il est nécessaire de tirer au clair. De fait, une quarantaine de survols distincts et non revendiqués ont été répertoriés au-dessus de dix-neuf sites abritant des matières nucléaires depuis le mois de septembre dernier. Six centrales nucléaires ont notamment été survolées de façon simultanée le 31 octobre 2014. La base militaire de l’Île-Longue a également été survolée, les 26 et 27 janvier dernier. Tous sites confondus, soixante-sept survols illégaux ont été recensés.

Ceux-ci n’ont pas présenté de menaces directes. Toutefois, ce phénomène ne doit pas être minimisé ; il appelle une réflexion sur une nouvelle dimension de la sécurité aérienne, du fait de l’usage croissant des drones civils, professionnels ou de loisir. Notons que la détection des petits drones employés, volant à basse altitude, nécessite des investissements particuliers.

À la suite de ces survols, une démarche interministérielle a été engagée, sous l’égide du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, le SGDSN, en vue d’identifier les adaptations juridiques, techniques et capacitaires requises. Des projets de recherche ont été lancés ; des essais seront réalisés, afin de tester des outils de détection, d’identification et de neutralisation des drones. Il faut le souligner, une synergie est recherchée avec nos partenaires internationaux majeurs – c’est une bonne chose –, qui sont eux aussi confrontés au même problème.

Sur l’initiative de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, l’article 2 du texte que nous examinons vise à ce que le Parlement soit pleinement associé à cette démarche.

En conclusion, cette proposition de loi, utile, ne prétend pas pour autant apporter de réponse à l’ensemble des problèmes soulevés par la multiplication des intrusions et des survols d’installations sensibles. Ainsi, le statut juridique des drones devra probablement être précisé, de même que la formation et l’information de leurs pilotes, sans pour autant porter atteinte au développement économique de cette filière en pleine expansion. Les intrusions aériennes requièrent des évolutions des systèmes d’alerte et de détection, ainsi que des moyens de neutralisation.

Au-delà, l’évolution des menaces doit amener à également prendre en compte les problématiques de cybersécurité. Nous serons attentifs au renforcement de la sécurité des systèmes d’information des opérateurs d’importance vitale qui est prévu à l’article 22 de la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale.

Ainsi, si cette proposition de loi ne répond pas à l’ensemble de ces enjeux, si elle doit probablement être complétée à l’avenir par d’autres dispositions, elle est néanmoins nécessaire et son adoption est opportune et même urgente. C’est la raison pour laquelle, vous l’avez parfaitement expliquée, monsieur le secrétaire d’État, je vous propose, mes chers collègues, que nous l’adoptions sans modification, cela afin que ses dispositions puissent entrer rapidement en vigueur.

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