Intervention de Marie-Françoise Perol-Dumont

Réunion du 20 mai 2015 à 21h30
Protection des installations civiles abritant des matières nucléaires — Adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Marie-Françoise Perol-DumontMarie-Françoise Perol-Dumont :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, nous examinons ce soir un texte qui fait largement consensus. Mon intervention sera donc en parfaite cohérence, pour ne pas dire redondante, avec celles des orateurs précédents.

Il s’agit, par cette proposition de loi, de renforcer la protection des sites nucléaires civils. Dans un contexte de risques accrus, dont les attentats du mois de janvier ont été un tragique révélateur, il est évident que ces sites hautement stratégiques et déterminants pour l’indépendance énergétique de notre pays doivent bénéficier d’une attention particulière de la part des pouvoirs publics.

Néanmoins, la problématique est ancienne et aurait dû obtenir depuis longtemps une réponse de l’État. En effet, depuis 1996, les installations nucléaires civiles françaises ont connu près d’une quinzaine d’intrusions, ou tentatives d’intrusion, illégales. Il s’agissait certes d’actions militantes à visée contestataire menées par des activistes antinucléaires, donc a priori sans conséquence sur la sécurité des sites.

Il n’en reste pas moins que ces intrusions sont préoccupantes. Ces groupes d’activistes sont souvent multinationaux ; ils peuvent être infiltrés par des éléments non pacifiques, et le risque de voir de faux militants se mêler à ces organisations ne peut être totalement écarté. Par ailleurs, si un militant pacifique est capable de pénétrer dans ces sites, comment un terroriste, disposant de beaucoup plus de moyens et mal intentionné qu’il est, pourrait-il en être empêché ?

Sans tomber dans la paranoïa excessive, même si, à ce jour, aucune de nos centrales n’a eu à subir d’attaque ou de sabotage, il n’est nul besoin de rappeler que le risque terroriste est bien présent et plus que jamais d’actualité. Des attaques ont d’ailleurs visé des installations énergétiques à l’étranger ces dernières années : en 2010 dans le Caucase russe, en 2013 en Algérie, au Pakistan et au Niger.

Rappelons par ailleurs que notre pays compte cinquante-huit réacteurs nucléaires, et que près de la moitié de la population française vit à moins de quatre-vingts kilomètres d’une centrale. Cette question constitue donc un enjeu de sécurité publique, au-delà même des personnels travaillant sur les sites.

Pourtant, la France restait l’un des rares pays occidentaux à ne s’être pas encore doté d’un arsenal juridique adapté et complet en matière de répression des intrusions sur ces sites hautement sensibles. Il est pour le moins étonnant de constater que l’envahissement d’une infrastructure protégée ne relevait d’aucun délit spécifique, les auteurs étant simplement poursuivis pour violation de domicile, ce qui est peu dissuasif et, en tout cas, pour le moins inadapté. En application de la législation actuellement en vigueur et en fonction de la nature des faits commis, les peines allaient de six mois à un an d’emprisonnement.

Par ailleurs, les infractions constatées ont toujours joui d’une relative clémence. Le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Colmar à l’encontre des militants qui s’étaient introduits le 18 mars 2014 au sommet du dôme du réacteur de la centrale de Fessenheim, jugement qui s’est soldé par deux mois de prison avec sursis, atteste de cette évidente clémence. De telles réponses pénales ne sont pas à même d’être dissuasives ; elles sont inadaptées au contexte sécuritaire actuel et à l’importance stratégique, énergétique, économique des sites nucléaires civils.

La présente proposition de loi, qu’il faut saluer, a fait l’objet de nombreux échanges avec le Gouvernement. Elle comble heureusement un relatif vide juridique et crée un régime pénal spécifique en vue d’améliorer la sécurité des installations en cause. Le dispositif proposé prévoit une échelle de peines plus sévères en fonction de trois niveaux de circonstances aggravantes. De plus, les tentatives d’intrusion seront punies de la même manière que les délits effectivement accomplis.

D’aucuns se sont inquiétés – on peut le comprendre – de ces nouvelles dispositions, considérées comme une atteinte au droit de manifester et de contester des organisations militantes de nature pacifique. Qu’ils soient rassurés ; de fait, aucune liberté publique, aucun droit fondamental ne se trouve réduit ou menacé, puisqu’il reste tout à fait possible d’exercer son droit d’expression, légitime et inaliénable, à l’extérieur des sites sensibles.

Soulignons donc que le texte se contente de diminuer le risque d’actions malveillantes, en introduisant des sanctions réellement dissuasives.

Pour autant, cette proposition de loi représente une avancée certaine, mais encore quelque peu insuffisante. Renforcer la sécurité de sites aussi stratégiques et potentiellement fortement dangereux en cas de malveillances avérées ne peut pas se limiter à un alourdissement des peines encourues.

Certes, les sites nucléaires civils du groupe EDF sont protégés par une force militaire spécialisée, et ceux du CEA ou d’Areva, deux opérateurs majeurs du secteur, le sont par des forces civiles de protection. Mais est-ce suffisant dans le contexte actuel de risques exacerbés ?

À propos de la protection de l’espace aérien, qui relève de l’armée de l’air, je souhaite évoquer, comme d’autres avant moi, la menace potentielle que pourraient représenter les survols de drones au-dessus des centrales.

Sur ce point, les questions techniques et juridiques restent nombreuses ; M. le rapporteur y a fait référence. À ce stade, il n’a pas été possible d’apporter une réponse législative satisfaisante.

Je salue donc l’initiative du Premier ministre, qui, après le recensement de soixante-sept survols illégaux, a décidé de lancer une démarche interministérielle coordonnée avec le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, afin d’identifier les adaptations juridiques, techniques et capacitaires requises pour faire face à de tels phénomènes. Selon les informations dont nous disposons, la réflexion serait déjà bien avancée. On ne peut que s’en féliciter.

Par ailleurs, il convient de saluer la disposition introduite à l’article 2 par nos collègues députés : le Gouvernement associera le Parlement à l’étude de cette question, avec obligation de lui soumettre un rapport avant la fin du mois de septembre prochain.

Par conséquent, et malgré les limites du texte, qui ont déjà été soulignées par M. le rapporteur, le groupe socialiste votera cette proposition de loi, afin que ses dispositions puissent entrer en application le plus rapidement.

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