Intervention de André Reichardt

Réunion du 20 mai 2015 à 21h30
Protection des installations civiles abritant des matières nucléaires — Adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de André ReichardtAndré Reichardt :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de remercier les membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ainsi que M. le rapporteur, Xavier Pintat, du travail qu’ils ont réalisé sur la présente proposition de loi. Je me réjouis bien entendu de l’inscription de ce texte à l’ordre du jour réservé au groupe UMP : la sécurité, tant aux abords qu’à l’intérieur des installations civiles abritant des matières nucléaires, est en effet primordiale.

Ce sujet, souvent relayé par les médias, l’est plus encore depuis qu’ont eu lieu, à la fin de l’année dernière, des survols de drones non identifiés. Toutefois, ce phénomène, même s’il est récent et spectaculaire, ne doit pas nous faire oublier les enjeux actuels essentiels concernés par le texte qui nous est proposé.

Je tiens d’emblée à préciser que l’objet de notre débat n’est naturellement pas celui du recours à l’énergie nucléaire. Un débat sur ce thème serait certainement moins consensuel et relève du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte que nous devrions examiner ultérieurement en nouvelle lecture. L’objet de la proposition de loi que nous examinons ce soir est simplement de pallier un vide juridique concernant les intrusions physiques illégales dans des installations abritant des matières nucléaires civiles.

Comme M. le rapporteur l’a expliqué, de telles intrusions comportent des risques tout à fait explicites, en particulier au moment où notre pays doit prendre en compte tous les paramètres et les impératifs inhérents à la lutte contre le terrorisme.

En qualité de coprésident de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, j’ai eu l’occasion, comme mes autres collègues composant la commission, de bien prendre la mesure de ces risques. De fait, il n’est point besoin d’être grand clerc pour imaginer avec quelle acuité les différents responsables chargés de la sécurisation des sites sont amenés aujourd’hui à faire face à l’éventualité d’une attaque terroriste.

Dans ce contexte de tensions accrues, leur tâche doit être facilitée, afin de leur permettre une meilleure appréhension et identification des risques, des personnes concernées, ainsi qu’une meilleure appréciation des motivations, s’il en est, de celles et ceux qui se livrent à de telles intrusions. D’ailleurs, l’une des revendications des militants antinucléaires lorsqu’ils pénètrent dans les installations nucléaires est précisément d’en dénoncer la facilité d’accès et d’en souligner les risques. C’est assurément un sujet sur lequel il faut encore travailler, c’est le moins que l’on puisse dire.

Sur ce point, permettez-moi d’ajouter que les opérateurs doivent prendre toutes leurs responsabilités pour faire en sorte que les intrusions ne soient tout simplement matériellement plus possibles, du moins pas aussi faciles.

Pour l’heure, en tant que membre de la commission des lois, c’est sur le volet strictement juridique que je voudrais insister. En effet, du point de vue du droit, la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement est totalement paradoxale. Avec cinquante-huit réacteurs et dix-neuf centres nucléaires de production d’électricité, la France est l’un des leaders mondiaux du nucléaire civil. Pourtant, son dispositif de protection juridique est inadapté et incomplet.

Face aux nombreuses intrusions physiques illégales, les exploitants des sites n’ont que peu de recours juridiques. Alors que ces sites sont considérés comme stratégiques, les personnes entrées illégalement ne sont poursuivies que pour violation de domicile, cela a été dit. Les suites judiciaires et les condamnations qui en résultent surprennent par leur disproportion au regard des conséquences que comportent de telles intrusions. Dans la plupart des cas, les peines prononcées n’excèdent pas six mois de prison avec sursis - et six mois, c’est souvent beaucoup.

Je le répète, ces intrusions physiques comportent d’importants risques, pour ceux qui les commettent, certes, mais aussi pour les personnels civils et militaires des sites, dont on parle moins.

Par ailleurs, nul ne peut dire qu’une tentative d’intrusion de deux cents militants, comme ce fut le cas pour le CNPE de Gravelines en 2012, ne perturbe pas les conditions de fonctionnement des installations. Un tel acte n’est donc pas non plus sans incidence pour les collectivités locales concernées et leur population ; il s’agirait, là aussi, de ne pas l’oublier.

En qualité de sénateur alsacien plus particulièrement intéressé par la centrale de Fessenheim - mais je ne suis pas le seul, puisque René Danesi est également présent ce soir -, permettez-moi, mes chers collègues, de vous rappeler l’intrusion l’année dernière de cinquante-cinq militants, une action nautique et le déplacement de banderoles sur le dôme d’un réacteur de cette centrale. Il est clair que ces actions ressemblent plus à des coups de force qu’à des manifestations pacifiques. En réalité, il s’agit là non plus d’une forme de liberté d’expression, mais bien, j’ose le dire, d’un activisme politique musclé.

Pourtant, je voudrais le souligner, la présente proposition de loi n’est pas dirigée contre les militants antinucléaires, comme on l’a entendu dire tout à l’heure. Elle est une simple réponse législative à l’utilisation de méthodes illégales. Pour les législateurs que nous sommes, cette différence doit assurément être posée.

La liberté d’expression et de manifestation est un droit inaliénable de notre République – des orateurs précédents l’ont dit –, constitutionnellement reconnu et protégé, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir à l’heure où ces droits sont bafoués dans de nombreux pays. Cependant, en aucun cas le droit à manifester ne peut comporter le droit de s’introduire illégalement dans quelque établissement que ce soit. La liberté de manifester doit s’exercer naturellement dans le cadre de la loi ; cet autre principe fondateur vaut pour tous, peu importe la cause défendue.

Dans des pays aux parcs nucléaires moins développés, la législation est beaucoup plus claire et adaptée aux risques.

Au Canada, vous le savez, en application de l’article 51 de la loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires, les amendes peuvent atteindre un million de dollars et, le cas échéant, cinq ans d’emprisonnement. Le code criminel prévoit même une incarcération allant jusqu’à dix ans.

Au Royaume-Uni, l’intrusion sur un site est punie de cinquante et une semaines d’emprisonnement, d’une amende de 5 000 livres.

Enfin, aux États-Unis, le caractère dissuasif de la réglementation repose moins sur le dispositif pénal que sur les modalités d’emploi des armes à feu par les forces de sécurité. En soi, cela peut être éventuellement plus dissuasif qu’une amende ou une peine de prison.

À la lumière de ce qui existe à l’étranger, vous me permettrez de penser, mes chers collègues, que le dispositif qui nous est proposé est équilibré, M. le secrétaire d’État l’a souligné tout à l’heure. La création d’un régime spécifique me paraît également cohérente. Ainsi, je me félicite d’observer la mise en place de « peines de base » qui seront complétées par des peines plus sévères répondant à divers niveaux de circonstances aggravantes. Je voudrais saluer tout particulièrement la mise en place de ces différents niveaux de peine qui traduit bien la volonté d’une réponse adaptée et proportionnée.

Pour toutes ces raisons à la fois d’opportunité mais également de contenu du dispositif proposé, je vous suggère, mes chers collègues, de soutenir avec nous cette proposition de loi. En tout état de cause, les membres de l’UMP vous remercient du temps que vous avez consacré à l’examen de ce texte.

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