... mais nous le faisons sans succès, puisque même la question orale avec débat proposée par le groupe communiste républicain et citoyen n'a pas été retenue par la conférence des présidents.
Si le Gouvernement, comme la Commission européenne dans le Livre blanc des transports, exprime régulièrement sa volonté de promouvoir le rééquilibrage des modes de transport comme alternative au tout-routier, mode de transport particulièrement polluant et dangereux, force est de constater que les réformes annoncées et mises en oeuvre ne correspondent ni aux attentes ni aux enjeux.
Prenant le contre-pied de ces considérations, M. Gilles de Robien, alors ministre des transports, présentait le 8 septembre dernier un plan pour le développement du transport routier de marchandises, avec pour objectif de donner une plus grande souplesse aux règles de la législation sociale. Ce plan, argumentait-il, se justifiait par la concurrence absolument déloyale exercée par les pays européens bénéficiant d'une législation sociale moins protectrice des droits des travailleurs dans le secteur routier.
Pourtant, l'organisation de la concurrence dans le Marché commun est une conséquence directe des politiques européennes de déréglementation, dans lesquelles le coût du travail est considéré comme un handicap structurel à la compétitivité. Ainsi, l'harmonisation sociale prévue par les traités est une harmonisation à la baisse qui lamine les droits sociaux des salariés.
Le Gouvernement français, au lieu de remettre en cause le système du tout-concurrentiel, a préféré, dans la droite ligne de la Commission européenne, mettre en cause les droits sociaux des travailleurs dans le secteur des transports en faisant du transport routier de marchandises à bas coût l'axe prioritaire de la réorganisation des transports.
De plus, en organisant le dumping social dans le secteur routier, monsieur le ministre, vous permettez une distorsion de concurrence entre les différents modes de transport, pénalisant une nouvelle fois le fret ferroviaire.
En effet, ces dérogations au droit du travail dans le secteur du transport routier de marchandises se traduiront nécessairement par une baisse des prix des prestations offertes. Ainsi, le mode routier sera bien plus économique pour les entreprises que le mode ferroviaire, malgré les avantages du rail en termes de sécurité, d'économie d'énergie, d'aménagement du territoire et de préservation de l'environnement.
Est-ce de la sorte que vous voulez faire du fret ferroviaire une alternative à la route en matière de transport de marchandises ? Il est pourtant urgent de développer le fret ferroviaire, quand on sait que le transport de marchandises devrait augmenter de 40 % d'ici à 2020 : c'est dès aujourd'hui, sans plus attendre, que des politiques ambitieuses doivent être mises en oeuvre !
De plus, un audit sur l'évaluation des infrastructures récemment remis au Gouvernement recommanderait, notamment, une diminution des frais d'entretien de ces infrastructures. Comment comprendre de telles conclusions, alors que le manque d'investissement dans l'entretien des voies oblige déjà la SNCF à ralentir ses trains sur au moins 800 kilomètres du réseau ?
En ce qui concerne les routes et les autoroutes, en revanche, avec le transfert des premières aux départements et la privatisation des secondes, l'entretien du réseau ne sera bientôt plus l'affaire de l'Etat.
Il existe donc un véritable problème de financement des infrastructures pour permettre la promotion du rail et une diminution des risques de la route.
D'autre part, le champ d'application de l'ordonnance, qui concerne les transporteurs routiers et ferroviaires en dehors des entreprises à statut, pose aussi problème.
En effet, cette différentiation entre des entreprises à statut, c'est-à-dire la SNCF et la RATP, et des sociétés privées entrantes va également créer une distorsion de concurrence dans le domaine du fret ferroviaire, libéralisé par les directives européennes depuis le 15 mars 2003.
Ainsi, on offre à la Connex, filiale de Véolia Environnement, des conditions concurrentielles plus favorables en lui permettant de limiter ses coûts sociaux, mais au risque, là aussi, de compromettre la sécurité.
Ainsi, après avoir dégagé des sillons pour de nouveaux opérateurs, on va jusqu'à leur fournir des conditions sociales plus avantageuses.
A cela, on peut ajouter que les patrons routiers ont reçu en 2005 un milliard d'euros de l'Etat sous forme de nouvelles exonérations de taxe professionnelle. Curieuse conception d'une concurrence « libre et non faussée » ! Il sera ensuite facile de constater que la SNCF est en difficulté.
A force de libéralisation, de plan de casse de l'outil de production et de dispositions favorables aux nouveaux opérateurs entrants, il sera de plus en plus difficile pour la SNCF d'assurer ses missions de service public.
En effet, le plan fret SNCF et le plan de réorganisation du transport combiné, fondés sur la rentabilité économique immédiate, ont déjà fait augmenter de 200 000 le nombre de camions sur les routes en 2004, en supprimant 3 505 emplois et en abandonnant 22 000 sillons au 12 décembre 2004.
De plus, le volume de marchandises transporté par la SNCF a diminué de 3, 7 % en 2004 et de 6, 2 % pour le transport combiné. On est donc loin des objectifs affichés par le plan Véron !
Ce plan, présenté par son concepteur comme un plan de développement du fret ferroviaire, montre son vrai visage : c'est un plan de repli et de casse de l'outil de production en limitant la capacité de production, tant en ce qui concerne la masse salariale que les infrastructures.
En 2005, les résultats du premier trimestre accentuent la tendance dangereuse de 2004 avec une nouvelle baisse de 10, 8 % des tonnes transportées par kilomètre.
Ces plans consacrent le repli du fret ferroviaire. Pourtant, les enjeux de préservation de l'environnement, de maîtrise et d'économie de l'énergie, de sécurité publique appellent à se poser concrètement la question du rééquilibrage entre les différents modes de transport.
Je rappellerai à ce propos quelques faits qui doivent nous inciter à réfléchir à la pertinence des politiques gouvernementales de promotion du transport routier.
Premièrement, le transport routier est à l'origine de 84 % des émissions de gaz à effet de serre.
Deuxièmement, les coûts externes supportés par la société dans le secteur des transports représentent 650 milliards d'euros par an, dont 83 % sont générés par la route.
Troisièmement, pour transporter la même quantité de marchandises, le rail consomme trois fois moins d'énergie que la route, et ce sans compter les risques que fait peser cette nouvelle réglementation du travail concernant la sécurité publique. On connaît pourtant les conséquences dramatiques des accidents dans lesquels sont impliqués des poids lourds !
On ne peut transiger sur ces questions : l'homme doit rester plus important que le marché. Pour le bénéfice de quelques-uns, il est trop dangereux de s'arranger avec la sécurité et la préservation de l'environnement.
Dans ce sens, et pour respecter les engagements pris par le Président de la République lors de la signature du protocole de Kyoto, en vigueur depuis peu, la puissance publique doit rester l'autorité disposant de la maîtrise et de la régulation de l'ensemble du secteur. Elle doit imposer une tarification des transports qui tienne réellement compte du coût de réalisation et d'entretien des infrastructures et activer une politique multimodale des transports et de l'équipement, s'appuyant sur le développement des services publics et le respect de l'environnement.
D'ailleurs, le Président de la République a annoncé, lors du sommet du G8, son intention de réunir l'an prochain à Paris une conférence internationale sur le sujet capital du réchauffement de la planète. Il a réaffirmé sa volonté d'agir pour la réduction des gaz à effet de serre, l'amélioration de l'environnement mondial et le renforcement de la sécurité énergétique. Dès lors, la promotion des modes de transport alternatifs à la route apparaît comme une priorité. Ce n'est pourtant pas le cas dans ce projet de loi !
Un autre élément fondamental de la promotion du rail consisterait en la reprise de la dette de RFF et de la SNCF, sur laquelle l'Etat s'était engagé, mais cet engagement n'a pas été tenu. Pour recapitaliser son activité, la SNCF cède d'importants actifs fonciers aux promoteurs. Il est certes nécessaire d'augmenter l'offre de logements en France, mais nous avons aussi besoin d'un service public ferroviaire performant, capable de répondre aux demandes des usagers.
De plus, si le Gouvernement souhaitait légiférer dans le domaine du transport routier, il aurait dû aborder mieux qu'il ne l'a fait la question du cabotage, qui reste un problème majeur en raison d'un manque flagrant de contrôle et de réglementation. Avec le cabotage, le secteur du transport routier de marchandises est donc « bolkesteinisé » avant l'heure.
D'autre part, nous espérons qu'en 2006 les subventions accordées au transport combiné augmenteront. Il faut dire qu'elles n'ont jamais été aussi basses : elles sont passées de 92 millions d'euros en 2002 à 16 millions d'euros en 2005 !
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen interviendront donc pour que des engagements concrets soient pris par l'Etat pour le financement des grandes infrastructures ferroviaires, notamment s'agissant de la réalisation de la ligne Lyon-Turin.
Parce que cette ordonnance pénalise les salariés du secteur routier en appliquant la formule favorite du MEDEF - « travailler plus pour gagner moins » -, parce que la question du développement d'une politique des transports axée sur l'intermodalité et favorisant l'essor du fret ferroviaire est un problème urgent qui ne peut être laissé au seul marché, parce que nous considérons que cette ordonnance contribue à organiser le dumping social dans une Europe libérale, symbolisée par le projet de traité établissant une Constitution pour l'Europe - que le peuple français a rejeté -, parce qu'il faut maintenant que le Gouvernement s'engage concrètement contre le « tout-routier », les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen appellent les sénatrices et les sénateurs à adopter cette question préalable.