En ce qui concerne l'appellation « Daech » ou « État islamique », vous vous souvenez tous qu'il y a eu débat au ministère des affaires étrangères, et que notre ministre avait demandé de pas utiliser le terme d'« État islamique », celui-ci suggérant que l'on reconnaissait à cette organisation les qualités d'État et d'islamique.
Je pense que c'est légitime pour vous, élus, mais cela ne l'est pas à un chercheur. Nous tentons de cerner une réalité. Rien ne sert de faire un tour de passe-passe pour diabolisation l'État islamique. Celui-ci a-t-il les qualités d'un État en formation ? J'en suis désolé, mais il les a ! Il a un pouvoir exécutif, avec le Calife, un pouvoir judiciaire, avec des réseaux de juges religieux qui rendent la justice et la font appliquer en fonction de la Charia. Il existe peu de pouvoirs législatifs, la Charia en faisant office, mais l'État islamique dispose aussi d'une armée, d'un système fiscal, où chacun paie des impôts en fonction de son statut confessionnel et de sa richesse, d'un drapeau.
Seule différence, l'État islamique ne veut pas de frontières. Ce n'est pas, ainsi qu'on l'a dit, un État avec lequel on peut imaginer un jour signer un traité de paix. C'est un État qui est en guerre contre les démocraties occidentales et contre les États de la région.
Utiliser le terme de « Daech » - qui veut d'ailleurs dire la même chose qu'« État islamique » en arabe - constitue donc une sorte de méthode Coué peu utile.
Enfin, pour ce qui est du terme « islamique », Daech est-il musulman ou non ? Je ne suis pas une autorité religieuse musulmane. Dès l'instant que quelqu'un me dit agir au nom de l'islam, je suis obligé de le croire. Force est de reconnaître qu'une majorité d'Arabes sunnites d'Irak fait allégeance à l'État islamique. En Syrie, et au-delà, au Liban, en Libye, au Yémen et dans le Sinaï, beaucoup de groupes salafistes, profitant de la crise de l'autorité religieuse dans l'islam sunnite, font aujourd'hui allégeance à l'État islamique. Rien ne me permet de dire qu'ils sont en dehors de l'islam.
Certes, l'État islamique est doté d'une organisation militaire et d'une puissance financière, mais on ne gagne par une guerre, on ne conquiert pas des territoires sans raisons politiques objectives. L'État islamique est né en 2006 en Irak, grâce à l'union de six ou sept groupes djihadistes salafistes, parmi lesquels al-Qaïda en Irak qui, à la différence de la Syrie, fait partie de l'État islamique. On y retrouve d'anciens baasistes, des tribus arabes sunnites, l'establishment religieux sunnite de l'époque de Saddam Hussein et des notables locaux, dont certains ont été retournés entre 2005 et 2008 pour les besoins des conseils de réveil.
On enregistre très peu de défections. C'est là aussi une chose qu'il faut prendre en compte. Les quelques tribus qui ont eu maille à partir, de façon sanglante et éradicatrice, avec l'État islamique sont des tribus très impliquées avec les Américains ou, en Syrie, très impliquées avec le régime de Bachar al-Assad.
Quant au rôle des États voisins et à la dimension communautaire du conflit en Irak, elle est confessionnelle - chiite et sunnite - et ethnique - arabe et kurde. Ce ne sont ni la Turquie, ni l'Iran, ni l'Arabie saoudite qui ont créé les contradictions dans lesquelles se débattent les Irakiens aujourd'hui. C'est véritablement un problème irakien. Il est vrai que les États de la région aggravent une situation déjà tendue, mais l'origine de la question irakienne se trouve en Irak, non à Riyad ou à Téhéran.
L'influence que les Iraniens ont en Irak est un peu à l'image de l'influence de l'État islamique dans ce pays. L'effondrement est la véritable cause du chaos que connaît aujourd'hui cet État. Tant qu'on ne traitera pas cette question, on ne pourra rien faire ? L'État irakien n'est d'ailleurs pas le seul à s'effondrer. D'autres, comme le Yémen, la Libye, ou la Somalie sont dans la même situation.
Une réflexion globale est probablement à engager : devons-nous continuer à faire la politique de l'autruche en continuant à reconnaître des gouvernements et des États qui, visiblement, ne sont plus représentatifs, ou sont extrêmement engagés dans des politiques criminelles, comme c'est le cas du régime de Bachar al-Assad ?