Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, ce projet de loi aurait pu constituer une nouvelle étape de la décentralisation, pour plus de rationalité et de coordination de l’action publique, mais aussi plus d’équité entre les territoires : autant de thèmes auxquels nous sommes très attachés au Sénat, parce que nous les vivons au quotidien dans nos départements.
Nous regrettons que ce texte ne soit pas allé plus loin, au moins en matière de culture et de sport, et qu’il n’ait que très partiellement répondu aux ambitions affichées ; je sais exprimer là un sentiment très répandu dans cet hémicycle.
La commission de la culture, de l’éducation et de la communication s’était saisie en première lecture de l’article 12, pour argumenter contre le transfert des collèges aux régions. Sur ce point, le texte n’a heureusement pas été modifié à l’Assemblée nationale. Nous étions très nombreux à souhaiter le maintien des collèges dans le giron des départements.
Il n’en a pas été de même pour les transports scolaires ; aussi notre commission s’est-elle à nouveau saisie d’une partie du titre Ier, qui vise au « développement équilibré des territoires ». Nous avons examiné l’article 8, relatif aux compétences régionales en matière de transports scolaires. La commission des lois a bien voulu nous suivre dans le refus du transfert de la gestion des transports scolaires aux régions ; j’en remercie ses rapporteurs.
En revanche, concernant le titre III, qui vise à « garantir la solidarité et l’égalité des territoires », je veux vous alerter, une fois encore, sur l’importance d’adopter une position volontariste sur les compétences dans les domaines de la culture et du sport.
En effet, la version initiale du projet de loi, à l’article 28, rangeait la culture et le sport parmi les compétences partagées entre l’État et les collectivités locales.
Le Gouvernement nous a présenté cette disposition comme une « avancée », sinon une garantie, alors que c’est tout simplement une évidence, le simple constat de ce qui existe aujourd’hui : la culture et le sport sont, de facto, des compétences partagées, et personne n’imagine sérieusement qu’il en aille autrement. Tous les échelons institutionnels de notre pays y ont leur part, tout simplement parce que faire du sport, organiser des compétitions, lire, dessiner, visiter un site patrimonial, travailler dans une commune qui valorise ses monuments, aller au cinéma ou encore acheter un jeu vidéo concerne peu ou prou tout le monde, à toutes les échelles géographiques. Il n’y a donc, à ce titre, aucune raison que les compétences en matière de culture ou de sport relèvent d’un seul échelon institutionnel.
Sortons néanmoins un peu de notre « cuisine institutionnelle », où l’on en arrive parfois à regarder comme une avancée ce qui n’est que le constat de l’évidence. Que se passe-t-il en matière de culture et de sport ? Partout, aujourd’hui, les institutions sont en repli ; des centres d’art, des conservatoires de musique ferment ; des festivals sont annulés faute de moyens.
Le Gouvernement se félicite de maintenir les crédits de la culture pendant trois ans. Nous lui en savons gré, mais nous savons aussi que le passage du « rabot » de l’État sur les dotations aux collectivités locales entraînera une diminution souvent brutale des crédits alloués aux projets, à l’activité culturelle : c’est d’abord cela que l’on constate dans les territoires, qu’il s’agisse des bibliothèques, des théâtres, des musées.
Je ne voudrais pour rien au monde, cependant, que l’on voie en moi une donneuse de leçons : la crise concerne toutes les institutions, et nous comprenons fort bien la nécessité des économies budgétaires. Mais c’est justement quand la ressource est rare qu’il faut l’utiliser à meilleur escient, qu’il faut renforcer la concertation et l’organisation stratégique des moyens.
Nous touchons là au cœur du travail législatif que nous avons accompli au Sénat en première lecture. La loi ne doit pas se contenter d’affirmer que la compétence est partagée en matière de culture, de sport et de tourisme ; il faut encore qu’elle en organise l’exercice conjoint et qu’elle donne un peu de contenu à ces compétences.
Tel est le sens des conférences territoriales thématiques de l’action publique, les CTAP, « sport » et « culture », dont nous avons proposé la mise en place et que vous avez accepté de maintenir dans le texte, messieurs les rapporteurs de la commission des lois, ce dont je vous remercie encore une fois vivement. Nos collègues députés de la commission des affaires culturelles nous avaient d’ailleurs suivis, mais pas ceux de la commission des lois, non plus que le Gouvernement.
On nous dit que rien n’empêchera les CTAP de constituer des commissions thématiques et qu’il faut leur laisser toute liberté à cet égard. Mais que se passera-t-il quand elles ne le feront pas ? Au lieu d’un exercice conjoint de la compétence partagée, on aura plutôt une mise en œuvre disjointe et dispendieuse des politiques culturelles, fondée sur un partage des compétences « à la carte », où chacun fera comme il l’entend, sans concertation et avec force doublons. Les dossiers « culture » et « sport » seront examinés en dernier dans les CTAP, il n’y aura pas de coopération ni d’économies d’échelle, et encore moins de solidarité et d’égalité des territoires, pour reprendre l’intitulé crâne du titre III de ce projet de loi.
De même, quand nous avons proposé d’écrire dans la loi que la CTAP doit veiller à la continuité des politiques publiques en matière de culture, de sport et de tourisme, on nous a répondu que ce sera de toute façon le cas, puisque la CTAP aura un rôle de coordination, et qu’il n’est donc nul besoin de l’écrire…
Madame la ministre, mes chers collègues, un tel argument sera trop faible pour être opposé à tous ceux qui ne verront dans cette CTAP qu’une coquille vide, qu’une instance aux contours imprécis et aux missions si floues qu’elle pourra exister sur le papier sans jamais se saisir des sujets importants.
Ne gaspillons donc pas nos moyens, organisons davantage les compétences, qui, si elles relèvent de différents échelons institutionnels, participent directement à la construction de notre vie sociale, collective ! Des initiatives existent depuis quelques années pour construire des politiques culturelles concertées : je pense en particulier à la conférence régionale consultative pour la culture, créée en 2009 en Pays de Loire, ainsi qu’à d’autres chartes régionales. En tant que législateur, nous devons encourager les collectivités à aller dans ce sens, en systématisant la mise en place d’un cadre qui leur permette de débattre plus précisément des questions de culture et de sport.
J’y reviendrai lors de l’examen du titre III, en vous présentant à nouveau des amendements tenant compte de la position de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale. Je tenais cependant à le dire dès la discussion générale : la culture et le sport ont besoin non pas seulement de bonne volonté, mais de volontarisme.