En effet, le Sénat ne cesse de détricoter des avancées législatives allant pourtant de toute évidence dans le sens de la reconnaissance des réalités des territoires vécus, des véritables bassins de vie et de l’égalité démocratique entre les citoyens.
Je ne parviens vraiment pas à comprendre comment nos vécus peuvent être si différents, alors que nous sommes ou avons été, pour la plupart d’entre nous, élus locaux.
À Nantes, on a pu constater, à l’occasion des élections municipales de l’année dernière, que les habitants des petites communes n’ont pas le même accès au débat d’agglomération que ceux de la ville-centre. Il n’y a donc pas égalité des citoyens dans l’organisation de la gouvernance démocratique de nos territoires. Cela peut nourrir un sentiment d’injustice, voire de relégation. La réponse logique à ce problème, c’est l’élection au suffrage direct. Ce serait si simple !
On pourrait évidemment discuter du fonctionnement global de cette gouvernance, chercher à établir des mécanismes garantissant la représentation de toutes les communes, mais on préfère jouer à retarder les échéances : c’est tellement plus facile, et cela permet d’éluder le débat. Permettez-moi de penser que n’est pas ce que l’on attend du Sénat, qui devrait être le moteur des réformes territoriales, plutôt que de se complaire dans le rôle du frein à main !
C’est donc un projet a minima qui nous est soumis, où la volonté de clarification et de mise en cohérence a cédé le pas au maintien des situations existantes, au refus du changement. Nous sommes bien loin de la volonté initiale du Gouvernement d’instaurer plus de cohérence dans l’exercice des compétences par les différents niveaux de collectivités, en confiant l’économie aux régions, la solidarité aux départements et les services publics de proximité au bloc communal. Nous aurions pu et dû trouver un consensus sur cette démarche simple et lisible.
J’ai déjà eu l’occasion de le dire : puisque la disparition des départements n’est plus d’actualité, notamment en raison du fait qu’aucun échelon – hormis peut-être quelques très grandes villes – n’est prêt à reprendre leurs compétences en matière d’action sociale, le groupe écologiste, dont les positions ont elles aussi évolué sur ce point, ne s’oppose pas au maintien du département et de ses compétences sociales.
Pour ce qui est des autres compétences que le Sénat entend absolument maintenir dans le giron des départements, nous ne comprenons toujours pas quelle est la logique de la démarche.
Les départements ont un budget très contraint, lié à l’exercice de leurs compétences sociales. Pourtant, une majorité se dégage au sein de notre assemblée pour leur conserver l’ensemble de leurs actions, que ce soit en matière d’environnement, de tourisme, de transports ou de collèges, tout en demandant, dans le même mouvement, une clarification des compétences. Où est la logique ? Pourquoi vouloir conserver au département les petites lignes ferroviaires qu’il n’a nullement les moyens de rouvrir ? Le principe est-il : « c’est à moi, donc je le garde » ? C’est aller, en définitive, contre l’efficacité de l’action publique. Je le redis, il n’y a aucune raison aujourd’hui de ne pas transférer aux régions les compétences des départements autres que celles relevant du champ social.
Nous avons compris qu’il apparaissait rassurant de maintenir des compétences départementales en matière d’égalité des territoires dans le cadre de la création de ces « méga-régions », qui a, de fait, un peu chamboulé le débat, ce que l’on peut d’ailleurs regretter. Cela étant, j’y insiste, le maintien de telles compétences pour les départements est à double tranchant, puisque ce sont bien les régions qui seront chargées de l’aménagement durable et de l’égalité des territoires dans le cadre des schémas régionaux prescriptifs. Ce partage des compétences en matière d’égalité territoriale peut ainsi permettre à certaines méga-régions de se défausser de celles-ci, en renvoyant la responsabilité d’assurer la solidarité et l’égalité des territoires aux départements, dont les moyens financiers sont pourtant faibles et qui n’ont pas, contrairement aux régions, la main sur la coordination de l’action des autres niveaux de collectivités.
Ce qui apparaît à certains comme une « garantie » peut être un piège, alors que le débat entre nous aurait davantage dû porter sur un renforcement de la péréquation, de la répartition des richesses produites, notamment dans les métropoles, au bénéfice de l’ensemble des territoires. Je crois que le Sénat fait fausse route en adoptant une attitude défensive, en mettant en scène la méfiance entre territoires, y compris très proches.
Un point en lien avec l’aménagement du territoire concerne justement les transports et les routes : les régions seront chargées, demain, de mettre en œuvre un schéma de développement économique et un schéma d’aménagement du territoire, englobant lui-même un schéma de mobilité. Or maintenir la voirie, les ports ou les lignes ferroviaires dans le champ des compétences des départements ne permet pas de donner la cohérence nécessaire aux politiques de mobilité. Il s’agit là de traiter des enjeux majeurs d’accessibilité, d’environnement et de lutte contre le changement climatique. Cette mise en cohérence à travers les schémas régionaux est partiellement remise en cause, au détriment de l’efficacité de l’action publique et, en définitive, des territoires les plus fragiles.
Autre exemple d’incohérence du texte tel qu’il a été remanié : le refus d’inclure dans le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, le SRADDET, la thématique de l’environnement et de la protection de la biodiversité.
La protection de la biodiversité a pourtant vocation à être intégrée pleinement dans la stratégie régionale d’aménagement du territoire, au même titre que les transports, la maîtrise de l’énergie ou la prévention des déchets. Le refus que j’évoquais est également contradictoire avec le fait que les régions élaborent déjà des schémas régionaux de cohérence écologique alors que le SRADDET a vocation à intégrer tous les schémas sectoriels. Nous sommes, une fois encore, restés au milieu du gué.
Dans le même domaine, la suppression de la consultation du Comité national « trames verte et bleue » pour l’élaboration du schéma régional d’aménagement du territoire est une incohérence supplémentaire. Comment peut-on vouloir créer et maintenir des continuités écologiques et, en même temps, ne pas s’assurer que les régions élaborent des schémas cohérents avec une trame nationale ? Tout cela m’interpelle, et c’est un euphémisme !
Pour ce qui concerne le renforcement des intercommunalités, le relèvement du seuil à 20 000 habitants vient également d’être supprimé en commission. Quel est l’intérêt d’une telle décision ? Les députés avaient déjà créé des dérogations qui répondaient aux difficultés concrètes d’application existant dans un certain nombre de territoires, et il faut des intercommunalités d’une taille suffisante pour renforcer la cohérence et l’efficacité de l’action publique.
En revanche, en matière de mutualisations de services, quelques avancées sont à saluer. Elles seront plus faciles à mettre en œuvre, ce qui répond à une demande très forte des élus locaux.
Le renforcement par les députés des droits de l’opposition dans le cadre du scrutin municipal et l’abaissement à 1 000 habitants du seuil de population pour l’application de ces droits sont un autre point positif à souligner. Je défendrai des amendements tendant à compléter cette évolution importante pour la vie démocratique dans les petites communes. Nous devrions pouvoir trouver quelques points de consensus. Je ne perds donc pas totalement espoir !
Nous reviendrons également plus en détail, au fil de l’examen du texte, sur d’autres avancées démocratiques dont le groupe écologiste souhaite le rétablissement, relatives notamment au droit d’adaptation législative des régions, au rôle des conseils de développement et des conseils économiques, sociaux et environnementaux, les CESER : autant de dispositions introduites par nos collègues députés, mais supprimées, hélas, par la commission des lois du Sénat.
Nos concitoyens nous regardent, chers collègues, et ce n’est pas en revenant sur des progrès démocratiques que nous répondrons à la grave crise de défiance à l’encontre de la classe politique que nous observons actuellement !
Aussi, malgré les réelles avancées que comportait initialement ce texte, s’agissant de la création des schémas prescriptifs régionaux et du renforcement des intercommunalités, c’est avec le sentiment d’un travail inachevé et d’une occasion manquée que le groupe écologiste aborde cette deuxième lecture.