… après quelques coups de téléphone à des amis éléphants.
Aujourd’hui, le projet de loi revient au Sénat en deuxième lecture. Nous allons y travailler et j’espère que nous pourrons ensemble le modifier afin de remédier à ses trois défauts majeurs.
Premier défaut : cette réforme ne présente, pour le moment, aucune audace décentralisatrice. Comme Jean-Jacques Hyest l’a indiqué tout à l'heure, il s’agit de la première réforme territoriale dénuée de toute ambition décentralisatrice, notamment en matière de politique de l’emploi, thème sur lequel, au Sénat, nous avions formulé des propositions.
L’erreur, ici, est double.
Tout d’abord, il aurait été logique que les régions, dès lors qu’elles détiennent la compétence économique et qu’elles sont chargées de la formation et de l’apprentissage, puissent, dans un souci de cohérence, coordonner territorialement la politique de l’emploi, ce qui n’aurait pas manqué de conférer à celle-ci davantage d’efficacité.
Ensuite, la France étant devenue championne du monde des dépenses publiques, il est nécessaire, madame la ministre, de revoir le périmètre d’intervention de l’État, sans quoi aucune économie ne pourra être faite. Et il aurait été pertinent de procéder à cette révision à l’occasion de l’examen de ce projet de loi. Vous auriez ainsi pu, dans un même mouvement, réfléchir à la fois au périmètre d’intervention de l’État et à la réorganisation des collectivités. Malheureusement, ce n’est pas la démarche que vous avez adoptée.
Deuxième défaut de ce texte : il ne répond toujours pas aux deux grandes crises qui déchirent notre territoire, à savoir la crise territoriale et la crise civique.
Concernant la crise territoriale, peut-on croire un seul instant que c’est en fixant arbitrairement et de façon totalement uniforme un seuil de 20 000 habitants pour l’intercommunalité que l’on prendra en compte la réalité de nos territoires ruraux ? Bien sûr que non ! La preuve en est que les députés ont dû créer un régime de multiples dérogations !
De même, les schémas régionaux au caractère prescriptif qui vont tomber de loin et de haut sur ces territoires ruraux, qui sont déjà des territoires périphériques, très en marge des grandes métropoles régionales, ne seront-ils pas ressentis comme des contraintes insupportables par les élus ?
J’en viens à la crise civique, qui est peut-être encore pire. Nous sentons bien que, partout, les élus sont de plus en plus découragés, particulièrement quand ils voient que l’État réduit aussi bien ses financements que son assistance technique aux collectivités.
J’ai cité le comportement des préfets, mais de nombreux autres exemples montrent un risque progressif de découragement chez les élus.
Cela a été dit et répété, en cinq ans, nous aurons connu quatre réformes ! Une entropie institutionnelle quasiment permanente !
Que ferons-nous lorsque l’ensemble des 500 000 élus locaux du territoire seront totalement découragés ? Qui se chargera de recoudre le tissu social déchiré par tant de crises sur l’ensemble du territoire français, qu’il s’agisse de quartiers ou de villages ?
Enfin, troisième défaut de ce projet de loi : il ne répond en rien aux objectifs fixés.
Ainsi, alors qu’il est censé apporter de la simplification, il institue de grandes régions, des mastodontes, des « gros machins », presque aussi grands que certains États européens, dans un pays qui n’a évidemment pas de tradition fédérale.
Comme Jacques Mézard l’a souligné, l’exposé des motifs porte toujours la trace de cette volonté d’anéantissement du département, qui porte atteinte à notre réalité territoriale. Heureusement, grâce au travail des uns et des autres, et surtout grâce au travail de la commission des lois du Sénat, les départements resteront bien vivants.
De même, la création d’un Haut conseil des territoires n’est pas seulement une atteinte au Sénat, c’est une provocation
Quant à la répartition des compétences, on en cherche encore la logique. Expliquez-moi, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, quelle est la valeur ajoutée du transfert des transports scolaires aux régions ? Il n’y en a aucune ! Une telle répartition des compétences est absolument incohérente.
Si vous voulez élargir les périmètres, alors, relevez les horizons, pour que les régions soient des échelons non de gestion, mais de préparation de l’avenir, des échelons stratégiques.
Le projet de loi ne répond donc en rien aux objectifs de simplification, d’économie et d’efficacité. Pourquoi ? Parce qu’il ne respecte pas cette grande loi, qui est une loi simplement humaine, selon laquelle plus la décision est lointaine, plus il est nécessaire d’administrer les territoires pour compenser cet éloignement, ce manque de proximité.
Vous le savez parfaitement, ce projet de loi ne permettra pas de dégager un seul centime d’économie dans le budget de l’État ou dans ceux des collectivités ; pis, il engendrera des dépenses supplémentaires !
En conclusion, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite que le Sénat puisse être entendu et que nous travaillions ensemble, dans la mesure où le Sénat est, lui, le Grand Conseil des territoires. Sur quelque travée que nous siégions, nous partageons tous une même conviction profonde : il faut arrêter de compliquer la vie des élus !