Intervention de Gérard Rameix

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 27 mai 2015 : 2ème réunion
Audition de M. Gérard Rameix président de l'autorité des marchés financiers amf à l'occasion de la remise du rapport annuel de l'amf

Gérard Rameix, président de l'Autorité des marchés financiers :

En ce qui concerne la problématique de l'aiguillage, je rappellerai que les cas juridiquement litigieux où l'on avait une décision en matière pénale et en matière administrative sur les mêmes faits étaient peu nombreux, à raison de deux par an au maximum depuis la création de l'AMF il y a onze ans, soit dix-sept dossiers au total. Dans l'ancien dispositif, à partir de rapports d'investigation qui dénonçaient des agissements paraissant critiquables, l'AMF pouvait notifier des griefs et aller ensuite devant sa commission des sanctions. Cette dernière a fait la preuve de sa capacité, dans un cadre juridique solide, à prononcer des amendes d'un ordre de grandeur sans commune mesure avec celles qu'ont l'habitude de prononcer les tribunaux répressifs. On est presque dans un rapport de 1 à 100.

Désormais, nous allons être obligés de choisir. Sur une affaire donnée - peu importe qu'elle vienne d'un travail de police ou d'une enquête de l'AMF -, on devra décider si on la place sur le terrain pénal ou administratif, sachant que ces deux voies seront exclusives l'une de l'autre. C'est un choix difficile. En effet, la commission des sanctions de l'AMF a pour avantage sa technicité, et sa composition, puisqu'elle comprend des magistrats issus du Conseil d'État et de la Cour de cassation, ainsi que des professionnels ; en outre, elle mène ses procédures dans un délai d'un an à un an et demi maximum entre le moment où l'on notifie les griefs et le moment où la décision est rendue. Ensuite, compte tenu des délais d'appel, les affaires sont traitées au bout de deux à trois ans, se concluant par de fortes amendes et des interdictions d'exercer.

La voie pénale est très différente : si elle est plus forte par certains côtés, avec des moyens d'investigation parfois plus poussés et la possibilité de prononcer des peines de prison, elle se heurte en revanche à des contraintes procédurales beaucoup plus lourdes.

On devra donc arbitrer, dans certaines affaires - je ne sais d'ailleurs pas qui arbitrera car c'est l'une des questions à résoudre - entre sanctionner une infraction financière par une amende qui tend à être de plus en plus forte, dans le cadre d'une procédure assez rapide, ou prendre le risque d'une procédure pénale plus aléatoire, plus longue, mais qui a une force symbolique plus forte. Par conséquent, les critères de choix, quel que soit le décideur, ne sont pas aisés, ce qui présente une difficulté réelle.

Je pense que tout le monde est à peu près d'accord sur ce point, mais je tiens à insister dessus : il est absolument impératif que la loi définisse très précisément ce qu'est la poursuite, au sens où le Conseil constitutionnel emploie ce terme ; en effet, toute poursuite engagée dans une voie aura pour conséquence de clore l'affaire dans l'autre voie. Si, par exemple, le parquet décide d'une citation directe d'une personne devant un tribunal correctionnel ou d'un réquisitoire introductif pour désigner un juge d'instruction dans une affaire, il est clair que cette dernière ne pourra plus faire l'objet d'une notification de grief par l'AMF. De même, si c'est l'AMF qui notifie les griefs, le parquet, à condition qu'il s'agisse bien des mêmes faits et de la même incrimination, ne pourra plus agir. La question de la définition de la poursuite est donc absolument décisive. J'insiste un peu lourdement sur ce point car je crains que l'on ait à faire face à des contentieux sur la qualification de l'acte de poursuite, certains avocats pouvant à soulever ce type de grief pour ruiner les procédures initiées.

Il me semble ensuite évident qu'il convient, contrairement à ce qui se passait jusqu'ici, de prévoir une période de quelques semaines - nous proposons deux mois dans le rapport - au cours de laquelle, avant de procéder à cet acte important qui oriente le dossier, il y aurait une discussion entre les deux autorités compétentes. Avec la création du parquet national financier, dans les cas de délits boursiers - délit dit d'initié, utilisation d'information privilégiée et manipulation de cours ou fausse information, variante de la manipulation de cours dans les textes européens - nous devrons examiner ensemble le dossier pour définir quel est l'avantage de chacune des deux procédures.

Il y a plusieurs solutions possibles à cet égard : on échange et ensuite chacun initie sa procédure. Si c'est un dossier initié au départ par l'AMF et que le collège de l'AMF décide qu'il transmet au parquet, mais que ce dernier refuse, le collège suivra sa propre procédure et recommandera l'amende qu'il juge la plus appropriée.

L'autre solution que nous proposons dans le rapport, et qui semble vous surprendre, consiste à proposer une hiérarchie en fonction des affaires. Cette idée est présente dans les textes européens, notamment dans les règlements dits « abus de marché ». Selon ceux-ci, les États membres doivent organiser la répression des infractions financières, avec la possibilité de conférer des pouvoirs au régulateur en la matière. Toutefois, cette démarche n'est pas obligatoire et, dans les cas les plus graves, il faut prévoir une procédure pénale.

Ces textes ne traitent pas de la question de l'aiguillage entre les deux voies. Ils introduisent une hiérarchie visant explicitement les cas les plus graves d'intentionnalité, de récidive et d'atteinte au marché, qui appellent une réponse pénale, tandis que les autres infractions sont définies de façon plus générale sans niveau de gravité.

Cette solution a pour intérêt de clarifier en grande partie le débat sur les compétences. En effet, si l'on se trouve en dessous des seuils qui restent à déterminer, la compétence de principe est celle de la commission des sanctions de l'AMF. On n'est pas dans le domaine pénal et l'on considère - si le législateur veut bien partager ce point de vue - que c'est le terrain de la répression technique financière dite, en droit, administrative, qui est le terrain le plus efficace.

Je pense que c'est assez pragmatique. Vous me direz que je ne suis pas d'une neutralité totale pour présenter ce point de vue, mais il me semble que l'expérience prouve que si l'on a pu accroître la répression des dérapages financiers, certes pas autant qu'on le souhaiterait, c'est grâce à l'utilisation des moyens dont dispose l'AMF.

Au-delà d'un certain seuil, la compétence de l'AMF n'est pas impossible, le parquet pouvant considérer que même si on est au-dessus des seuils, les éléments d'incrimination ne sont pas suffisamment solides et qu'il est alors préférable que l'affaire soit renvoyée devant la commission des sanctions de l'AMF. Mais, dans ce cas, le dialogue a lieu d'être. Tel est l'esprit de notre proposition.

D'autres critères pourraient reposer, dans notre esprit, sur le niveau de plus-value et de gain réalisés, puisque ce sont des affaires d'argent que l'on traite. Nous considérons à cet égard que la machine pénale devrait être réservée aux gains les plus importants. Personnellement, je situerais ce seuil autour de 1 million d'euros, mais cela reste subjectif.

Ensuite, on évoque la création d'une sorte de commission d'arbitrage, solution envisageable mais qui demande à être travaillée en droit. Elle aurait un énorme avantage : dans les rares cas où il existe un vrai conflit de compétence, elle permettrait de surmonter les blocages. La chancellerie souhaite que le dernier mot reste au parquet, mais cela me paraît un peu critiquable. Le risque de cette solution, si l'on n'a pas défini les domaines et si l'on garde les infractions pénales au premier euro, repose sur les critères qui seront utilisés par le parquet, à savoir des critères de médiatisation, d'importance et de très grande visibilité de l'affaire, ou bien des critères beaucoup plus juridiques et techniques, tels que la capacité du parquet à penser pouvoir obtenir une décision rapidement, même sur des cas peu importants. Cela créerait une situation d'incertitude sur le fait de savoir qui traitera le dossier. C'est ce qui me paraît un peu risqué dans cette solution.

C'est pourquoi je pense qu'il faudrait soit créer une commission, qui aurait la lourde charge de donner une certaine cohérence en réservant au domaine pénal les décisions les plus importantes, soit essayer d'adopter une approche en termes de seuils, certes un peu simple. Je reconnais volontiers que, dans certains cas, il existe des actes qui peuvent paraître moralement très graves et qui n'ont pas forcément conduit à des gains considérables.

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