Cette proposition de loi porte sur un sujet qui nous concerne tous et n'est pas facile à appréhender dans sa diversité. Elle prolonge des débats anciens - auxquels certains d'entre nous ont participé - et qui n'ont rien perdu de leur actualité. L'annonce par le Président de la République en décembre dernier d'un plan triennal de développement des soins palliatifs marque le besoin d'une meilleure prise en charge des malades dans notre pays et plus particulièrement des personnes en fin de vie. Plusieurs lois successives ont consacré des principes clairs et protecteurs : l'accès de tous aux soins palliatifs par la loi du 9 juin 1999 ; le consentement libre et éclairé des malades aux soins par la loi du 4 mars 2002 ; la possibilité de l'arrêt des traitements pour la fin de vie des personnes malades avec la loi Leonetti du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.
Malgré d'incontestables progrès, la réalité ne correspond pas à la volonté du législateur : la persistance du « mal mourir » dans notre pays n'a cessé de peser sur les conditions du débat public depuis plus de quinze ans. Les inégalités, territoriales en particulier, dans l'accès aux soins palliatifs sont fortes, comme l'a récemment rappelé la Cour des comptes. Plusieurs affaires dont la justice a été saisie renvoient aux difficultés d'application de la législation en vigueur. L'affaire Vincent Lambert, pendante devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), nous le rappelle.
Le texte de nos collègues députés Alain Claeys et Jean Leonetti est issu de la réflexion particulièrement dense menée ces trois dernières années. Je mentionne pour mémoire le rapport de la commission de réflexion sur la fin de vie présidée par le professeur Didier Sicard de décembre 2012, l'avis n° 121 du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) de juillet 2013, la Conférence des citoyens dont les conclusions ont été rendues en décembre de la même année, le rapport de l' Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) et enfin le rapport remis au Président de la République par MM. Claeys et Leonetti en décembre 2014.
Ce texte est critiqué par ceux qui craignent que les évolutions successives du droit ne poussent les personnes en fin de vie à considérer que leur existence est une charge pour les autres, mais aussi par ceux pour qui la vie relève du sacré. Il n'est pas moins critiqué par ceux qui réclament le droit à une assistance médicalisée pour mourir : euthanasie ou suicide assisté.
Or cette proposition de loi ne concerne pas les personnes malades qui veulent mourir mais celles qui vont mourir. Ses dispositions ont pour objet d'améliorer la prise en compte des souffrances réfractaires en fin de vie.
La grande misère des soins palliatifs est l'une des failles majeures de notre système de santé. Depuis 2002, le code de la santé publique définit les soins palliatifs comme des « soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage ».
Les chiffres ne manquent pas pour illustrer l'écart entre la mort souhaitée - apaisée et à domicile - et les conditions de mort de la majorité des Français en établissements d'accueil pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), à l'hôpital, voire aux urgences. On ne peut que partager l'avis du CCNE sur « le scandale que constituent (...) le non-accès aux droits reconnus par la loi, la situation d'abandon d'une immense majorité de personnes en fin de vie et la fin de vie insupportable d'une très grande majorité de nos concitoyens ».
Cette situation résulte d'un manque de moyens mais surtout de l'absence d'une véritable culture palliative en France. Outre le peu de temps consacré aux soins palliatifs dans la formation des professionnels de santé, l'intervention des soins palliatifs reste encore trop souvent associée à un échec des soins curatifs et donc du corps médical lui-même. Soins palliatifs et traitements curatifs doivent s'intégrer dans une même logique de prise en charge. Nous sommes face à l'embarras de la médecine à qui la société a confié le soin de s'occuper de la mort. Or le temps de l'accompagnement ne peut être exclusivement celui de la médecine. De l'avis quasi-unanime des personnes que nous avons auditionnées, les dispositions de la loi de 2005 relatives au refus de l'obstination déraisonnable et à l'arrêt des traitements dans le respect de l'autonomie du patient sont encore méconnues des patients et de leurs proches mais aussi des médecins eux-mêmes.
Ce texte entend apporter une réponse à cette situation. L'ensemble des modifications proposées complète la législation en vigueur depuis quinze ans. La proposition de loi votée en première lecture par l'Assemblée nationale comporte quinze articles : les articles 1er et 2, 5 à 7, 11 et 12 procèdent à une réécriture du droit existant à des fins de précision ou de coordination ; les articles 3 à 4 bis concernent l'accès aux soins palliatifs et la reconnaissance du droit à la sédation profonde et continue ; les articles 8 à 10, relatifs à l'expression de la volonté de la personne, renforcent la portée des directives anticipées et le rôle de la personne de confiance ; les articles 13 et 14 prévoient son application en Nouvelle-Calédonie et l'information annuelle du Parlement sur sa mise en oeuvre.
L'article 3, qui fixe les conditions de mise en oeuvre de la sédation profonde et continue et l'article 8, qui rend opposables les directives anticipées, méritent une attention particulière.