Mon collègue Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement scolaire, m'a priée de vous soumettre ses questions.
Sur le principe de la réforme et l'apprentissage des fondamentaux, il ne faut pas oublier qu'une proportion élevée d'élèves entrant en 6e présente des lacunes graves dans les apprentissages fondamentaux. Notre collège ne parvient pas à résorber ces difficultés. Or, on sait aujourd'hui que le destin scolaire des élèves est scellé très tôt, dès la fin du cycle 2.
Plutôt que d'uniformiser par le bas les apprentissages au collège, notamment en détruisant les filières d'excellence, en supprimant les options de langues anciennes ou en imposant une seconde langue vivante dès la classe de 5e, ne faudrait-il pas plutôt concentrer les efforts sur l'école élémentaire, afin que tous les élèves, à l'issue de celle-ci, maîtrisent pleinement les savoirs fondamentaux ?
Notre rapporteur pour avis est particulièrement préoccupé par un des grands principes de cette réforme : réduire les temps d'enseignement disciplinaire au profit de l'accompagnement personnalisé et des enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI). Si, en apparence, le volume global horaire demeure peu ou prou identique, 20 % de ce temps sera consacré à l'accompagnement personnalisé et aux projets interdisciplinaires. Je ne suis pas opposé à l'accompagnement personnalisé et aux projets, mais ceux-ci doivent venir en complément des enseignements et non s'y substituer. Quelle est votre position à ce sujet ? Ne faudrait-il pas plutôt consacrer davantage de temps aux apprentissages fondamentaux et notamment au français dont le volume horaire est en diminution constante depuis quarante ans ?
Quelle est la pertinence d'introduire des EPI au collège ? Ces derniers rappellent les itinéraires de découverte (IDD) au collège ou les travaux pratiques encadrés (TPE) au lycée, qui n'ont pas connu un franc succès... Leur intérêt n'est-il pas conditionné par la maîtrise des acquis disciplinaires et par une solide culture générale, choses rares en classe de 5e ? Ne risquent-ils pas justement de ne bénéficier qu'aux bons élèves ?
En matière d'orientation, la réforme prévoit la suppression des options de découverte professionnelle, au profit du parcours individuel d'information, d'orientation et de découverte du monde économique et professionnel (PIIODMEP). Ce parcours ne bénéficie d'aucune dotation horaire spécifique et devra donc être organisé sur du temps disciplinaire. L'avenir des classes de troisième « prépa-pro » paraît également compromis. Tout semble fait pour éloigner davantage les élèves de la voie professionnelle qui, derrière les beaux discours, semble plus que jamais dévalorisée par l'éducation nationale.
Ne faudrait-il plutôt pas permettre l'individualisation des parcours, plutôt de s'arc-bouter sur le collège unique et y enfermer les élèves qui n'y sont pas à l'aise ?
Quel regard portez-vous sur les nouveaux projets de programmes ? Vous paraissent-ils satisfaisants ?
En tant que rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement agricole, mon questionnement complète celui de mon collègue Jean-Claude Carle. Certaines dispositions introduites par le décret et l'arrêté sont déjà mises en oeuvre dans l'enseignement agricole, à l'instar de l'accompagnement personnalisé ou de l'autonomie pédagogique. Cependant, cette autonomie pédagogique s'y accompagne d'une vraie autonomie de gestion, au service d'un véritable projet. Ne pourrait-on pas s'en inspirer davantage ?
Enfin, l'orientation demeure le grand absent de cette réforme. L'article 6 de l'arrêté y fait allusion en prévoyant que les EPI contribuent à la mise en oeuvre du PIIODMEP. Si ce n'est un projet de référentiel publié par le CSP, il y a six mois, rien n'est prévu pour sa mise en oeuvre - et surtout, aucun horaire ! Faudra-t-il donc ponctionner les disciplines pour organiser ce parcours ?
Plus généralement, il me semble que cette réforme s'inscrit dans la continuité d'une logique à l'oeuvre au sein de l'éducation nationale et que je dénonce depuis plusieurs années : celle qui considère qu'il convient de retarder le plus tard possible l'orientation des élèves, et d'en orienter le plus grand nombre possible vers les filières générales, souvent sans considération de leur niveau scolaire et de leurs aspirations. Ceci relève d'une vision dépassée d'une hiérarchie des savoirs et des intelligences qui demeure particulièrement prégnante. J'ai entendu que l'orientation se fait désormais en classe de seconde. Cela me paraît un peu tard pour avoir une orientation intelligente.