… que le Sénat est appelé à se prononcer sur les conclusions de la CMP. Voilà pour la forme !
Nous avons là un bon exemple de la manière, souvent cavalière, avec laquelle le Parlement est traité !
J’en viens maintenant au contenu du texte qui comporte deux titres essentiels.
Le titre Ier vise à transformer La Poste, actuellement EPIC, en une société anonyme dont le capital « est détenu par l’État, actionnaire majoritaire, et par d’autres personnes morales de droit public, à l’exception de la part du capital pouvant être détenue au titre de l’actionnariat des personnels ».
Le titre II tend à transposer la directive européenne supprimant au 1er janvier 2011 le secteur réservé, c’est-à-dire le monopole résiduel des postes nationales pour la levée, le tri et la distribution des plis de moins de 50 grammes. Cette ouverture totale à la concurrence du secteur postal s’accompagne d’un élargissement des pouvoirs de l’ARCEP, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, en matière de régulation.
Au-delà de ces aspects techniques, ce texte pose un certain nombre de questions simples.
Premièrement, est-il nécessaire de changer le statut de La Poste ?
Deuxièmement, l’État peut-il financer La Poste autrement que par un changement de statut ?
Troisièmement, existe-t-il, à terme, un risque de privatisation ?
Quatrièmement, quelle incidence aura le changement du statut de La Poste sur les personnels ?
Cinquièmement, le changement de statut aura-t-il des conséquences sur la présence postale et donc pour les usagers ?
Sixièmement, quelle est l’incidence sur le cadre contractuel avec les communes ?
Septièmement, quel financement est prévu pour la présence postale et le transport de la presse ?
Huitièmement, la suppression du secteur réservé ne va-t-elle pas fragiliser le service public postal ?
En analysant les principales dispositions du texte issu de la CMP, je m’efforcerai de répondre successivement à ces questions.
Est-il nécessaire de changer le statut de la Poste ?
Depuis la loi de 1990, La Poste est un exploitant autonome de droit public. Ce statut a été assimilé à celui d’établissement public à caractère industriel et commercial par la jurisprudence. Ce projet de loi prévoit la transformation de La Poste en une société anonyme au 1er mars 2010, modification apportée par les députés.
Pourtant, aucune législation-cadre européenne n’impose un changement de statut de La Poste ; ainsi, la troisième directive postale, qui ouvre totalement le secteur postal à la concurrence à compter du 1er janvier 2011, n’impose pas de changement de statut.
La transformation en société anonyme est donc une décision du Gouvernement français. Voilà une réforme dogmatique visant à faire sauter le verrou constitué par le statut d’établissement public à caractère industriel et commercial, première étape d’une démarche progressive de privatisation.
L’État peut-il financer La Poste autrement que par un changement de statut ? La réponse est clairement affirmative.
En effet, la possibilité pour l’État de financer La Poste dépend non pas du statut de l’entreprise, mais des missions de service public qu’elle exerce.
Si des incertitudes existent quant à la possibilité donnée à l’État d’aider La Poste pour assurer ses deux missions de service public en matière d’accessibilité bancaire et de distribution du courrier – la première mission est déjà dans le champ concurrentiel et la seconde y entrera au 1er janvier 2011 –, celui-ci peut, en revanche, apporter son concours financier dans le cadre de ses deux autres missions de service public, que sont la présence postale, ainsi que le transport et la distribution de la presse, missions pour lesquelles l’Union européenne laisse une large latitude aux États membres.
D’ailleurs, en France, l’État apporte, depuis plusieurs années, une compensation pour le transport et la distribution de la presse à hauteur de 242 millions d’euros, compensation qui est certes insuffisante par rapport au coût de la mission, mais bien réelle.
Aucun texte européen, y compris la troisième directive postale, ouvrant totalement le secteur postal à la concurrence au 1er janvier 2011, n’interdit à l’État français de compenser les missions dévolues à La Poste, établissement public à caractère industriel et commercial, pour assurer la présence postale, ainsi que le transport et la distribution de la presse.
Cette compensation peut donc parfaitement prendre la forme d’une inscription de crédits dans chaque loi de finances annuelle. L’arrêt Altmark rendu le 24 juillet 2003 par la Cour de justice des Communautés européennes confirme d’ailleurs cette interprétation.
Existe-t-il, à terme, un risque de privatisation ?
La forte mobilisation citoyenne – je fais ici référence à la votation citoyenne ! –, celle des organisations syndicales de La Poste et des élus de gauche ont obligé le Gouvernement et le rapporteur du projet de loi au Sénat à revoir la formulation de l’article 1er du projet de loi.
Pour l’instant, le Gouvernement assure que le capital de la SA sera détenu par l’État, actionnaire majoritaire, et la Caisse des dépôts et consignations, auxquels s’ajoutera un petit actionnariat salarié.
Christian Estrosi a même voulu faire « gober » à l’opinion publique §l’idée que La Poste serait « imprivatisable ».