Je souhaite également souligner ici que le texte de la commission mixte paritaire n’a été disponible que tard dans la matinée.
Je déplore donc une nouvelle fois le peu de cas que fait ce Gouvernement des parlementaires. Mais nous aurions pu nous y attendre, car l’examen de ce texte n’a été qu’une succession de coups de force de la majorité.
Le premier et le plus important a consisté dans la confiscation du débat public, alors que 2, 3 millions de citoyens se sont prononcés le 3 octobre dernier pour la tenue d’un référendum sur cette question. Depuis, des millions de cartes postales ayant le même objet ont été reçues à l’Élysée.
Si vous n’avez pas eu de mots assez durs contre l’organisation de cette votation, pour notre part, nous n’avons pas de mots assez forts pour qualifier votre mépris de l’expression citoyenne. Pour les représentants du peuple que nous sommes, cette attitude est intolérable.
Certes, vous considérez que la question était tronquée, mais si des citoyens exigent de se prononcer sur l’avenir du service public postal, alors que le patrimoine de La Poste a été financé pendant plus de deux cents ans par les usagers citoyens, je reste convaincu que vous devez entendre ce message et organiser une consultation.
Ce référendum est d’ailleurs permis par la récente réforme constitutionnelle, à la condition que des dispositions d’application soient entérinées.
Concernant l’organisation même du débat, vous avez marqué votre volonté d’en resserrer la durée, premièrement, en déclarant l’urgence – c’est dorénavant monnaie courante – et, deuxièmement, par l’organisation même des débats au sein de notre hémicycle. Ainsi, si quatre jours de débats étaient initialement prévus, le nombre d’amendements déposés par l’opposition vous a contraints à poursuivre la discussion pendant huit jours et huit nuits. Cela n’a pas été de trop, puisque ces amendements ont permis qu’un débat de fond s’engage et que des avancées, certes minimes, soient entérinées.
La réforme constitutionnelle vous a facilité les choses à l’Assemblée nationale, monsieur le ministre, grâce au fameux « crédit-temps ». Les débats auront donc été beaucoup plus courts, puisqu’il aura fallu à nos collègues simplement trois jours pour sceller l’avenir de La Poste.
C’est donc bien à marche forcée que nous débattons de l’avenir de ce service public structurant.
Sur le fond, vous nous dites deux choses, monsieur le ministre : tout d’abord, ce texte n’est pas nocif, puisque les missions de service public de La Poste sont confortées par la loi et que des garanties ont été données non seulement sur l’« imprivatisabilité » de cette entreprise, mais aussi sur le maintien de la présence postale ; ensuite, si l’État souhaite soutenir financièrement les activités postales par un apport en capital, il faut tout simplement changer le statut de La Poste, sous peine de voir cette aide qualifiée d’aide d’État par la Cour de justice de l’Union européenne.
À vous écouter, monsieur le ministre, on se demande pourquoi ce projet de loi suscite tant d’émotion de la part non seulement de la population, mais également des élus. Le décalage entre vos déclarations et le contenu même de ce projet de loi est pourtant flagrant. Loin de conforter les missions de service public assumées par La Poste, ce texte met en péril l’existence même d’un service public postal. Le refrain est connu : vous commencez par changer le statut en arguant qu’il ne s’agit que d’une simple question de forme juridique, puis, une fois que ce verrou a sauté, vous ouvrez le capital au secteur privé comme une suite logique et naturelle permettant à la nouvelle société anonyme de faire appel aux fonds privés pour financer son développement à l’international.
Nous sommes désolés de vous rappeler que les faits sont têtus. En effet, nous avons tous en mémoire les débats sur France Télécom ou encore sur Gaz de France, ainsi que les promesses qui avaient été faites à cette époque.
Je me dois également de revenir sur le néologisme dont vous êtes l’auteur, monsieur le ministre : vous avez déclaré que La Poste était « imprivatisable », ce qu’a tout de suite démenti Claude Guéant, qui a dit que cette notion n’était pas appropriée.
En effet, comment prédire l’avenir d’un service public ? Les dispositions d’une loi ne valent que tant qu’une autre loi ne vient pas les remettre en cause. Comme nous n’avons pas la capacité de prévoir dans le temps, nous sommes circonspects sur cette notion qui graverait dans le marbre l’avenir de La Poste. En tout cas, votre exposé ne m’a pas convaincu, monsieur le ministre. Notre collègue Michel Teston vient d’ailleurs de faire la démonstration que les choses pouvaient bouger dans le mauvais sens.
De plus, dans le dispositif que vous proposez, rien ne contraint la Caisse des dépôts et consignations à céder ses parts.
Par ailleurs, qualifier La Poste de service public national ne garantit pas son avenir. En effet, ce qui compte au regard du préambule de la Constitution de 1946, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans une décision de 2006, c’est la réalité des missions exercées par l’opérateur. Or rien aujourd'hui n’empêche les opérateurs privés de venir concurrencer La Poste sur l’ensemble de ses activités du fait de la suppression du secteur réservé imposée par l’Union européenne.
En revanche, et c’est là un argument contre lequel je m’inscris en faux, l’Union européenne n’impose en aucune manière le changement de statut de La Poste. En effet, selon les termes même du traité, l’Union européenne ne préjuge pas du régime de propriété des États membres. Forme publique ou forme privée, là n’est pas la question pour les traités ; la seule exigence posée, indépendamment du contexte économique et social, c’est la mise en concurrence de l’ensemble des services publics. Dans tous les États membres, des monopoles privés se sont substitués aux anciens monopoles publics, générant des profits exorbitants, notamment dans des secteurs-clés comme les transports ferroviaires ou l’énergie, et ce alors même que les services rendus aux usagers se dégradaient en termes tant d’accessibilité tarifaire que de qualité des prestations proposées.
Ce système connaît aujourd’hui une déroute sans précédent du fait de la crise que nous traversons, mais vous continuez d’appliquer ces mêmes recettes au nom d’une modernité qui, dans les faits, s’apparente à un recul des droits et des garanties des usagers.
Je reviens à mon propos initial concernant l’aide financière apportée à La Poste : quelle que soit la forme juridique de cette entreprise, l’État ne peut consentir une aide en sa faveur sans que cela soit considéré comme une aide d’État. À l’inverse, rien n’empêche les États membres de définir des missions d’intérêt général et de les financer au travers d’opérateurs choisis. Ainsi, vous devez bien admettre qu’aucune démarche contentieuse n’a été engagée par la Commission européenne sur le financement des missions d’accessibilité bancaire, d’aménagement du territoire ou de distribution de la presse, missions qui ne relèvent pas du service universel et qui sont exclusivement assumées par La Poste grâce à un financement étatique.
Une autre voie était donc possible : il fallait renforcer les missions de service public assumées par La Poste en les finançant. Mais, de cela, il n’en a point été question !
Ainsi, si vous vous « gargarisez » du fait que les missions de service public de La Poste soient désormais inscrites dans la loi, vous n’apportez aucune réponse satisfaisante sur le financement des activités d’intérêt général assumées par La Poste en dehors du service universel. En effet, le service universel, en raison de la suppression du secteur réservé, serait aujourd’hui financé par un fonds de compensation. Ce fonds a beaucoup évolué depuis sa création, mais la question de son financement n’est pas pour autant réglée.
À cet égard, nous vous avions proposé des critères cumulatifs entre chiffre d’affaires et nombre d’envois, afin de définir la contribution des opérateurs, mais vous avez préféré ne retenir que l’un des deux paramètres, ce que nous regrettons.
Nous continuons également d’avoir des inquiétudes sur la possibilité de ce fonds de permettre un véritable financement du service universel. Des exemples européens, notamment en Italie, ont en effet montré que ce type de dispositif était défaillant.
Parallèlement, vous n’avez pris aucun engagement afin de rattraper les retards pris dans le financement des missions d’aménagement du territoire, notamment. En effet, depuis 1990, l’État n’a jamais compensé de manière suffisante les obligations assumées par La Poste en matière d’accessibilité bancaire, d’aménagement du territoire, de service universel ou encore de distribution de la presse.