Intervention de Laurence Tubiana

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 27 mai 2015 à 15h00
Audition de Mme Laurence Tubiana ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique représentante spéciale pour la conférence paris climat 2015 cop21

Laurence Tubiana :

Je vous remercie de votre invitation. Ayant souvent l'impression, telle une garagiste, d'avoir les mains dans le cambouis, cette audition représente une occasion idéale de prendre du recul et de tracer le chemin qui reste à parcourir, 200 jours avant l'étape finale.

Vous avez pu entendre le Président de la République et le ministre des Affaires étrangères souligner que la conférence de Paris devait constituer un véritable tournant. Les négociations sur le climat ont commencé en 1992 - cela peut paraître long, mais elles sont plus complexes que les négociations internationales sur le commerce, qui, elles, ont duré de 1948 à 1994.

Nous souhaitons une évolution des politiques publiques nationales et des modèles de développement car, pour prendre ce tournant, il faut mettre en place des économies sobres en carbone, par la diminution de l'utilisation de ressources fossiles, ou la neutralisation des émissions dans l'atmosphère.

Il convient, par conséquent, de favoriser une convergence des anticipations des gouvernements, mais aussi des acteurs économiques et des collectivités locales. Pour passer sous la barre des deux degrés par rapport à l'ère pré-industrielle, nous devons leur faire partager l'ambition d'un changement de modèle, d'un profond découplage entre la consommation des ressources fossiles et la croissance économique. En somme, au lendemain de la clôture de la conférence, le 12 décembre, nous voudrions voir les journaux annoncer l'émergence inévitable d'une économie sobre en carbone.

Vous m'interrogez à juste titre sur la préparation des accords. Notre action se décline en quatre volets.

Le premier est la conclusion de l'accord lui-même, pour laquelle la France a reçu un mandat.

Le deuxième est constitué par les contributions nationales. La conférence est organisée selon un système dit « par le bas » reposant sur des engagements volontaires des pays en matière de réduction des émissions.

Le troisième concerne la mobilisation financière. Il faut modifier la réponse du système financier aux besoins d'investissements afin de relever le défi de la transition vers une nouvelle économie.

Enfin, le quatrième est l'engagement des acteurs non gouvernementaux. Notre ambition est de favoriser l'émergence d'un « effet croyance ». Beaucoup d'entreprises sont désormais convaincues que l'économie sobre en carbone représente l'avenir, et que les ressources fossiles constituent un investissement risqué. Quant aux acteurs locaux, nous avons à coeur de montrer qu'un grand nombre d'autorités territoriales, dont les décisions sont importantes pour le climat, voient un avenir dans la ville durable.

Oui, nous voulons que l'alliance pour le climat repose sur un travail juridique ; sur les engagements nationaux ; sur les réponses du système financier ; et sur la mobilisation des acteurs non gouvernementaux.

Avec ces quatre objectifs à l'esprit, nous allons engager une diplomatie à 360 degrés, en travaillant avec les gouvernements et tous ceux qui, au niveau national, construisent les politiques énergétiques, avec les acteurs du système financier, avec les organismes non gouvernementaux, en les incitant à s'engager de manière compréhensible et vérifiable.

Nous sommes aidés dans cette entreprise par une mobilisation sans précédent de notre exceptionnel réseau diplomatique. Dans chaque ambassade, un correspondant est en relation avec les négociateurs, les collectivités locales et les industriels.

Où en sommes-nous ? Certes, nous n'avons reçu que dix contributions - 37 en comptant chacun des membres de l'UE. Néanmoins, je n'y vois pas un motif d'inquiétude. Le 31 mars n'était pas une date impérative, la véritable échéance se présentera en octobre.

L'exercice est complexe. J'ai échangé récemment avec la secrétaire exécutive de la commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes, Alicia Bárcena, qui m'a confirmé la prise de conscience des enjeux climatiques sur son continent. Néanmoins, il y a loin de la volonté d'agir aux modalités concrètes, entre l'utilisation des politiques fiscales, la définition d'objectifs chiffrés de réduction des émissions, etc. Un grand nombre de pays ne se sont encore jamais livrés à cet exercice.

L'horizon 2025-2030 paraît particulièrement lointain. Cette échéance appelle le déploiement, dans chaque pays, de politiques de protection des industries, de l'agriculture, des forêts... Partout, ces enjeux nourrissent des débats intenses. Les gouvernements prennent conscience des démarches concrètes qu'implique leur mobilisation. Il est naturel que ce processus prenne du temps. Des arbitrages complexes doivent être rendus sur des données telles que le taux de croissance espéré.

Je suis convaincue qu'à l'arrivée, la quasi-totalité des pays émetteurs de gaz à effet de serre présenteront une contribution. Nous recevrons un afflux de contributions dans les prochaines semaines, et une nouvelle vague durant l'été. Il est néanmoins exact de dire que, comme l'a souligné Nicolas Hulot, ces contributions ne répondront pas à la question de la trajectoire à suivre pour limiter la hausse des températures à 2°C à l'horizon 2050.

L'enjeu de la conférence de Paris sera précisément de revenir vers une trajectoire compatible avec cet objectif, à travers une baisse de 50 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre entre 2000 et 2050.

Nous sommes à l'orée d'une grande transformation. Beaucoup de pays en voie de développement commencent à s'engager à des baisses absolues de leurs émissions. C'est le cas aussi de la Chine. Encore faut-il que ces réductions interviennent suffisamment vite. Il est difficile d'attendre des propositions concrètes à brève échéance, mais la volonté est là. Nous en saurons davantage à la fin juin.

Venons-en aux principaux points de la négociation. Comment allons-nous la conduire ?

En premier lieu, le 30 novembre prochain, la France succèdera au Pérou à la présidence de la conférence des parties. Jusqu'à cette date, nous travaillons en étroite collaboration avec la présidence péruvienne, très écoutée et respectée par les pays en voie de développement, ce qui nous prémunit contre le syndrome européocentriste dont avait souffert la présidence danoise. Cette association étroite avec le Pérou fait partie du capital politique que nous accumulons pour le succès de la conférence de Paris.

En deuxième lieu, nous organisons des réunions informelles afin de faire le point sur les divergences et de rapprocher les points de vue. Les dernières ont eu lieu en mars à Lima et à Paris en mai. D'autres suivront en juillet et en septembre. Ces rencontres ont lieu à différents niveaux : négociateurs, ambassadeurs ou ministres. La réunion de Petersberg, conclue il y a dix jours à Berlin par la chancelière Merkel et le président Hollande, a mis en évidence une volonté commune de faire aboutir la conférence de Paris.

Nous entrons cependant dans une phase difficile. Quatre points politiques demeurent non résolus.

Le premier est celui de l'objectif concret. Le repère des 2°C a été fixé à titre d'approximation à Copenhague en 2009 pour éviter un engagement sur des chiffres absolus pour 2050 et une traduction en termes de concentration des émissions. On a pour ainsi dire contourné l'obstacle. L'objectif exact est une fourchette comprise entre 1,5°C et moins 2°C, ce qui fait place aux revendications des petites îles et des pays africains.

Un autre objectif possible est un niveau zéro d'émissions nettes, d'ici à la fin du siècle, ou encore une baisse de 60 % des émissions mondiales par rapport à 2010. Il existe donc plusieurs propositions, mais aucune n'a recueilli de consensus pour le moment.

Le deuxième problème touche aux objectifs en termes de concentration des gaz à effet de serre. Les pays développés se déclarent prêts à réduire ces concentrations de 80 % à 95 % d'ici à 2050, mais il est politiquement difficile d'afficher des objectifs chiffrés. Cela donne la mesure du chemin à parcourir pour les autres, pays en voie de développement, et autres pays émetteurs comme la Chine et l'Inde.

Dans ce contexte, une solution peut consister à viser un pic d'émissions aussi précoce que possible. Une autre, proposée par la France, inciterait chaque pays à décrire un scénario d'évolution économique compatible avec l'objectif d'un réchauffement contenu à 2°C en 2050.

La troisième difficulté a trait aux financements. À Copenhague, les pays développés se sont engagés sur des transferts publics et privés du Nord vers le Sud de l'ordre de 100 milliards de dollars par an d'ici à 2020. D'après la Banque mondiale, les transferts publics s'élèveraient à 37 milliards par an. Il est plus difficile d'évaluer les financements privés. Il nous paraît plus opportun d'obtenir de chaque pays des trajectoires vraisemblables de croissance des financements publics et privés d'ici à 2020, et une évaluation des ressources à consacrer à l'adaptation au changement climatique.

Si les contributions se révèlent insuffisantes, comment les réviser à la hausse ? Nous allons nous battre pour instaurer des cycles. La Chine résiste tout particulièrement au principe d'une révision régulière des accords. Enfin, il faut prendre en compte le système de mesure des progrès. Il existe un accord sur les mécanismes de vérification, mais la nature de ces mécanismes et le degré d'ingérence qu'ils impliquent restent à déterminer.

Le dernier problème est celui de l'uniformité de la règle. Devons-nous l'imposer à tous ou accepter des différences de nature et de degré ? Nous avons près de six mois pour faire aboutir le processus. Les négociations formelles commencent à la fin de la semaine. Le Président et le ministre des Affaires étrangères ont souligné la nécessité de mettre en place les éléments du paquet politique au plus tard au mois d'octobre. Plusieurs jalons nous y conduisent : le G7 de juin, l'assemblée générale de l'ONU, où le Président Hollande et Ban Ki-Moon tiendront une réunion des chefs d'État sur le sujet, et la réunion de Lima sur la thématique financière avant le G20 du mois d'octobre.

En parallèle, une série de conférences et d'actions sur diverses thématiques seront conduites auprès des entreprises, des collectivités locales et des acteurs financiers. Ces temps forts, qui font partie de l'agenda de la négociation, sont destinés à produire un momentum politique.

Je ne vous ai pas répondu sur la situation des pays africains. Ceux-ci sont davantage engagés et coordonnés qu'auparavant. Le Sénégal, l'Éthiopie, le Kenya, l'Afrique du Sud, la République centrafricaine préparent activement des contributions qui arriveront au cours de l'été. Leur agenda est dominé par l'adaptation au changement climatique et l'engagement en faveur des énergies propres. Les pays africains expriment également des attentes fortes sur la réponse financière des pays développés. La forêt constitue un enjeu particulièrement important, ainsi que l'adaptation de l'agriculture au changement climatique.

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