Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 27 mai 2015 à 15h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • carbone
  • chine
  • climat
  • climatique
  • émissions

La réunion

Source

La commission auditionne Mme Laurence Tubiana, ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique, représentante spéciale pour la conférence Paris Climat 2015 (COP21).

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Pour cette audition commune aux commissions des affaires étrangères et du développement durable et au groupe de travail relatif aux négociations internationales sur le climat et l'environnement, nous sommes très heureux de vous accueillir, Madame l'ambassadrice, à près de 200 jours de la conférence de Paris, dont nul ne connaît les enjeux mieux que vous.

Le Sénat se mobilise dans la perspective de la conférence Paris Climat 2015, conscient de l'importance de l'enjeu climatique pour la France, pour la planète et surtout pour l'humanité, comme l'a souligné Nicolas Hulot lors de sa récente audition devant nos deux commissions.

Les effets du dérèglement climatique sont déjà sensibles à travers la montée du niveau des océans, l'érosion des côtes, dont nous allons constater les effets lors d'un prochain déplacement en Gironde, ou encore la plus grande fréquence des événements climatiques extrêmes.

C'est pourquoi le Sénat a engagé une série d'actions de sensibilisation, que le président Gérard Larcher présentera demain à la presse. La semaine dernière, nous avons tenu un colloque sur la position des religions à l'égard du réchauffement climatique. Nous nous entretenons du sujet avec les représentants des parlements étrangers que nous recevons régulièrement, ainsi nous avons récemment rencontré des parlementaires canadiens et des staffers américains. Nous participons également à la mobilisation des territoires, dont le Sénat est le représentant et qui jouent un rôle important dans la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre.

Enfin, nous préparons activement la journée de l'union interparlementaire (UIP) au cours de laquelle nous accueillerons des parlementaires du monde entier le 6 décembre au Sénat. À cette occasion, une résolution pour laquelle j'ai été nommé rapporteur sera présentée ; nous souhaiterions qu'elle soit incluse dans les actes finaux de la conférence Paris Climat.

En effet, les parlementaires ont trop souvent le sentiment d'être quelque peu tenus à l'écart des grandes négociations. Nous savons que cela ne résulte pas de votre volonté, car vous avez souligné leur apport, leur pouvoir de faire pression sur les gouvernements, par exemple sur les contributions individuelles. Or, à ce jour, seuls dix pays ont fourni leur contribution nationale en vue de la conférence, alors que la date butoir était fixée à la fin mars.

Que pouvez-vous nous dire sur les chances d'un accord sérieux à Paris ? Le processus peut-il s'accélérer ? La prochaine conférence préparatoire des parties se tiendra à Bonn à partir du 3 juin prochain. Qu'en sera-t-il ?

Nicolas Hulot a évoqué une « course contre la montre ». Où en est-on ? En quoi pouvons-nous, parlementaires, être utiles, et auprès de quels pays devons-nous agir en priorité pour contribuer à la réussite de cette conférence ?

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Je vous souhaite à mon tour, au nom du président de la commission des affaires étrangères, Jean-Pierre Raffarin, la bienvenue et vous remercie d'accepter de nous rencontrer, sachant votre agenda particulièrement chargé.

Comme l'a dit M. le président Maurey, le Sénat prend toute sa part dans la préparation de la conférence de Paris. La conférence de Copenhague, en 2009, avait donné des résultats en demi-teinte. Les pays en voie de développement avaient publié une déclaration qui posait des questions dérangeantes aux pays développés.

Dans quelle mesure avons-nous avancé depuis ? Avons-nous pris conscience des enjeux que représentent pour les pays pauvres le maintien d'un climat supportable et le soutien au développement ?

Signe supplémentaire de notre mobilisation, la commission des affaires étrangères a créé un groupe de travail sur les conséquences géopolitiques du changement climatique dans les espaces maritimes, animé par M. Cédric Perrin et Mme Leila Aïchi. Ce groupe travaille notamment sur la montée des eaux et la situation de l'Arctique.

Nicolas Hulot nous a fait part de ses craintes quant à l'insuffisance des contributions nationales à la conférence ; faut-il y voir un retard administratif ou un signe plus préoccupant ?

Autre question, non moins importante : comment assurer la mobilisation des sociétés civiles au niveau mondial, avec les sacrifices que cela implique, pour que cet accord ne reste pas lettre morte ?

Enfin, en tant que présidente du conseil d'administration de l'Agence française pour le développement (AFD), vous êtes une interlocutrice privilégiée de ces pays en voie de développement, dont la sensibilité sur la question du changement climatique diffère souvent de la nôtre. Comment progresse la préparation de la conférence dans ces pays ?

Nous mesurons l'immensité de la tâche et votre engagement personnel pour le succès de cette conférence.

Debut de section - Permalien
Laurence Tubiana

Je vous remercie de votre invitation. Ayant souvent l'impression, telle une garagiste, d'avoir les mains dans le cambouis, cette audition représente une occasion idéale de prendre du recul et de tracer le chemin qui reste à parcourir, 200 jours avant l'étape finale.

Vous avez pu entendre le Président de la République et le ministre des Affaires étrangères souligner que la conférence de Paris devait constituer un véritable tournant. Les négociations sur le climat ont commencé en 1992 - cela peut paraître long, mais elles sont plus complexes que les négociations internationales sur le commerce, qui, elles, ont duré de 1948 à 1994.

Nous souhaitons une évolution des politiques publiques nationales et des modèles de développement car, pour prendre ce tournant, il faut mettre en place des économies sobres en carbone, par la diminution de l'utilisation de ressources fossiles, ou la neutralisation des émissions dans l'atmosphère.

Il convient, par conséquent, de favoriser une convergence des anticipations des gouvernements, mais aussi des acteurs économiques et des collectivités locales. Pour passer sous la barre des deux degrés par rapport à l'ère pré-industrielle, nous devons leur faire partager l'ambition d'un changement de modèle, d'un profond découplage entre la consommation des ressources fossiles et la croissance économique. En somme, au lendemain de la clôture de la conférence, le 12 décembre, nous voudrions voir les journaux annoncer l'émergence inévitable d'une économie sobre en carbone.

Vous m'interrogez à juste titre sur la préparation des accords. Notre action se décline en quatre volets.

Le premier est la conclusion de l'accord lui-même, pour laquelle la France a reçu un mandat.

Le deuxième est constitué par les contributions nationales. La conférence est organisée selon un système dit « par le bas » reposant sur des engagements volontaires des pays en matière de réduction des émissions.

Le troisième concerne la mobilisation financière. Il faut modifier la réponse du système financier aux besoins d'investissements afin de relever le défi de la transition vers une nouvelle économie.

Enfin, le quatrième est l'engagement des acteurs non gouvernementaux. Notre ambition est de favoriser l'émergence d'un « effet croyance ». Beaucoup d'entreprises sont désormais convaincues que l'économie sobre en carbone représente l'avenir, et que les ressources fossiles constituent un investissement risqué. Quant aux acteurs locaux, nous avons à coeur de montrer qu'un grand nombre d'autorités territoriales, dont les décisions sont importantes pour le climat, voient un avenir dans la ville durable.

Oui, nous voulons que l'alliance pour le climat repose sur un travail juridique ; sur les engagements nationaux ; sur les réponses du système financier ; et sur la mobilisation des acteurs non gouvernementaux.

Avec ces quatre objectifs à l'esprit, nous allons engager une diplomatie à 360 degrés, en travaillant avec les gouvernements et tous ceux qui, au niveau national, construisent les politiques énergétiques, avec les acteurs du système financier, avec les organismes non gouvernementaux, en les incitant à s'engager de manière compréhensible et vérifiable.

Nous sommes aidés dans cette entreprise par une mobilisation sans précédent de notre exceptionnel réseau diplomatique. Dans chaque ambassade, un correspondant est en relation avec les négociateurs, les collectivités locales et les industriels.

Où en sommes-nous ? Certes, nous n'avons reçu que dix contributions - 37 en comptant chacun des membres de l'UE. Néanmoins, je n'y vois pas un motif d'inquiétude. Le 31 mars n'était pas une date impérative, la véritable échéance se présentera en octobre.

L'exercice est complexe. J'ai échangé récemment avec la secrétaire exécutive de la commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes, Alicia Bárcena, qui m'a confirmé la prise de conscience des enjeux climatiques sur son continent. Néanmoins, il y a loin de la volonté d'agir aux modalités concrètes, entre l'utilisation des politiques fiscales, la définition d'objectifs chiffrés de réduction des émissions, etc. Un grand nombre de pays ne se sont encore jamais livrés à cet exercice.

L'horizon 2025-2030 paraît particulièrement lointain. Cette échéance appelle le déploiement, dans chaque pays, de politiques de protection des industries, de l'agriculture, des forêts... Partout, ces enjeux nourrissent des débats intenses. Les gouvernements prennent conscience des démarches concrètes qu'implique leur mobilisation. Il est naturel que ce processus prenne du temps. Des arbitrages complexes doivent être rendus sur des données telles que le taux de croissance espéré.

Je suis convaincue qu'à l'arrivée, la quasi-totalité des pays émetteurs de gaz à effet de serre présenteront une contribution. Nous recevrons un afflux de contributions dans les prochaines semaines, et une nouvelle vague durant l'été. Il est néanmoins exact de dire que, comme l'a souligné Nicolas Hulot, ces contributions ne répondront pas à la question de la trajectoire à suivre pour limiter la hausse des températures à 2°C à l'horizon 2050.

L'enjeu de la conférence de Paris sera précisément de revenir vers une trajectoire compatible avec cet objectif, à travers une baisse de 50 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre entre 2000 et 2050.

Nous sommes à l'orée d'une grande transformation. Beaucoup de pays en voie de développement commencent à s'engager à des baisses absolues de leurs émissions. C'est le cas aussi de la Chine. Encore faut-il que ces réductions interviennent suffisamment vite. Il est difficile d'attendre des propositions concrètes à brève échéance, mais la volonté est là. Nous en saurons davantage à la fin juin.

Venons-en aux principaux points de la négociation. Comment allons-nous la conduire ?

En premier lieu, le 30 novembre prochain, la France succèdera au Pérou à la présidence de la conférence des parties. Jusqu'à cette date, nous travaillons en étroite collaboration avec la présidence péruvienne, très écoutée et respectée par les pays en voie de développement, ce qui nous prémunit contre le syndrome européocentriste dont avait souffert la présidence danoise. Cette association étroite avec le Pérou fait partie du capital politique que nous accumulons pour le succès de la conférence de Paris.

En deuxième lieu, nous organisons des réunions informelles afin de faire le point sur les divergences et de rapprocher les points de vue. Les dernières ont eu lieu en mars à Lima et à Paris en mai. D'autres suivront en juillet et en septembre. Ces rencontres ont lieu à différents niveaux : négociateurs, ambassadeurs ou ministres. La réunion de Petersberg, conclue il y a dix jours à Berlin par la chancelière Merkel et le président Hollande, a mis en évidence une volonté commune de faire aboutir la conférence de Paris.

Nous entrons cependant dans une phase difficile. Quatre points politiques demeurent non résolus.

Le premier est celui de l'objectif concret. Le repère des 2°C a été fixé à titre d'approximation à Copenhague en 2009 pour éviter un engagement sur des chiffres absolus pour 2050 et une traduction en termes de concentration des émissions. On a pour ainsi dire contourné l'obstacle. L'objectif exact est une fourchette comprise entre 1,5°C et moins 2°C, ce qui fait place aux revendications des petites îles et des pays africains.

Un autre objectif possible est un niveau zéro d'émissions nettes, d'ici à la fin du siècle, ou encore une baisse de 60 % des émissions mondiales par rapport à 2010. Il existe donc plusieurs propositions, mais aucune n'a recueilli de consensus pour le moment.

Le deuxième problème touche aux objectifs en termes de concentration des gaz à effet de serre. Les pays développés se déclarent prêts à réduire ces concentrations de 80 % à 95 % d'ici à 2050, mais il est politiquement difficile d'afficher des objectifs chiffrés. Cela donne la mesure du chemin à parcourir pour les autres, pays en voie de développement, et autres pays émetteurs comme la Chine et l'Inde.

Dans ce contexte, une solution peut consister à viser un pic d'émissions aussi précoce que possible. Une autre, proposée par la France, inciterait chaque pays à décrire un scénario d'évolution économique compatible avec l'objectif d'un réchauffement contenu à 2°C en 2050.

La troisième difficulté a trait aux financements. À Copenhague, les pays développés se sont engagés sur des transferts publics et privés du Nord vers le Sud de l'ordre de 100 milliards de dollars par an d'ici à 2020. D'après la Banque mondiale, les transferts publics s'élèveraient à 37 milliards par an. Il est plus difficile d'évaluer les financements privés. Il nous paraît plus opportun d'obtenir de chaque pays des trajectoires vraisemblables de croissance des financements publics et privés d'ici à 2020, et une évaluation des ressources à consacrer à l'adaptation au changement climatique.

Si les contributions se révèlent insuffisantes, comment les réviser à la hausse ? Nous allons nous battre pour instaurer des cycles. La Chine résiste tout particulièrement au principe d'une révision régulière des accords. Enfin, il faut prendre en compte le système de mesure des progrès. Il existe un accord sur les mécanismes de vérification, mais la nature de ces mécanismes et le degré d'ingérence qu'ils impliquent restent à déterminer.

Le dernier problème est celui de l'uniformité de la règle. Devons-nous l'imposer à tous ou accepter des différences de nature et de degré ? Nous avons près de six mois pour faire aboutir le processus. Les négociations formelles commencent à la fin de la semaine. Le Président et le ministre des Affaires étrangères ont souligné la nécessité de mettre en place les éléments du paquet politique au plus tard au mois d'octobre. Plusieurs jalons nous y conduisent : le G7 de juin, l'assemblée générale de l'ONU, où le Président Hollande et Ban Ki-Moon tiendront une réunion des chefs d'État sur le sujet, et la réunion de Lima sur la thématique financière avant le G20 du mois d'octobre.

En parallèle, une série de conférences et d'actions sur diverses thématiques seront conduites auprès des entreprises, des collectivités locales et des acteurs financiers. Ces temps forts, qui font partie de l'agenda de la négociation, sont destinés à produire un momentum politique.

Je ne vous ai pas répondu sur la situation des pays africains. Ceux-ci sont davantage engagés et coordonnés qu'auparavant. Le Sénégal, l'Éthiopie, le Kenya, l'Afrique du Sud, la République centrafricaine préparent activement des contributions qui arriveront au cours de l'été. Leur agenda est dominé par l'adaptation au changement climatique et l'engagement en faveur des énergies propres. Les pays africains expriment également des attentes fortes sur la réponse financière des pays développés. La forêt constitue un enjeu particulièrement important, ainsi que l'adaptation de l'agriculture au changement climatique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Bignon

Je vous remercie pour ces propos rassurants, qui contrastent avec ceux que vous avez pu tenir dernièrement dans la presse.

Ma première question porte sur le dialogue de Petersberg, lancé par l'Allemagne en 2010 après la conférence de Copenhague, dans lequel 35 pays sont impliqués. En quoi ce processus se distingue-t-il du reste des négociations ?

Deuxième remarque : le prince Albert de Monaco a désigné l'océan comme le grand absent des négociations. Vous avez présidé l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) avec détermination ; pouvez-vous me dire pourquoi l'océan n'a pas été inclus dans les discussions ? Les gaz à effet de serre semblent avoir été considérés comme une donnée principalement terrestre.

Enfin, je me suis laissé dire que certains acteurs comme la Chine travaillaient, pour reprendre l'expression anglaise, derrière le rideau. Publiquement, ils mettent en avant les difficultés qu'ils rencontrent en tant que pays émergents et, plus discrètement, ils mettent en place des stratégies industrielles et technologiques ambitieuses. Il en résulte une certaine ambiguïté. Cette question est-elle abordée dans les discussions ?

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Étant d'un naturel optimiste, je me montrerai néanmoins plus réservée dans ce cas. Nous avons entendu de nombreux scientifiques qui se sont montrés particulièrement alarmistes, prévoyant un réchauffement compris plutôt entre 4°C et 6°C à l'horizon 2050. Quid de ce delta avec l'objectif affiché de 2°C, qui n'est pas une hypothèse mais bien un constat unanime ?

Après cette remarque liminaire, je vous soumets quatre questions et remarques.

Considérez-vous le récent accord entre les États-Unis et la Chine, qui représentent à eux deux 42 % des émissions mondiales de CO2, comme une opportunité ou au contraire une menace pour les négociations ?

Vous avez évoqué la mobilisation des acteurs de la société, en particulier des entreprises. Or huit des dix premières entreprises mondiales ont une activité directement liée aux énergies fossiles. La COP 21 n'entre certes pas dans leur business plan, comment agir sur ces entreprises ?

Le fonds vert pour le climat et les aides aux pays en développement sont grevés par une ambiguïté terminologique. Les bailleurs considèrent que l'aide qu'ils apportent implique un droit de regard sur son utilisation. De leur côté, les pays destinataires se voient comme des victimes de la sur-consommation du Nord. Dans cette perspective, l'aide n'est que le remboursement d'une dette et n'emporte aucun droit de regard. Travaillez-vous sur ces notions, afin d'éviter des interprétations divergentes qui bloqueraient les négociations ?

Enfin, la perspective d'un réchauffement de 4°C entraînerait des déplacements de populations très importants, créant une nouvelle catégorie que l'on hésite à appeler déplacés environnementaux, réfugiés environnementaux ou réfugiés climatiques. Il me semble que la France, régulièrement interpellée sur le sujet au cours de nos auditions, doit s'en saisir tant qu'elle exerce une certaine influence au niveau mondial.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

En mars dernier, la conférence de l'ONU sur la prévention des catastrophes n'a débouché sur aucun objectif chiffré. Comment dépasser les belles déclarations pour élaborer des chiffrages précis ?

Debut de section - Permalien
Laurence Tubiana

Le dialogue de Petersberg est un moyen de clarifier les points politiques que les négociateurs n'arrivent pas à trancher dans le cadre multilatéral habituel. Comparable à une réunion ministérielle informelle, il sert à avancer et à résoudre les divergences au niveau politique, les négociations multilatérales étant l'oeuvre de juristes.

Le dialogue de Petersberg est la première véritable discussion ministérielle réunissant un panel représentatif de pays depuis le début de l'année. La chancelière s'y est impliquée et a laissé beaucoup de place à la France

Les océans sont les principaux puits de carbone, et jouent à ce titre un rôle capital dans l'écosystème mondial. Un grand nombre de pays demandent que ce thème soit traité. Les forêts peuvent être abordées par deux angles : en les protégeant, on préserve leur capacité à stocker le carbone et on les régénère. Comment freiner l'acidification des océans, et éviter d'en faire une variable d'ajustement, avec les conséquences afférentes pour la faune et la flore ? Incontestablement, la question est importante, mais par quel biais l'attaquer ? Le principal enjeu consiste à réduire les émissions mondiales ; on peut également envisager d'accroître les capacités d'absorption d'autres puits de carbone comme les sols, grâce à l'agriculture, à la fertilisation et à une meilleure gestion des forêts.

Il demeure que pour le moment, les océans sont abordés en tant que milieu impacté par le changement climatique, et non en tant que solution. Il est contre-productif de placer cette thématique dans tous les points de la négociation, comme certains le souhaiteraient. Le sujet sera mentionné, mais il est exclu de fixer des objectifs chiffrés.

Ayant décidé de réduire sa consommation de charbon, la Chine est le premier investisseur en matière d'énergies renouvelables. À l'instar de notre débat sur le nucléaire, certains hauts responsables chinois défendent la technologie liée au charbon, tandis que d'autres dénoncent la pollution.

Depuis 2010, la Chine parie sur une économie bas-carbone : c'est un changement fondamental. Les négociateurs chinois souhaitent que l'accord de Paris crédibilise l'engagement international d'aller vers une économie décarbonée. En revanche, ils veulent conserver leur libre choix en la matière. Le treizième plan quinquennal (2016-2021) sera très intéressant, à cet égard, puisqu'il comportera des mesures précises, qui seront annoncées dès le mois d'août. En Chine, le débat politique porte essentiellement sur le taux de croissance pour les quinze prochaines années. Presque tous les instituts de recherche, y compris chinois, estiment que les émissions chinoises vont diminuer à partir de 2025, mais la Chine ne veut pas s'engager trop ouvertement en ce sens, car cela impliquerait une réduction du taux de croissance. Tant que le découplage entre taux de croissance et consommation d'énergie ne sera pas prouvé, le sujet restera tabou en Chine. En France, dans le débat sur la transition énergétique, certains politiques ont dénoncé de même le sacrifice de notre économie au nom de la réduction par deux de notre consommation énergétique à l'horizon 2050.

Les conclusions des climatologues français et des experts du GIEC se fondent sur les prévisions actuelles qui estiment que la température mondiale augmentera de près de 4 degrés d'ici la fin du siècle. L'objectif de l'accord est d'accentuer les efforts à l'avenir, car les technologies deviennent matures, coûtent de moins en moins cher et emportent l'adhésion du plus grand nombre. Les accords de Paris devront dresser le constat de la situation, fixer les objectifs et déterminer les étapes intermédiaires. Les moyens mis en oeuvre tant en matière d'investissements, de recherche que de développement seront déterminants.

L'accord entre les États-Unis et la Chine est essentiel et il sera sans doute suivi d'une autre déclaration importante en septembre, lorsque le président chinois se rendra à Washington. Cet accord a déstabilisé le groupe des pays en développement. Pour la première fois, la Chine reconnaissait publiquement qu'elle allait réduire ses émissions. Il faudra néanmoins que cet accord ne se fasse pas a minima.

Certes, les dix plus grandes entreprises mondiales dépendent pour beaucoup de l'énergie fossile, mais nous devons leur faire comprendre qu'il ne s'agit pas d'une solution d'avenir. D'ailleurs, certaines d'entre elles commencent à comptabiliser le risque carbone pour prendre en compte la dévalorisation de leurs actifs. Quelques fonds d'investissements se désengagent du secteur fossile. Le signal du risque économique se manifeste donc. De grandes entreprises, comme Total, commencent d'ailleurs à s'orienter vers les énergies renouvelables et Shell investit dans la capture du carbone.

Les pays pétroliers et les grandes entreprises qui vivent de l'énergie fossile n'ont bien sûr pas intérêt à ce que l'accord soit contraignant, mais s'ils estiment cette évolution inévitable, ils reverront leurs scénarios futurs. L'accord de Paris repose sur la gestion des anticipations : cette grande bataille, perdue à Copenhague, doit être gagnée à Paris.

Ne nous faisons pas d'illusion sur ce que sont les accords multilatéraux : seuls les accords commerciaux, qui prévoient des sanctions, ont un réel impact. Un tribunal du climat ne naîtra pas des accords de Paris. En revanche, le succès sera au rendez-vous si les gouvernements craignent les impacts du changement climatique. En cinq ans, les mentalités ont évolué, ce qui permettra sans doute de parvenir à un accord à Paris. Ainsi, trois rapports de l'académie des sciences chinoise ont été publiés, mesurant les dégâts du changement climatique. Divers pays, dont le Mexique, la Chine ou l'Afrique du Sud, disposent désormais d'outils mesurant les impacts du changement climatique, et ils mettent en place des mesures incitatives comme des quotas carbone ou des aides fiscales aux énergies renouvelables.

Nous sommes à la fois dans l'aide et dans la compensation. Les pays en développement demandent aux pays développés de les aider, et les financements sud-sud s'accroissent. Le fonds vert pour le climat a instauré une gouvernance bipartite : ceux qui financent n'ont pas plus de droits que ceux qui perçoivent les aides.

L'accord comporte un nouveau chapitre intitulé « règlement des pertes et dommages » lié à l'impact du changement climatique sur les pays qui demandent des compensations. Nous essayons d'être solidaires à l'égard de ces pays, sans qu'il soit question de compensation, terme qui serait inacceptable par les pays développés. Les responsabilités passées ne sont pas niées, mais il ne peut s'agir d'une véritable dette. En outre, les grands pays nouvellement émetteurs comme la Chine demandent à ce que le passé soit pris en compte.

Vous m'avez interrogée sur les déplacés climatiques : soyons sans illusion, l'accord de Paris ne leur accordera pas de statut particulier, d'autant que l'immigration est un sujet particulièrement conflictuel en ce moment. Voyez par exemple la situation au Japon, en Chine, en Birmanie. Le sujet, pourtant, est réel et mérite d'être abordé : les petites iles s'interrogent sur leur devenir lorsque leurs territoires seront submergés. En revanche, la négociation traite des droits humains et la France, comme d'autres pays, soutient cette initiative. Peut-être sera-t-il possible de renforcer le statut des victimes en y incluant les déplacés ?

Le pessimisme de certaines de mes interviews a pour but d'accélérer le rythme de la négociation. Néanmoins, celles-ci restent extrêmement difficiles.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Fouché

Dans une petite commune, l'auteur de la pollution d'un ruisseau se retrouve devant un tribunal correctionnel. Rien de tel pour l'océan arctique qui est très fragile et convoité pour son pétrole. Conscient du problème, Total fait extraire et acheminer le pétrole par des bateaux pétroliers russes. La conférence de Paris va-t-elle se préoccuper de cette question ?

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Didier

Quelle place pour la France en tant que puissance invitante de la conférence de Paris ?

La responsabilité historique sera-t-elle un point « dur » de la conférence, comme mes contacts en Amérique latine m'inclinent à le penser ?

A-t-on une idée précise des émissions de chaque pays et les efforts qui leur sont demandés sont-ils proportionnés ?

Les pays du G7 vont-ils faire une déclaration commune pour crédibiliser la conférence ?

Recense-t-on les déplacés climatiques ?

Enfin, j'ai le sentiment que le Canada et l'Australie n'évoluent guère...

Debut de section - PermalienPhoto de Fabienne Keller

Avec mon collègue Yvon Collin, nous revenons du Sénégal où nous avons contrôlé l'utilisation des aides climatiques de l'AFD. Comment se répartissent les aides en faveur du développement et celles pour le climat dans les pays les moins avancés ? Sur place, ce sont les premières qui importent.

Les prix des énergies fossiles et du marché du carbone se sont effondrés : quel mauvais signal !

On parle beaucoup des financements innovants, même si le fonds vert a beaucoup déçu. Peut-on espérer des avancées sur la taxation des transports aériens et maritimes, ces derniers n'étant soumis à aucune taxe ?

Envisage-t-on une inclusion carbone aux frontières, qui est OMC-compatible ?

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Mandelli

Vous avez déclaré dans un journal dominical qu'un accord a minima n'était pas envisageable. Est-ce vraiment le cas ? Vous avez également affirmé que le succès se mesurerait au nombre de ministres sur la photo. Est-ce que ce sera le seul indicateur de réussite de la conférence ?

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

La parole de la société civile et des acteurs non-étatiques est de plus en plus forte, même si elle n'aura pas d'impact direct sur l'accord, qui résultera d'une négociation entre États.

La multiplication des crises internationales - Ukraine, Syrie, Yémen - est-elle de nature à gripper les accords sur le climat ou à les favoriser ? Ces accords sont avant tout économiques, mais l'Europe n'a pas inclus le climat dans ses négociations de libre-échange avec le Canada et les États-Unis. La technostructure européenne qui négocie ce traité prend-elle en compte cette dimension ?

Debut de section - Permalien
Laurence Tubiana

Seuls quelques accords régionaux prévoient des sanctions à l'égard des pollueurs. Malheureusement, pour des raisons politiques, nous n'avons pu imposer à l'Arctique le statut de bien public mondial, comme ce fut le cas pour l'Antarctique. On ne pourra pas punir ceux qui exploitent le pétrole en Arctique mais ces exploitations étant très coûteuses et risquées - d'où l'absence de Total - il est possible d'espérer le retrait de ces groupes qui iront gagner de l'argent ailleurs. La pression de l'opinion publique et des scientifiques est indispensable pour arrêter cette exploitation, d'autant que la renégociation du traité de l'Arctique a confirmé la propriété du sous-sol à certains États qui pourront continuer à le ravager en toute impunité.

En tant que présidente de la conférence de Paris, la France doit trouver le ton juste, savoir écouter, sans arrogance, tout en gardant le cap pour répondre aux questions posées. Les États souverains devront néanmoins être entendus et encouragés à être plus entreprenants.

La responsabilité historique pose un problème majeur : elle doit être reconnue mais ne pas occulter le fait que des pays en développement sont devenus de très gros pollueurs. La Chine est ainsi le premier émetteur mondial. Il est donc difficile de ne prendre en compte que le passé alors que les pays vont s'engager pour les vingt prochaines années. Pour trouver une formule juste, il faut qu'elle soit acceptable. Comment se développer en ayant très peu d'émissions ?

Le G7 fera probablement une déclaration significative, notamment grâce à l'Allemagne.

Les Nations Unies s'occupent des réfugiés climatiques mais nous sommes loin d'un statut.

Le Canada reste fermé, mais certaines de ses provinces, comme l'Ontario, le Québec ou la Colombie britannique, sont extrêmement volontaires. En Alberta, pays des sables bitumineux, le nouveau gouvernement a déclaré qu'il veut une politique environnementale forte. En Australie, le mouvement est identique : le gouvernement s'oppose à toute politique climatique alors que beaucoup d'Australiens sont préoccupés par l'avenir de la grande barrière de corail et par les vagues de chaleur qui sont parmi les plus fortes du monde. Cela bouge partout, dans le bon sens, mais il ne faut pas que le soufflé retombe.

Oui, Madame Keller, il est vrai que les pays les moins avancés évoquent davantage le financement du développement que le climat, mais il est souvent difficile de distinguer les deux, sauf pour l'éducation et la santé.

De nombreux pays vont instaurer un prix du carbone. Quant aux financements innovants, la taxe sur les transactions financières va enfin produire ses effets. Les compagnies aériennes se sont engagées à compenser leurs émissions. Il est en revanche difficile d'instaurer une taxe sur le transport maritime, qui affecterait les pays en développement : le blocage est total.

Plus les pays mèneront une politique climatique active, plus les questions du prix du carbone et de la taxation aux frontières se poseront. Les conflits commerciaux risquent donc de se multiplier devant l'OMC dans les prochaines années, en raison des politiques divergentes qui seront menées en la matière. La taxe sur les billets d'avion fonctionne, même si peu de pays ont adhéré, les compagnies aériennes peuvent-elles faire quelque chose de leur côté ? Ces questions demeurent sur la table pour les semaines qui viennent.

Nous nous battrons contre des accords a minima et le succès ne se mesurera pas qu'à la photo.

Oui, Monsieur Dantec, beaucoup d'acteurs civils demandent à leurs gouvernements d'aller plus loin et plus vite. Leur rôle doit être encouragé.

La Californie, huitième économie mondiale, envisage son futur comme totalement décarboné. Qui ne voudrait lui ressembler ?

Enfin, je ne sais si les conflits actuels vont favoriser ou empêcher les accords de Paris. Quel seront les rôles de la Russie, de l'Arabie Saoudite ? Les signaux qu'ils envoient sont contradictoires. L'activisme politique de la France est plutôt un atout.

Le traité de libre-échange transatlantique aura-t-il un impact sur les politiques climatiques ? De nombreuses ONG posent la question depuis plusieurs semaines et j'ai présenté à M. Fabius des suggestions à ce propos. Les négociations s'accélèrent car l'administration Obama veut parvenir à un accord avant son départ. Il semble en tout cas que les deux soient liés, puisque les effets de ces accords ont des répercussions directes sur les politiques intérieures de chaque pays.

Le rôle des parlementaires est essentiel : ils doivent encourager les gouvernements, constituer le relais de l'opinion publique mais aussi des expériences étrangères couronnées de succès et surveiller le respect des engagements pris.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

Merci pour votre expression raisonnablement optimiste et pour la qualité et la précision de vos réponses.

Debut de section - PermalienPhoto de Rémy Pointereau

Merci, Madame l'ambassadrice, et bon courage pour vos négociations.

La réunion est levée à 16 heures 50.