Intervention de Laurence Tubiana

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 27 mai 2015 à 15h00
Audition de Mme Laurence Tubiana ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique représentante spéciale pour la conférence paris climat 2015 cop21

Laurence Tubiana :

Le dialogue de Petersberg est un moyen de clarifier les points politiques que les négociateurs n'arrivent pas à trancher dans le cadre multilatéral habituel. Comparable à une réunion ministérielle informelle, il sert à avancer et à résoudre les divergences au niveau politique, les négociations multilatérales étant l'oeuvre de juristes.

Le dialogue de Petersberg est la première véritable discussion ministérielle réunissant un panel représentatif de pays depuis le début de l'année. La chancelière s'y est impliquée et a laissé beaucoup de place à la France

Les océans sont les principaux puits de carbone, et jouent à ce titre un rôle capital dans l'écosystème mondial. Un grand nombre de pays demandent que ce thème soit traité. Les forêts peuvent être abordées par deux angles : en les protégeant, on préserve leur capacité à stocker le carbone et on les régénère. Comment freiner l'acidification des océans, et éviter d'en faire une variable d'ajustement, avec les conséquences afférentes pour la faune et la flore ? Incontestablement, la question est importante, mais par quel biais l'attaquer ? Le principal enjeu consiste à réduire les émissions mondiales ; on peut également envisager d'accroître les capacités d'absorption d'autres puits de carbone comme les sols, grâce à l'agriculture, à la fertilisation et à une meilleure gestion des forêts.

Il demeure que pour le moment, les océans sont abordés en tant que milieu impacté par le changement climatique, et non en tant que solution. Il est contre-productif de placer cette thématique dans tous les points de la négociation, comme certains le souhaiteraient. Le sujet sera mentionné, mais il est exclu de fixer des objectifs chiffrés.

Ayant décidé de réduire sa consommation de charbon, la Chine est le premier investisseur en matière d'énergies renouvelables. À l'instar de notre débat sur le nucléaire, certains hauts responsables chinois défendent la technologie liée au charbon, tandis que d'autres dénoncent la pollution.

Depuis 2010, la Chine parie sur une économie bas-carbone : c'est un changement fondamental. Les négociateurs chinois souhaitent que l'accord de Paris crédibilise l'engagement international d'aller vers une économie décarbonée. En revanche, ils veulent conserver leur libre choix en la matière. Le treizième plan quinquennal (2016-2021) sera très intéressant, à cet égard, puisqu'il comportera des mesures précises, qui seront annoncées dès le mois d'août. En Chine, le débat politique porte essentiellement sur le taux de croissance pour les quinze prochaines années. Presque tous les instituts de recherche, y compris chinois, estiment que les émissions chinoises vont diminuer à partir de 2025, mais la Chine ne veut pas s'engager trop ouvertement en ce sens, car cela impliquerait une réduction du taux de croissance. Tant que le découplage entre taux de croissance et consommation d'énergie ne sera pas prouvé, le sujet restera tabou en Chine. En France, dans le débat sur la transition énergétique, certains politiques ont dénoncé de même le sacrifice de notre économie au nom de la réduction par deux de notre consommation énergétique à l'horizon 2050.

Les conclusions des climatologues français et des experts du GIEC se fondent sur les prévisions actuelles qui estiment que la température mondiale augmentera de près de 4 degrés d'ici la fin du siècle. L'objectif de l'accord est d'accentuer les efforts à l'avenir, car les technologies deviennent matures, coûtent de moins en moins cher et emportent l'adhésion du plus grand nombre. Les accords de Paris devront dresser le constat de la situation, fixer les objectifs et déterminer les étapes intermédiaires. Les moyens mis en oeuvre tant en matière d'investissements, de recherche que de développement seront déterminants.

L'accord entre les États-Unis et la Chine est essentiel et il sera sans doute suivi d'une autre déclaration importante en septembre, lorsque le président chinois se rendra à Washington. Cet accord a déstabilisé le groupe des pays en développement. Pour la première fois, la Chine reconnaissait publiquement qu'elle allait réduire ses émissions. Il faudra néanmoins que cet accord ne se fasse pas a minima.

Certes, les dix plus grandes entreprises mondiales dépendent pour beaucoup de l'énergie fossile, mais nous devons leur faire comprendre qu'il ne s'agit pas d'une solution d'avenir. D'ailleurs, certaines d'entre elles commencent à comptabiliser le risque carbone pour prendre en compte la dévalorisation de leurs actifs. Quelques fonds d'investissements se désengagent du secteur fossile. Le signal du risque économique se manifeste donc. De grandes entreprises, comme Total, commencent d'ailleurs à s'orienter vers les énergies renouvelables et Shell investit dans la capture du carbone.

Les pays pétroliers et les grandes entreprises qui vivent de l'énergie fossile n'ont bien sûr pas intérêt à ce que l'accord soit contraignant, mais s'ils estiment cette évolution inévitable, ils reverront leurs scénarios futurs. L'accord de Paris repose sur la gestion des anticipations : cette grande bataille, perdue à Copenhague, doit être gagnée à Paris.

Ne nous faisons pas d'illusion sur ce que sont les accords multilatéraux : seuls les accords commerciaux, qui prévoient des sanctions, ont un réel impact. Un tribunal du climat ne naîtra pas des accords de Paris. En revanche, le succès sera au rendez-vous si les gouvernements craignent les impacts du changement climatique. En cinq ans, les mentalités ont évolué, ce qui permettra sans doute de parvenir à un accord à Paris. Ainsi, trois rapports de l'académie des sciences chinoise ont été publiés, mesurant les dégâts du changement climatique. Divers pays, dont le Mexique, la Chine ou l'Afrique du Sud, disposent désormais d'outils mesurant les impacts du changement climatique, et ils mettent en place des mesures incitatives comme des quotas carbone ou des aides fiscales aux énergies renouvelables.

Nous sommes à la fois dans l'aide et dans la compensation. Les pays en développement demandent aux pays développés de les aider, et les financements sud-sud s'accroissent. Le fonds vert pour le climat a instauré une gouvernance bipartite : ceux qui financent n'ont pas plus de droits que ceux qui perçoivent les aides.

L'accord comporte un nouveau chapitre intitulé « règlement des pertes et dommages » lié à l'impact du changement climatique sur les pays qui demandent des compensations. Nous essayons d'être solidaires à l'égard de ces pays, sans qu'il soit question de compensation, terme qui serait inacceptable par les pays développés. Les responsabilités passées ne sont pas niées, mais il ne peut s'agir d'une véritable dette. En outre, les grands pays nouvellement émetteurs comme la Chine demandent à ce que le passé soit pris en compte.

Vous m'avez interrogée sur les déplacés climatiques : soyons sans illusion, l'accord de Paris ne leur accordera pas de statut particulier, d'autant que l'immigration est un sujet particulièrement conflictuel en ce moment. Voyez par exemple la situation au Japon, en Chine, en Birmanie. Le sujet, pourtant, est réel et mérite d'être abordé : les petites iles s'interrogent sur leur devenir lorsque leurs territoires seront submergés. En revanche, la négociation traite des droits humains et la France, comme d'autres pays, soutient cette initiative. Peut-être sera-t-il possible de renforcer le statut des victimes en y incluant les déplacés ?

Le pessimisme de certaines de mes interviews a pour but d'accélérer le rythme de la négociation. Néanmoins, celles-ci restent extrêmement difficiles.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion