Intervention de Claude Berruer

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 28 mai 2015 à 9h00
Audition de M. Claude Berruer secrétaire général adjoint de l'enseignement catholique

Claude Berruer, secrétaire général adjoint de l'Enseignement catholique :

La crise de l'école et, pour reprendre l'intitulé de votre commission, la perte des repères républicains sont le reflet d'une crise sociale plus globale. Plusieurs maux affligent l'école : l'individualisme, qui entrave la poursuite du bien commun ; le consumérisme ; l'hédonisme ; le relativisme, qui discrédite toute norme ; et enfin le communautarisme, qui s'oppose à l'universalisme républicain.

Il en résulte une crise de la parole, des relations entre parents, enseignants et élèves, du sens et de l'éthique, qui prend sa source dans une crise de la transcendance, c'est-à-dire l'oubli que nous vivons d'un héritage sur lequel nous devons construire le présent.

L'école du XXIe siècle doit naturellement s'adapter au temps présent et préparer les jeunes à l'avenir, en assurant leur insertion professionnelle. Mais elle doit le faire en restant fidèle à sa mission de transmission. Comme l'a rappelé Hannah Arendt, « la continuité d'une civilisation constituée ne peut être assurée que si les nouveaux venus par naissance sont introduits dans un monde préétabli où ils naissent en étrangers ». Notre responsabilité est d'installer ces nouveaux venus dans notre civilisation constituée.

Sans opposer anciens et modernes, nous devons nous demander comment former les adultes de demain en nous appuyant sur cet héritage reçu et sur notre patrimoine.

Voici ce qu'écrivait Régis Debray dans son rapport sur la laïcité rendu en 2002 : « Élargissement vertigineux des horizons et rétrécissement drastique des chronologies. Contraction planétaire et pulvérisation du calendrier. On se délocalise aussi vite qu'on se déshistorise. Un antidote efficace à ce déséquilibre entre l'espace et le temps, les deux ancrages fondamentaux de tout état de civilisation, ne réside-t-il pas dans la mise en évidence des généalogies et soutènements de l'actualité la plus brûlante ? » Rendre l'élève lucide et conscient vis-à-vis de l'actualité, telle est la mission de l'école, qui se fonde sur une mise en évidence des généalogies. L'école est le lieu du discernement.

Deuxième élément, la recherche de saines articulations dans la vie de l'école, la formation des acteurs et l'animation des classes. L'articulation entre bienveillance et exigence est la base de saines conditions d'apprentissage, où chacun se sent reconnu et respecté. J'ai souvent eu l'occasion d'échanger avec des élèves décrocheurs, qui sont amenés par un sentiment de marginalisation et d'exclusion à se mettre d'eux-mêmes en dehors de l'école. Mais il n'est pas de bienveillance sans l'exigence, qui rend possible l'autorité du maître.

L'articulation entre transmission et appropriation est tout aussi essentielle, puisque pour acquérir des savoirs et des valeurs, l'élève doit être acteur de son apprentissage. Cependant, la nécessaire autonomie doit se fonder sur l'enseignement de savoirs reconnus. Ainsi, la formation morale commence par l'énoncé de la loi, préalable à son appropriation. Autrement, l'enseignement paraîtra discrétionnaire et imposé de l'extérieur. Dans les établissements scolaires, cette articulation se décline autour d'un règlement et d'une charte. Enfin, dans l'acquisition des savoirs, elle se traduit par l'installation des fondamentaux, et l'association entre un enseignement qui transmet et le nécessaire croisement interdisciplinaire.

L'articulation entre identité et altérité prend un relief particulier à l'heure de la construction européenne, de la mondialisation et du pluralisme qui appellent une réouverture de l'école. C'est la capacité à dialoguer avec les autres tout en demandant une reconnaissance de sa propre identité. La laïcité rend cette articulation possible en favorisant une convergence vers un idéal universel et en construisant le vivre-ensemble.

L'articulation entre les responsabilités de l'école et celles de la famille, enfin. Il est légitime que les parents soient associés à la vie de l'école, mais celle-ci n'est pas la somme d'intérêts particuliers, et les associations de parents d'élèves ne sont pas des associations de consommateurs. L'école doit donner toute sa place à la famille tout en restant le lieu de la formation à l'universalité.

La dialectique entre transmission et appropriation repose sur un travail autour du socle commun de connaissances et de compétences. Mais le texte ne suffit pas : il faut que les équipes se l'approprient. Nous assistons à une croissance exponentielle des enseignements. Les sept disciplines du Moyen Âge sont devenues 8 000. À cela s'ajoute le flux d'informations déversé par les technologies numériques. Dans ces conditions, qu'est-ce que l'école au jour le jour ? Sur quel socle doit-elle reposer ? Le travail d'appropriation par les équipes éducatives est indispensable.

La rénovation de la formation des maîtres se poursuit. L'expertise disciplinaire fonde partiellement l'autorité du maître, mais elle est complétée par la gestion de la classe et de l'établissement, qui doivent être assurées en équipe. Il est indispensable de développer les capacités éducatives des maîtres, pour que les valeurs soient éprouvées dans une pratique régulièrement évaluée. Hélas !, la formation continue souffre de sous-financement depuis plusieurs décennies.

La co-responsabilité entre l'école et la famille est souvent évoquée à travers le prisme d'une prétendue démission de certains parents. Pour ma part, en tant que chef d'établissement, j'ai surtout rencontré des familles découragées et déconcertées. Que faire pour aider les parents à réinvestir leur responsabilité ?

Trop souvent, l'enseignant se sent isolé face à de nouveaux comportements de groupe. Pour y faire face, nous avons besoin d'équipes solidaires et d'un soutien de la hiérarchie aux enseignants. Le temps de service des enseignants doit être réorganisé pour ménager une place à la concertation et à l'élaboration des stratégies de formation.

Nous avons des textes qui fixent bien les missions de l'école, à commencer par le socle commun de connaissances et de compétences et le référentiel sur l'enseignement moral et civil. L'enjeu est la capacité du système éducatif à les mettre en oeuvre. Comment faciliter, par la formation et les nouveaux modes d'animation, le travail des enseignants et des équipes éducatives ?

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