Vous m'avez interrogée sur les difficultés de prévision en dépenses et en recettes ainsi que sur la fiabilité et la crédibilité qui peut leur être apportée, notamment au moment de la présentation en loi de finances.
S'agissant des prévisions de dépenses, il me paraît important de souligner que l'année 2014 a été marquée par le plein effet d'une première revalorisation exceptionnelle de 2 %, décidée et appliquée en septembre 2013, de manière relativement rapide. Cette décision résultait du plan de lutte contre la pauvreté et avait été mal prise en compte lors de la budgétisation.
Il faut rappeler à cet égard que le projet de loi de finances se prépare très tôt. S'il est déposé sur le bureau des assemblées en octobre, le travail technique entre les services et la direction du budget commence dès le début de l'année. Les premières simulations et projections sont échangées au printemps, puis les lettres plafonds du Premier ministre sont adressées aux ministres à la fin du mois de juin ou début juillet. Par conséquent, les simulations et projections traduites dans le projet de loi de finances reposent sur des chiffrages du premier semestre, lesquels, compte tenu du fonctionnement de l'appareil statistique, rendent compte des données de l'année précédente. Il existe donc un décalage entre les données disponibles au moment de la construction budgétaire et l'exécution réelle. Les collectifs budgétaires ont précisément pour vocation de tenir compte des évolutions de conjoncture entre la prévision et l'exécution. Car il peut effectivement exister des évolutions importantes en cours d'année, avec un impact sur les prestations, ces dernières constituant des revenus monétaires qui s'ajustent à différents paramètres, tels que la situation macroéconomique ou la situation de l'emploi.
Je ne pense pas, pour autant, que ces contraintes calendaires et techniques invalident l'exercice de projection et de simulation.
Il n'est pas rare, d'ailleurs, que des prestations connaissent des évolutions dynamiques. Par exemple, l'allocation adulte handicapé (AAH), financée sur le programme 157 « Handicap et dépendance », et dont le montant est proche de 7 milliards d'euros, a connu par le passé une telle évolution, en lien notamment avec la revalorisation de 25 % de son montant décidée sous la précédente mandature.
Tout au long de la mise en oeuvre de cette revalorisation exceptionnelle, nous avons a constaté des effets sur les publics bénéficiaires et une dynamique de la dépense significativement supérieurs aux évolutions liées à « l'effet prix » - à savoir la revalorisation régulière du montant de la prestation en lien avec l'inflation - et à « l'effet volume », c'est-à-dire l'augmentation régulière du nombre de bénéficiaires. Des effets de champ se sont ainsi cumulés avec des changements de contexte économique. En conséquence, le nombre de bénéficiaires du dispositif s'est avéré supérieur à nos prévisions.
La fin de la revalorisation exceptionnelle a permis un retour à des évolutions plus classiques. Les deux effets majeurs ont repris leur importance, nos prévisions sont désormais plus fiables et les ouvertures en collectif de fin d'année, qui ont été importantes par le passé, ont été réduites. On constate ainsi peu d'écart entre la prévision de la loi de finances initiale pour 2014 et l'exécution, ainsi que des ouvertures de crédits limitées en collectif.
Les dynamiques de prestations sont donc plus ou moins complexes à estimer. Nous travaillons avec des statisticiens en nous efforçant d'intégrer dans nos projections les phénomènes qui peuvent faire évoluer les paramètres. Il est compliqué de s'ajuster mais je ne crois pas que cela invalide pour autant la sincérité et le sérieux de nos prévisions.
En ce qui concerne la fiabilité des prévisions relatives à la prime d'activité par rapport à la future exécution budgétaire, je voudrais ici rappeler l'histoire récente de la généralisation du RSA en juin 2009 et insister sur la difficulté inhérente au passage d'une simulation théorique, à partir de modèles statistiques, à la réalité. En effet, il nous est impossible de simuler quel sera le taux de recours à la prestation.
S'agissant du RSA, à l'époque, nous avions fait le choix de considérer que le taux de recours serait maximal. Autrement dit, dès la première année de la mise en place de la réforme, il était nécessaire de budgéter le dispositif à son montant cible. Or, en pratique, on a constaté que la prestation ne trouvait pas son public et que le taux de non-recours demeurait important dans la durée. En outre, avant d'atteindre le palier connu par cette prestation sur les années récentes, on s'est heurté à un phénomène de montée en charge, sur lequel aucun statisticien ne peut s'engager, dans la mesure où chaque montée en charge de chaque prestation a été différente.
Pour conclure, je dirais que nos simulations sont les plus fiables possibles, nos données étant issues de micro-simulations croisées et convergentes entre plusieurs départements statistiques. Elles nous permettent de produire des études d'impact fournissant à la fois des montants individuels par composition du foyer ou par tranche de revenus, et de simuler un impact budgétaire.
En revanche, une donnée demeure une inconnue dans la présentation du prochain projet de loi de finances pour 2016, même si l'on en a tenu compte dans la projection budgétaire. Nous évaluons le taux de recours à 50 %, et nous émettons des hypothèses sur les conditions de montée en charge. Mais cela reste des hypothèses et il sera temps de revenir sur leur pertinence lorsque nous discuterons de l'exécution 2016.
Vous m'avez par ailleurs interrogée sur l'intérêt de l'expérimentation pour sortir des modèles théoriques. Pour la direction générale de la cohésion sociale, il est clair que l'expérimentation en matière sociale constitue un outil précieux. Toutefois, encore faut-il réaliser de telles expérimentations dans des conditions sérieuses, comme nous l'avons fait pour le RSA, à travers la mise en place de territoires pilotes d'un côté et de territoires témoins de l'autre, ainsi que d'un dispositif de collecte d'indicateurs et de suivi. L'expérimentation présentait un réel intérêt dans le cas du RSA « activité ». En effet, celui-ci poursuivait plusieurs objectifs, notamment le soutien au revenu des travailleurs modestes et le retour à l'activité pour éviter la discontinuité entre des situations de non-emploi et des situations d'emploi. Dans ce cas, il était décisif de pouvoir disposer d'informations sur l'effectivité des reprises d'emploi associées. Effectivement, lorsque l'on a comparé le revenu des personnes percevant le RSA « activité » à celui de celles qui ne le recevaient pas dans la phase expérimentale, on a pu constater clairement que les bénéficiaires avaient des revenus plus élevés que les autres.
Pour autant, l'expérimentation présente peut-être moins d'intérêt au regard de la prime d'activité. En effet, cette prestation poursuit avant tout un objectif primordial de soutien au pouvoir d'achat. Doit-elle viser un effet incitatif sur le retour à l'emploi ? Ce n'est pas son but premier. Il s'agit de mettre en place une aide monétaire différente, concentrée sur des publics qui disposent d'un revenu d'activité qui ne correspond pas, pour la plupart d'entre eux, à un revenu d'activité à temps plein, mais qui sont d'ores et déjà en voie d'insertion sur le marché du travail. Le Gouvernement a d'abord visé un objectif de rapidité dans le déploiement de cette réforme.