Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, l’ampleur des sujets abordés par le présent projet de loi, leur importance cruciale – il s’agit de la sécurité et des libertés fondamentales –, imposaient à l’évidence qu’un débat complet soit instauré. Vous ne l’avez pas voulu. En choisissant la procédure accélérée, vous décidez de prendre les parlementaires de vitesse, alors qu’ils auraient d’autant plus besoin de temps que le sujet, outre ses implications juridiques, est extraordinairement complexe. Vous venez d’ailleurs de le reconnaître à l’instant, monsieur le ministre.
Ce faisant, vous prenez aussi l’opinion publique de vitesse, car c’est lorsque le débat parlementaire s’effectue à son rythme habituel que les acteurs de la société civile et les médias s’emparent du sujet, comme cela est souhaitable en démocratie.
Or vous savez combien, monsieur le ministre, votre projet de loi soulève de protestations. La Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, la quasi-totalité des acteurs du numérique et des scientifiques sont vent debout contre ce texte. Presque jamais une loi n’aura-t-elle été expédiée aussi rapidement, entre sa présentation en conseil des ministres et son adoption définitive.
Sur le fond, un premier constat s’impose à la lecture du projet de loi, et notamment de son article 1er : le juge judiciaire a disparu. De surcroît, en autorisant les services de renseignement à procéder à un traitement de masse des données de nos concitoyens, vous donnez à ces services, dans ce domaine précis, des moyens supérieurs à ceux accordés aux juges antiterroristes. Cela se fera, en outre, sous le seul contrôle d’une autorité administrative indépendante des avis de laquelle l’exécutif peut s’abstraire. Quant au juge administratif, il n’est plus saisi qu’a posteriori et jamais a priori.
Par ailleurs, je m’interroge sur la façon dont cette commission, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, ou CNCTR, va pouvoir accomplir sa mission. Composée de quelques parlementaires et de quelques magistrats, des personnalités à l’emploi du temps particulièrement chargé, elle ne comportera qu’un seul spécialiste des techniques informatiques.
Je voudrais donc vous poser une question : qui contrôle qui ? Avant d’être soumise à la CNCTR, l’autorisation de connexion doit être validée par les collaborateurs du Premier ministre expressément désignés pour ce faire. Au nombre de cinq, ils ont bien entendu d’autres responsabilités au sein du cabinet. Le rapport de la commission des lois indique qu’il y a eu 321 243 demandes d’interception de la part des services en 2013, soit près de 1 000 par jour. Monsieur le ministre, grâce à quelle procédure cinq personnes traiteront-elles sérieusement, car il s’agit d’un sujet sérieux, 1 000 autorisations par jour ?
Pouvez-vous nous expliquer ensuite sur quels critères certaines de ces demandes seront transmises à la commission quand d’autres ne le seront pas ? Le dernier rapport de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, la CNCIS, indique qu’elle a reçu en 2012 197 057 demandes d’interception, soit plus de 500 par jour. Cela signifie qu’un tiers des demandes ne lui sont pas transmises.
De plus, pouvez-vous nous indiquer, enfin, comment les six parlementaires et les six conseillers d’État de la CNCTR feront pour donner un avis, d’ailleurs obligatoire, sur 197 057 demandes, soit 500 dossiers par jour ? Je poserai ma question de façon plus directe : cette procédure est-elle sérieuse ou s’agit-il simplement d’utiliser une machine à signer ? La question a d’autant plus de sens que le traitement massif prévu par l’article L. 851-4 du code de la sécurité intérieure va encore multiplier le nombre des interventions.
Je posais il y a un instant la question : qui contrôle qui ? Je voudrais profiter de ce débat pour vous en poser une autre, sur laquelle il est important que vous nous éclairiez. Au lendemain des attentats du 7 janvier, Mediapart, sous le titre « Comment les services ont raté les terroristes », affirmait, se fondant sur une source proche du dossier, que la CNCIS avait exigé l’arrêt de la surveillance des frères Kouachi, une première fois en 2013, puis à nouveau en juin 2014. Le Figaro écrivait que la Direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI, avait « bien pensé à mettre sur écoute les frères Kouachi et ce, dès novembre 2011 », mais que « Chérif Kouachi a été débranché fin 2013 et Saïd en juin 2014, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité […] n’ayant pas renouvelé les autorisations, selon Beauvau ».