Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 3 juin 2015 à 14h30
Renseignement et nomination du président de lacommission nationale de contrôle des techniques de renseignement — Article 1er

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, vous me permettrez d’introduire la présentation de l’avis du Gouvernement sur les amendements restants par un propos liminaire, puisque, comme l’a dit Philippe Bas, nous entamons une séquence de nature et de contenu différents, avec des amendements sur le renseignement pénitentiaire.

Je voudrais tout d’abord rappeler que la responsabilité du ministère de la justice est d’une autre nature que celle des ministres de l’intérieur et de la défense, qui ont directement sous leur autorité les services chargés d’effectuer ces missions de surveillance. Le ministère de la justice en tant que tel est chargé, selon la Constitution, d’apporter à l’ensemble de la société, donc à chaque citoyen, les garanties de contrôle juridictionnel et judiciaire sur ces activités. Nous approfondirons ce point, notamment à l’article 4 du texte, qui concerne le contrôle juridictionnel.

En l’espèce, nous traitons des questions relatives aux missions du renseignement pénitentiaire.

À ce sujet, je me dois de faire pièce à une idée complètement fausse, mais qui circule avec une grande facilité, selon laquelle la population carcérale échapperait à la surveillance. Mesdames, messieurs les sénateurs, s’il y a une population qui est sous surveillance, c’est bien celle-là, car elle est captive et placée sous l’autorité de l’administration pénitentiaire ! Elle fait l’objet de décisions qui relèvent du ministère de la justice : le classement sur des listes de détenus particulièrement surveillés ; la décision d’isolement ou de placement en quartier disciplinaire ; la décision de transfèrement. Vous le voyez, il s’agit d’une population sous l’autorité, j’allais presque dire sous la main du ministère de la justice, par l’entremise de l’administration pénitentiaire.

Je vous l’assure, il ne s’agit pas ici d’envisager que cette catégorie échappe à la surveillance du renseignement. D’ailleurs, elle est déjà susceptible d’être surveillée, puisque les signalements qui sont faits par le renseignement pénitentiaire peuvent notamment conduire les services de renseignement à demander à l’actuelle CNCIS, dans le futur à la CNCTR, l’autorisation d’effectuer des écoutes sur téléphones fixes, les seuls normalement autorisés dans les établissements pénitentiaires.

Si les téléphones portables ne sont pas en principe admis, il est arrivé cependant que les services de renseignement aient besoin d’écouter des conversations sur téléphone portable et qu’ils saisissent à cet effet la CNCIS, toujours à la suite d’un signalement du renseignement pénitentiaire.

En quelques mots, je vous rappelle que l’ancêtre du renseignement pénitentiaire a été créé en 1981. Il s’agissait alors d’un bureau de liaison police-administration pénitentiaire, qui était situé à la préfecture de police.

En 1998, ce bureau de liaison est devenu un service, lequel a été transféré à la direction de l’administration pénitentiaire.

En 2003 a été créé un état-major de sécurité, pourvu de trois bureaux : un chargé de la gestion de la détention, un autre de la sécurité, et le troisième du renseignement pénitentiaire. Ce dernier a des missions qui sont définies, d’une part, par un arrêté de 2008, et, d’autre part, par la loi pénitentiaire de 2009. Si vous le souhaitez, je vous donnerai lecture du contenu à la fois de l’arrêté et de l’article de la loi de 2009.

Dans quel état se trouve le renseignement pénitentiaire aujourd’hui et pour quelles raisons n’est-il pas souhaitable que l’administration pénitentiaire, au travers du service de renseignement, se retrouver opérateur de techniques de surveillance à l’intérieur des établissements pénitentiaires ?

Tout d’abord, je le répète, les établissements pénitentiaires n’échappent pas à la surveillance. La prison étant une institution républicaine se trouvant sur le territoire national, les services de renseignement peuvent, bien entendu, y intervenir.

Le débat qui a eu lieu à l’Assemblée nationale, faisant surgir un désaccord, portait sur le point de savoir s’il revenait à l’administration pénitentiaire d’opérer directement sur les nouvelles techniques de surveillance ou si celle-ci, via son service de renseignement, devait effectuer les signalements, comme elle le fait déjà, afin que les services de renseignement relevant du ministère de l’intérieur puissent opérer dans les établissements pénitentiaires. C’est ce que nous avons cherché à formaliser et à institutionnaliser dans un alinéa que la commission des lois a amélioré. Celui-ci est l’objet des amendements qui sont présentement en discussion commune.

Lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités en 2012, ce service du renseignement pénitentiaire était composé de 72 agents ; nous avons plus que doublé ses effectifs, puisque, en 2015, il compte 159 agents, principalement des officiers, donc des agents qualifiés. Nous allons encore en augmenter le nombre, à 185 en 2016.

Nous avons également amélioré les relations entre le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice, le renseignement pénitentiaire ayant pour mission d’effectuer des signalements aux services de renseignement. Auparavant, ceux-ci étaient faits de façon un peu informelle, et le travail que nous avons effectué pendant toute l’année 2014 avec le ministère de l’intérieur a débouché sur le placement au sein de l’UCLAT, l’unité de coordination et de lutte antiterroriste, qui relève de l’intérieur, d’un directeur des services pénitentiaires.

Nous participons aux réunions hebdomadaires tenues par l’UCLAT et le ministre de l’intérieur et moi-même avons diffusé trois circulaires interministérielles pour mieux coordonner le travail fait par nos services respectifs.

Par ailleurs, j’ai signé deux protocoles pour le compte de l’administration pénitentiaire, respectivement avec l’UCLAT et la DGSI, et nous sommes en train de finaliser un protocole avec le service central du renseignement territorial, le SCRT.

Enfin, nous avons diversifié les missions et les compétences du renseignement pénitentiaire en y affectant des analystes-veilleurs, des informaticiens spécialisés, des traducteurs-interprètes. Nous avons également décidé de recruter des équipes légères de sécurité, qui vont notamment effectuer les fouilles sectorielles en renfort des ERIS, c’est-à-dire des équipes régionales d’intervention et de sécurité.

Voilà donc l’état du service de renseignement pénitentiaire, régi par un arrêté de 2008 et un article de la loi pénitentiaire. Vous le constatez, nous ne le négligeons pas, puisqu’il a été renforcé, restructuré sur l’ensemble du territoire. Ses compétences ont, en outre, été diversifiées.

La question, qui a surgi du débat à l’Assemblée nationale est la suivante : en cas d’utilisation de ces nouvelles techniques, et non pas des anciennes, qui ont déjà cours dans les établissements pénitentiaires, est-ce que ce sont les agents pénitentiaires ou bien les services de renseignement qui doivent être missionnés ?

Je vais expliciter ma position, déjà défendue devant la commission des lois, que je tiens à remercier de son écoute et du temps qu’elle a consacré à ce sujet, puisque je crois que nous y avons passé pratiquement une heure. Je me félicite également des conséquences qu’elle a tirées de ces échanges dans la nouvelle rédaction de cet alinéa.

À mon sens, le renseignement est un métier ; les nouvelles techniques en cause doivent donc être mises en œuvre par des spécialistes.

Je n’évacuerai pas la question des principes, même si j’entends, de-ci de-là que les principes importent peu et que seule compte l’efficacité. En effet, il existe des raisons de principe et des raisons d’efficacité.

Les raisons de principe, je les ai indiquées au début de mon propos : le ministère de la justice doit garantir à la société et aux citoyens qu’il exerce un contrôle juridictionnel et un contrôle judiciaire sur les activités de surveillance. Puisque ce texte a précisément pour objet de fixer un cadre juridique à cette activité de police administrative, gardons-nous de toute confusion des genres et ne faisons pas du ministre de la justice le commanditaire d’opérations directes de surveillance.

Les questions de principe ne me paraissent pas négligeables et je pense que votre assemblée est tout à fait en mesure d’entendre ces arguments.

Se pose ensuite la question de l’efficacité des mesures de surveillance. Cette activité suppose un minimum de méthode, un minimum de moyens, un minimum de conditions. La surveillance ne peut pas être menée isolément, elle doit se faire en lien avec l’environnement de la personne surveillée, ses diverses activités.

Les détenus ne sont pas complètement isolés de l’extérieur : ils reçoivent des visites, ils passent des appels téléphoniques, ils envoient de la correspondance, ils en reçoivent et ils bénéficient éventuellement de permissions de sortie.

La surveillance d’un détenu à l’intérieur d’un établissement suppose potentiellement une implication de l’ensemble du personnel pénitentiaire – je parle à dessein du personnel pénitentiaire, parce que je veillerai à ce que les officiers du renseignement pénitentiaire ne soient ni identifiés ni identifiables.

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