Intervention de Philippe Bonnecarrere

Réunion du 3 juin 2015 à 21h45
Renseignement et nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement — Article 2

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je m’exprimerai dans un registre tout à fait différent de celui qui vient d’être employé, de façon d’ailleurs tout à fait honorable, par mon collègue pour dire que je voterai ce texte sans aucune réserve. J’estime qu’il apporte une amélioration par rapport à l’actuelle zone grise dans laquelle nous nous trouvons, qu’il est nécessaire dans un contexte de guerre longue contre le terrorisme et qu’il est aussi, à mon sens, correctement équilibré en termes de libertés publiques.

Je souhaiterais toutefois mieux comprendre, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, comment s’articulent dans la rédaction actuelle du texte, d’une part, les investigations multiples et diverses qui seront confiées à nos services de renseignement et, d’autre part, la nécessaire répression judiciaire – d’où ma prise de parole sur le présent article. Ma question porte ainsi sur les moyens d’utiliser la matière recueillie et s’inscrit dans le prolongement des propos que M. Hyest a tenus dans la discussion générale à propos de la différence entre police administrative et police judiciaire.

En effet, hors cas de flagrant délit, auquel nos services de renseignement auraient tort de recourir excessivement considérant le risque qu’ils nous feraient prendre, je ne connais que l’enquête préliminaire telle qu’elle est définie, depuis la codification de 1958, aux articles 75 à 78 du code de procédure pénale. Toutes les mesures qui interviendront dans le cadre de l’article 2 auront lieu, à mon sens, avant l’action judiciaire et, sauf erreur de ma part, ne ressortiront pas aux articles précités ; par exemple, le parquet ne sera pas informé des actions menées au-delà du délai de six mois prévu aux articles 75–1 et 75–2 du code précité. N’étant pas prises sous l’autorité du parquet, elles ne constitueront donc pas des enquêtes préliminaires dites « d’office », par opposition à celles qui interviennent sur réquisition du parquet, et ne seront donc tout simplement pas des procédures pénales utilisables.

Bref, sauf, encore une fois, incompréhension de ma part et nonobstant l’intérêt évident du texte – il donne à nos services de renseignement la possibilité d’anticiper et ainsi d’éviter les actes terroristes –, je ne vois pas, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, comment la justice pourra s’emparer de la matière recueillie. D’où mon sentiment de faire face à une occasion manquée. Il existe en effet de nombreux délits que les renseignements recueillis pourraient permettre d’établir, notamment l’association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme, le financement d’une entreprise terroriste, la provocation directe d’actes terroristes et leur apologie – prévues à l’article 421–2–5 du code pénal, que nous avons créé en novembre 2014.

Concrètement, je ne vois pas comment un juge d’instruction pourra objectiver l’une de ces infractions – dont une partie, j’y insiste, a été le fruit de notre travail de novembre 2014 –, sur le fondement de renseignements recueillis en dehors d’une enquête préliminaire prévue aux articles 75 à 78 du code de procédure pénale.

Mon propos, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, consiste simplement à indiquer que, bien que je partage, je le répète, la philosophie du présent texte, il existe une faille technique dans le dispositif que vous nous proposez. En effet, le lien entre la police administrative, que constitue le travail de renseignement, et les procédures judiciaires normales de répression des juridictions pénales ne m’apparaît pas clairement.

Par conséquent, sauf incompréhension de ma part, il me semble que le travail reste à compléter afin de pouvoir conférer au renseignement un caractère plus opérationnel non seulement pour prévenir les actes terroristes mais également pour les réprimer.

Je vous remercie des précisions que vous voudrez bien m’apporter.

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