Intervention de Jean-Yves Leconte

Réunion du 3 juin 2015 à 21h45
Renseignement et nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement — Article 2

Photo de Jean-Yves LeconteJean-Yves Leconte :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, mon propos vous paraîtra peut-être paradoxal, mais il est important que nous fassions part de l’état de nos réflexions et que nous partagions nos doutes pour essayer d’avancer.

Premièrement, comme cela a déjà été indiqué par plusieurs intervenants, les métadonnées ne sont pas nécessairement seulement des données personnelles. Il est quasi impossible d’en assurer une anonymisation totale, et les données de connexion sont parfois encore plus « personnelles » que les données personnelles.

Comme cela a aussi été évoqué, l’expérience américaine montre que l’efficacité de ce type de méthodes est, finalement, très limitée. Lors de plusieurs auditions devant le Sénat américain, il a été indiqué que les résultats, en termes de gain de sécurité face à la menace et compte tenu de l’atteinte aux libertés et à l’intimité individuelle, n’en valaient pas la chandelle. C’est le bilan que l’on en tire aujourd'hui.

Deuxièmement, nous avons évoqué une loi de 1991 : à ce moment, c’est la technique des interceptions téléphoniques qui posait question. Nous essayons toujours de légiférer compte tenu de l’état de la technique du moment. Mais nous savons à quelle vitesse les techniques évoluent… À cet égard, je suis convaincu que ce qui peut aujourd'hui apparaître aux services de renseignement comme le nec plus ultra pour obtenir des informations à des fins de sécurité sera dépassé dans les deux ans.

Par conséquent, il faut tâcher de voir plus loin que le bout de son nez, afin de n’avoir pas à légiférer de nouveau. Légaliser des techniques qui n’étaient pas légales ne résout rien, car la technique ne cesse d’avancer ! De ce point de vue, et cela va peut-être vous paraître paradoxal par rapport à ce que je viens de dire, je doute très fortement de notre capacité actuelle à sceller dans la loi, même si nous y mettons la meilleure volonté et même au prix d’abandons en termes de liberté et d’intimité individuelles, des techniques qui seront encore efficaces dans deux ans. En effet, dans deux ans, la technique aura évolué et la loi ne sera plus adéquate !

Troisièmement, j’invite ceux qui, tout à l'heure, évoquaient les Bisounours, à tenir compte des prises de position de sociétés comme OVH. Cette belle réussite française, l’une des plus grandes sociétés d’hébergement de notre pays, a témoigné de ce qu’allait lui coûter ce texte en termes d’attractivité pour ses clients français ou étrangers.

On aurait tort d’oublier que, si nous perdons la maîtrise technique, à très court terme, c’est notre capacité à participer à la sécurité de la population que nous perdrons. De ce point de vue, il faut veiller à un certain équilibre et ne pas ignorer les sociétés qui participent à l’évolution d’internet. La citoyenneté, au XXIe siècle, sera forcément numérique. On ne peut pas construire la sécurité en présentant le numérique et les sociétés de l’internet comme des ennemis !

Enfin, il est vrai qu’on ne peut, d’un côté, accepter de donner toutes nos données à Facebook, à Apple, à Google et à d’autres et, de l’autre, refuser de les transmettre à l’État, qui a vocation à participer à la sécurité. Pardonnez-moi si, là aussi, je peux paraître paradoxal ! Mais le rôle de l’État, dans la société du numérique, est aussi de garantir aux citoyens que les données personnelles, les données de connexion ne seront pas captées par des opérateurs privés. L’État ne doit donc pas s’adonner aux pratiques qu’il cherche à éviter. Au contraire, il doit participer à une régulation de l’internet. C’est ainsi que nous pourrons réconcilier les citoyens et les actions qui doivent être entreprises, notamment sur internet, pour assurer la sécurité.

En conclusion, j’ai de grands doutes sur l’efficacité du dispositif qui nous est proposé dans cet article. Nous n’avons pas grand-chose à y gagner !

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