Intervention de Claude Malhuret

Réunion du 3 juin 2015 à 21h45
Renseignement et nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement — Article 2

Photo de Claude MalhuretClaude Malhuret :

Cela me permet justement d’en venir à la troisième question que je posais tout à l’heure : ces traitements entraîneront-ils une amélioration ou une dégradation de l’efficacité des services de renseignement ? M. le ministre de l’intérieur nous dit que oui ; pour ma part, je dis que non. Qui faut-il donc croire ? Aucun de nous deux, car un tel système n’a jamais été mis en œuvre en France.

Ce système n’a été utilisé que dans un seul État démocratique, les États-Unis. Ce pays, où les boîtes noires existent depuis quinze ans, dispose d’un recul suffisant sur cette question. Or, vous le savez, le Sénat et la chambre des représentants américains ont rendu leur verdict hier. Ils ont aboli le PATRIOT Act et l’ont remplacé par le Freedom Act, lequel interdit désormais la pause de boîtes noires par la NSA. Comme vous n’êtes pas obligés de me croire, je vais citer Le Monde de cet après-midi : « Le Freedom Act met fin à cette collecte massive, automatique et indiscriminée. […] Les autorités conserveront la possibilité de se faire fournir des métadonnées en temps réel, mais selon des critères spécifiques liés au terrorisme, visant des individus, des comptes ou des terminaux uniques. »

Le mot fondamental ici est le mot « uniques ». Plus le droit de connecter les métadonnées à partir d’algorithmes ciblant tous les internautes, mais une demande au coup par coup. C’est la réponse aux propos que tenait tout à l’heure Gaëtan Gorce. Je suis d’accord avec sa formulation, pour que l’on procède de même en France, en ciblant les demandes de métadonnées.

Monsieur le ministre de la défense, vous nous dites qu’il n’y aura pas de « boîtes noires ». Or c’est le Gouvernement lui-même qui a introduit ce vocable il y a deux mois au cours du débat à l’Assemblée nationale. Vous ne pouvez donc pas nous dire aujourd'hui qu’elles n’existent plus.

Si les congressistes américains ont décidé, à une majorité écrasante, la fin des boîtes noires et de la surveillance généralisée, c’est parce qu’ils sont désormais convaincus, outre l’atteinte majeure aux libertés, preuves à l’appui, que la surveillance généralisée n’a entraîné aucune amélioration de la lutte contre le terrorisme.

Les scandales de toutes natures liés aux abus considérables de la NSA ont décrédibilisé cette agence aux États-Unis et ont provoqué une crise profonde entre les États-Unis et leurs principaux alliés. Surtout, il est frappant de constater, à la lecture des comptes rendus des commissions du Congrès, que ce qui a le plus fortement déterminé leur vote, ce sont les auditions des responsables du renseignement, lesquels ont été dans l’impossibilité de leur démontrer la moindre efficacité de l’énorme dispositif mis en place depuis dix ans.

Pis encore, parmi les documents révélés par Edward Snowden figure une pléthore de notes internes à la NSA dans lesquelles les agents se plaignent de la difficulté sans cesse croissante de trier dans une masse de données devenue ininterprétable et asphyxiant les services chargés de leur analyse. C’est bien la raison pour laquelle la NSA n’a absolument pas mis son poids dans la balance pour s’opposer au Freedom Act.

Voici la réponse à ma troisième question, messieurs les ministres : les traitements de masse des données ont entraîné une dégradation et non une amélioration de l’efficacité des services de renseignement aux États-Unis. Il en sera de même en France. C’est la raison pour laquelle ceux qui s’opposent à de tels traitements sont, à mes yeux, sans doute ceux qui s’opposent le plus efficacement au terrorisme international et à ses répercussions en France.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion