L'apprentissage à quatorze ou quinze ans, qui a d'ailleurs failli être fixé à treize ans et neuf mois et à quatorze ans et neuf mois après l'avis favorable du Gouvernement donné par M. de Robien, est une erreur économique.
Je vous conseille de consulter les patrons, si vous n'avez pas confiance dans les syndicats ouvriers, et de leur demander ce qu'ils pensent d'une telle disposition. Comptent-ils recruter de tels apprentis ? Ont-ils à leur disposition les milliers de maîtres d'apprentissage suffisamment formés pour accueillir les milliers de jeunes que vous voulez leur adresser ? On peut en douter à la lumière des avis donnés par les directeurs des ressources humaines des grandes entreprises.
Il n'est pas vrai que les patrons veulent de tels apprentis, ni qu'ils savent les former. En effet, enseigner est un métier et nous ne pouvons pas qualifier toutes les activités de « métiers » à l'exception de celle d'enseignant ! Les propos qui viennent d'être tenus sur l'apprentissage ne tiennent pas compte de cette réalité.
Nous ne sommes pas hostiles à l'apprentissage, loin s'en faut, nous souhaitons seulement qu'il ne soit pas mythifié, et qu'on ne lui confie pas des missions qui feraient échouer notre système de formation.
Comparons avec les systèmes des autres pays. L'Allemagne était le grand pays de l'apprentissage, ce qui lui permettait, d'ailleurs, de dégonfler les statistiques de chômage des jeunes. Cela résultait du fait que les ouvriers accomplissaient tout leur parcours professionnel dans la même usine, gravissant successivement tous les échelons ; cela existait également en France.
Or ce monde-là est fini ou presque. Les statistiques internationales font apparaître au contraire, notamment en Allemagne, que, si la première insertion dans l'entreprise est réussie, la deuxième, lorsque la machine - dont la durée du cycle est passée de dix à quatre ans - change, se révèle être une catastrophe.
En revanche, notre système, à nous Français, fonctionne plutôt bien ; il permet l'élévation technique et sociale des travailleurs, même si des progrès doivent encore être faits. Pour une fois, nous pouvons revendiquer de bien faire quelque chose ! C'est ce que nous appelons la « professionnalisation durable » des ouvriers français, grâce à laquelle les tourneurs -fraiseurs, par exemple, n'ont pas connu une crise de conversion, et sont passés sur les machines à commande numérique mieux que les ouvriers de tous les autres pays d'Europe.
Il s'agit de réalités qui sont à l'honneur d'un système, dont, après tout, nous sommes tous comptables, pour l'avoir tous fait vivre. Ne dénigrons pas systématiquement nos réussites !
Monsieur le ministre, vous devriez plutôt soutenir la filière de l'enseignement professionnel sous statut scolaire. S'agissant notamment de la question des classes de quatrième et de troisième, qui suscite un débat, autrefois, souvenez-vous de cela, certaines de ces classes étaient dites « technologiques ». C'était une interface utile. Comment recréer une voie qui offre une véritable transition intellectuelle et pédagogique aux jeunes et qui ne soit pas un simple gadget ? Il faut instaurer un véritable parcours qui conduise les jeunes, de façon fluide, depuis leur entrée au lycée jusqu'aux diplômes professionnels du supérieur. Pourtant, ce n'est pas ce qui se passe.
Voilà cinq ans, le nombre d'inscrits dans les filières professionnelles baissait continuellement. Depuis lors, des initiatives heureuses ont inversé le mouvement. Ainsi, depuis 2002 plus précisément, le nombre d'inscrits augmente chaque année. Or les moyens diminuent.
Nous ne formerons ni les ouvriers d'élite, ni les contremaîtres, ni les techniciens dont notre pays a besoin, si, dans la difficile compétition internationale qu'il affronte, il veut disposer du seul avantage comparatif qui tienne, à savoir le haut niveau de formation de la main-d'oeuvre.
Le projet de loi qui nous est soumis ne répond pas à cet objectif. C'est la raison pour laquelle nous voterons contre l'article 2.