Intervention de André Gattolin

Réunion du 4 juin 2015 à 10h45
Accord france–états-unis relatif à la lutte contre la criminalité grave et le terrorisme — Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous débattons ce matin de ce projet de loi dans un contexte particulier : l’étude de cette convention intervient en effet alors que le Sénat examine actuellement le projet de loi relatif au renseignement.

Or ces deux textes soulèvent une seule et même question, celle de l’arbitrage entre la protection des libertés individuelles et la nécessaire lutte contre le terrorisme. La recherche d’un équilibre entre ces deux dimensions n’est évidemment pas nouvelle. Elle remonte à l’origine de la philosophie politique et fut au cœur de la réflexion du penseur anglais Thomas Hobbes.

Ainsi, sécurité et liberté entretiennent une relation complexe. La première constitue à la fois la condition de la jouissance de la seconde, et la source de sa restriction.

Aujourd’hui, nos sociétés suivent des trajectoires dictées par le terrorisme international, qu’elles tentent, coûte que coûte, de combattre. Cette trajectoire est celle du « tout sécuritaire ».

Au fil des années, nous avons donc entériné une surenchère législative, légitimant un accroissement des pouvoirs de police et une surveillance accrue, voire quasi généralisée, de la population. Avons-nous seulement pris le temps de dresser le bilan de ce qui a fonctionné ou non ? Il ne faudrait pas que l’impératif de rapidité d’action phagocyte entièrement la raison et la réflexion.

Pour revenir à notre texte, cet accord vise à entériner la coopération judiciaire pénale entre les États-Unis et la France, en matière de criminalité grave et de terrorisme. Les données échangées sont les empreintes génétiques et dactyloscopiques de nos concitoyens.

Ces derniers mois, au sein de cet hémicycle ou encore en commission des affaires européennes, j’ai eu l’occasion de défendre longuement la nécessité de combattre efficacement le terrorisme, et d’y consacrer les moyens adéquats. Loin de moi, donc, l’idée de remettre en cause une telle lutte !

J’estime cependant que cette lutte ne saurait se faire au détriment des libertés des citoyens. Et cet impératif vaut également, et surtout, pour les accords conclus avec d’autres États. Or c’est bien au regard de la transmission et de la protection de données à caractère personnel que le texte en débat paraît problématique.

À ce titre, il est fort regrettable que le Gouvernement n’ait pas associé la CNIL à la conclusion de cet accord, alors qu’il en avait la possibilité. Un travail en commun aurait très certainement représenté une garantie de contrôle du respect des libertés.

L’article 10 de cet accord établit, certes, des garanties en matière de protection et de traitement des données à caractère personnel. Il prévoit ainsi la nécessité d’un contrôle par une autorité indépendante et le droit à un recours approprié.

Pourtant, lorsqu’on examine de près la législation américaine, on réalise qu’elle est, pour l’heure, loin d’être conforme à ces exigences.

De plus, le cadre de protection fixé par ce texte n’est pas satisfaisant.

Tout d’abord, les États-Unis ne disposent pas d’autorité indépendante équivalente à la CNIL. L’accord prévoit seulement la garantie – hélas bien maigre ! – que la désignation de cette autorité devra figurer dans des « arrangements administratifs ultérieurs ».

Laisser un point aussi essentiel à des arrangements ultérieurs fait planer une incertitude dérangeante quant à la nature, au fonctionnement et aux prérogatives de cette autorité dont on ne connaît pas encore les contours. De plus, cela nous empêche, nous parlementaires, de nous exprimer en temps utile sur un élément qui intéresse pourtant au premier chef les garanties entourant la protection des données personnelles transmises.

Ensuite, le droit américain pèche au regard du droit au recours pour violation du droit à la protection des données à caractère personnel. Là encore, il ne répond pas aux garanties affichées par l’article 10 précédemment cité. Alors que ce droit doit être assuré quels que soient la nationalité et le pays de résidence du requérant, la législation américaine le réserve aux seuls citoyens américains et aux résidents des États-Unis.

Malgré des annonces en ce sens de la part du président Barack Obama, aucun acte législatif du Congrès n’a pour le moment été voté. Comment être certain qu’un tel vote interviendra prochainement, au vu des fluctuations des décisions du Congrès, et du Sénat en particulier, au cours des dernières semaines ?

Cette question est d’autant plus sérieuse que les négociations entre les États-Unis et la Commission européenne au sujet d’un « accord parapluie » relatif à la protection des données à caractère personnel échangées dans le cadre de la coopération policière et judiciaire achoppent sur la question de l’octroi d’un recours juridictionnel aux citoyens européens.

Pourtant, rappelons-le, le droit à un recours juridictionnel effectif est garanti par nos textes les plus fondamentaux.

Ainsi, le Conseil constitutionnel le déduit de l’article XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, il découle de la combinaison des articles 6 et 13 de la Convention. Montesquieu lui-même n’hésitait pas, dans ses écrits, à lier procédure et liberté.

Ces deux insuffisances majeures en termes de garanties font écho à deux des points qui occupent nos débats sur le projet de loi relatif au renseignement : les prérogatives de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et le droit de recours devant le Conseil d’État.

Dans ces conditions, approuver un tel accord serait contraire à toutes les valeurs que nous défendons.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe écologiste votera contre cet accord.

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