Puisque nous souscrivons, mes chers collègues, à l’analyse exhaustive de l’accord qu’a effectuée dans son excellent rapport Joëlle Garriaud-Maylam, et puisque ce texte constitue à n’en pas douter un outil supplémentaire pour faire pièce à la guerre insidieuse que le terrorisme et le crime organisé livrent à notre pays avec constance et virulence, la seule question politique qui se pose alors, et qui a été posée par les orateurs qui m’ont précédé à la tribune, est de savoir si cet accord présente des garanties satisfaisantes du point de vue des libertés publiques.
Si l’on adopte cet angle d’analyse – je le dis sans ambages –, il apparaît clairement que les craintes à ce sujet, si tant est qu’elles existent réellement, sont dénuées de fondement, même si des lacunes ou des imprécisions demeurent dans ce texte. Qu’on en juge !
Il s’agit d’abord de compléter l’arsenal de coopération et d’entraide judiciaire déjà existant, autorisant l’échange de données génétiques, d’empreintes digitales et palmaires et de données à caractère personnel. La connexion et le rapprochement de tels éléments permettront d’identifier des concordances ou des non-concordances de traces ADN et dactyloscopiques, ou d’autres données. Cela se fera dans des conditions encadrées.
Premièrement, la concordance constatée ne débouchera pas sur l’identification de la personne. Ce n’est que si des résultats du tri automatique intéressent les services concernés qu’une recherche de vérification, d’approfondissement ou de précision sera menée. Le harpon, pas le chalut...
Deuxièmement, si une urgence survient, une transmission « spontanée » peut être effectuée. Mais cela ne peut être fait qu’au cas par cas. Il s’agit d’être réactif, efficace et opérationnel ! Le temps est, dans ces circonstances, un facteur capital. Comme l’a souligné Nathalie Goulet, l’UCLAT sera la plateforme de contact national, assurant par là même une homogénéité de fléchage.
Troisièmement, la transmission de données personnelles sera réalisée conformément à la législation nationale, et la protection de ces données sera assurée par l’autre État. Sauf exception, un État tiers ne recevra pas de données personnelles.
Quatrièmement, il est exclu qu’une information française puisse constituer une aide à un jugement conduisant à la peine de mort aux États-Unis, et ce pour des raisons évidentes. À cet égard, il me plaît de rendre hommage à notre ami Robert Badinter.
Cinquièmement, les États s’engagent à assurer la confidentialité, la sécurité et la protection des données personnelles, et pourront, le cas échéant, rectifier, compléter, voire gommer les données dont l’intangibilité est bornée dans le temps.
Sixièmement, la transmission des données sera limitée à l’objet même de l’enquête, et son périmètre d’investigation sera proportionné, ne serait-ce que pour des raisons d’efficacité et de coût.
Septièmement, l’accord prévoit un mécanisme de contrôle exercé par une autorité de contrôle. Ce point est important, même si les organismes ne sont pas réellement nommés. Aussi, il conviendra de préciser ce volet ultérieurement.
Huitièmement, un registre des données sera tenu ; il permettra la traçabilité des échanges.
Quant aux personnes concernées, elles auront droit à la transparence et seront informées de l’action qui pourrait être menée à leur insu et, plus précisément, du contenu et de la raison du contrôle subi, du nom de l’auteur et du destinataire si tel est le cas. La seule exception – c’est parfaitement compréhensible ! – est liée au caractère grave d’une circonstance urgente.
Ces personnes pourront aussi, s’il advenait que de graves manquements soient mis au jour, engager un recours. C’est en tout cas possible en France, les États-Unis n’ayant, pour le moment, réservé cette possibilité qu’à leurs ressortissants et résidents dans le cadre du Privacy Act de 1974, comme cela a été indiqué par Mme la rapporteur. Il serait judicieux que nos amis américains comblent cette lacune législative.
Enfin – last but not least –, en cas de très graves dysfonctionnements, les États pourront toujours suspendre leur accord.
On le constate, l’accord est pragmatique, réaliste et concret. Même s’il est légitime de s’interroger, les garanties sont sérieuses, réelles et solides. Il n’y a donc pas lieu de suspecter un déficit démocratique réel. À l’inverse, chacun peut aisément comprendre combien l’échange et la possibilité du croisement de données peuvent faire surgir, ébaucher, dessiner des profils actifs ou dormants, dangereux ou menaçants, et aussi, à l’évidence, peuvent aider à débusquer le plus rapidement possible les sectateurs et les semeurs de haine, ainsi que les terroristes de tout acabit.
Échanger, confronter, partager nos informations est une bonne chose, au service de la sécurité et de la liberté. Cette recherche de l’équilibre est, au demeurant, l’apanage des démocraties. Nos amis américains viennent d’ailleurs de le démontrer avant-hier, en votant le USA Freedom Act, qui protège mieux la vie privée d’intrusions aveugles dignes de Big Brother.
Il faut donc se féliciter que le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord relatif au renforcement de la coopération en matière d’enquêtes judiciaires en vue de prévenir et de lutter contre la criminalité grave et le terrorisme soit aujourd'hui soumis à notre vote. Cette procédure de coopération sera d’une grande utilité pour mener à bien des enquêtes très sensibles et toujours très difficiles et délicates, et ce sans verser dans le « tout sécuritaire ».
Il revient à nos deux nations de se doter des moyens financiers, matériels et humains adéquats. L’efficacité de notre sécurité collective et de notre liberté commune en sera renforcée.
C’est par conséquent une approbation franche que les membres du groupe socialiste apporteront à ce texte.