L’ensemble des amendements présentés portent sur les techniques les plus intrusives prévues par ce projet de loi, à savoir les mesures de sonorisation, de captation d’images et de données informatiques, pouvant s’accompagner de l’introduction dans un lieu privé d’habitation ou d’un système de traitement de données d’informations. Ils sont tous motivés par des craintes concernant les effets que ces techniques peuvent avoir sur les libertés individuelles.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements, même s’il comprend parfaitement l’intention de leurs auteurs. Par conséquent, je me dois d’expliquer précisément les raisons à l’origine de cet avis.
Premièrement, le régime applicable aux mesures qui font l’objet de ces amendements est particulièrement encadré et beaucoup plus exigeant que celui qui prévaut pour les autres dispositions envisagées par le projet de loi. Ainsi, la mise en œuvre des techniques mentionnées aux chapitres III et IV visés à l’article 3 est strictement encadrée par une procédure qui permet un contrôle de la légalité et de la proportionnalité de la mesure. Une autorisation ne pourra être délivrée que si la finalité invoquée par le service à l’origine de la demande est parfaitement en adéquation avec les missions qui sont les siennes et s’il n’existe aucune autre alternative possible pour obtenir les renseignements.
Deuxièmement, l’autorisation est limitée à deux mois, contre quatre mois pour toutes les autres techniques.
Troisièmement, lorsqu’elle s’accompagne de l’introduction dans un lieu privé d’habitation ou un véhicule ou lorsqu’elle vise des professions protégées, elle nécessite un avis exprès de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement en formation collégiale sans que les procédures d’urgence soient applicables – j’y insiste – sauf dans certains cas très particuliers visant les professions protégées, l’autorisation étant alors limitée à un mois.
Quatrièmement, il ne vous a pas échappé, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement est soucieux d’apporter des garanties supplémentaires en la matière. Pour ce faire, l’amendement n° 76 vise à la saisine automatique du Conseil d’État si le Premier ministre veut passer outre l’avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement en cas de techniques s’accompagnant d’une intrusion dans un lieu privilégié d’habitation. Dans cette hypothèse, sauf en matière de terrorisme, l’autorisation est, bien entendu, suspendue dans l’attente de la décision de la haute juridiction.
À cet égard, j’ai entendu Philippe Bas craindre que la saisine de la CNCTR par le Premier ministre lui-même n’engendre une forme de schizophrénie. Je ne le crois pas, d’une part, parce que la CNCTR peut s’autosaisir et ainsi accéder à la totalité des éléments, ensuite parce que le fait que ce soit le Premier ministre qui la saisisse permettra simplement à l’autorité juridictionnelle, à savoir le Conseil d’État, d’examiner la totalité des sujets comme il pourrait le faire par lui-même. En réalité, cette façon de procéder est assez neutre.
Toujours est-il que cela n’a pas d’importance et je ne me battrai pas sur le sujet. Ce qui compte, c’est que le Conseil d’État soit saisi ; vous souhaitez qu’il le soit selon une procédure différente de celle qu’a retenue le Gouvernement, mais, à un moment donné, il faut bien faire un choix.
Par conséquent, s’agissant du sous-amendement n° 196 rectifié de la commission, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Ce qui importe, c’est que les garanties qui sont prévues soient confortées ; le reste peut faire l’objet d’un débat entre nous, mais ce n’est pas déterminant au regard de l’objectif que vise le Gouvernement à travers son amendement.
Le dispositif que nous proposons est de nature à apporter un certain nombre de garanties qui, selon nous, ne justifient pas les amendements visant à limiter les besoins opérationnels des services.
D’une part, c’est vainement que l’on invoquerait la restriction de l’usage de ces techniques au seul cadre judiciaire dès lors que le Conseil constitutionnel lui-même admet que les techniques de renseignement puissent être inspirées de celles qui sont mises en œuvre en police judiciaire – interceptions de sécurité, géolocalisation –, pourvu qu’elles le soient de manière adaptée et proportionnée, avec des garanties claires et encadrées. Or tel est bien le cas, comme je l’ai expliqué précédemment.
D’autre part, ces mesures ne sauraient être limitées à certaines seulement des finalités prévues par la loi, au risque de nuire à l’efficacité des services opérationnels et de ne pouvoir opérer une hiérarchisation entre les différents intérêts visés.
C’est la raison pour laquelle je ne suis pas favorable à l’amendement n° 61 de Mme Cukierman, qui ne me paraît pas conforme à l’état du droit.
J’émets également un avis défavorable sur l’amendement n° 104 de Mme Benbassa.
Il n’apparaît pas davantage opportun de limiter à un mois la durée de ces autorisations, déjà limitée par rapport au droit commun applicable aux autres techniques, à savoir quatre mois renouvelables pour une même durée.
Comme je vous l’ai dit, pour ces techniques, la durée est portée à deux mois renouvelables chaque fois pour une même durée, et à un mois lorsqu’elles impliquent l’intrusion dans un véhicule ou dans un domicile. Ces durées, particulièrement réduites, ne sauraient l’être davantage, sauf à décider de priver les services de toute efficacité. Auquel cas, c’est à la technique elle-même qu’il faudrait renoncer.
Par la suite, sauf à multiplier les demandes d’autorisation, qui, de surcroît, le plus souvent, n’auront pas encore été mises en œuvre ou n’auront pas encore produit leurs effets, il est souhaitable de s’en tenir aux durées actuellement prévues par le projet de loi.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur les amendements identiques n° 83 de M. Hyest et 160 rectifié de M. Sueur.
Pour une raison identique, il n’est pas souhaitable de contingenter les mesures de ce type, dont le nombre sera par définition restreint, compte tenu de la difficulté de les mettre en œuvre, puisqu’elles nécessitent une intervention humaine.
Je réponds là à la préoccupation que vous avez exprimée, monsieur Malhuret.
En tout état de cause, de telles techniques sont sans commune mesure avec les interceptions de sécurité, qui peuvent être opérées à distance, et leur nombre, je le dis très clairement devant le Sénat, sera nécessairement limité, pour des raisons consubstantielles à la nature de ces opérations, sans qu’il soit besoin de les contingenter.
La suppression de la possibilité de mettre en œuvre les techniques à l’encontre des professions protégées ne me paraît pas plus opportune.
S’agissant de la protection de certaines professions, le texte du Gouvernement a été très substantiellement enrichi à l’issue des débats devant l’Assemblée nationale et devant la commission des lois du Sénat. En ce domaine, je pense que nous sommes parvenus à un équilibre.
Je rappelle que l’article L. 821-5-2, dont le présent projet de loi prévoit l’insertion dans le code de la sécurité intérieure, prévoit, lorsque la demande de mise en œuvre d’une technique concerne un parlementaire, un magistrat, un avocat ou un journaliste, que la CNCTR se réunit dans sa formation plénière pour rendre son avis, qu’elle est informée des modalités d’exécution des autorisations qu’elle délivre et que les transcriptions des renseignements ainsi collectés lui sont transmises.
En outre, la procédure d’urgence n’est pas applicable à ces professions.
Ces dispositions garantissent la conciliation nécessaire entre, d’une part, le respect du secret attaché à certaines professions et, d’autre part, la défense et la promotion des intérêts publics, y compris dans les finalités du renseignement.
De ce point de vue, M. le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin a fait hier une intervention extrêmement limpide quant aux risques que comporterait la rupture de cet équilibre. Je partage tout à fait son point de vue.
Aller au-delà et interdire la mise en œuvre de ces techniques de renseignement dans les cabinets et locaux professionnels ne permettrait plus de garantir cette conciliation et apparaîtrait très disproportionné, car cela pourrait créer une sorte de sanctuaire particulièrement attractif, comme vous l’avez souligné hier, monsieur Raffarin, pour les personnes souhaitant porter atteinte aux intérêts de notre pays.
Enfin, M. Malhuret propose, par son amendement n° 66 rectifié bis, de soumettre au principe du privacy by design les captations de sons ou de données. C’est aujourd’hui techniquement impossible faute pour les dispositifs actuellement utilisés par les services de renseignement de pouvoir procéder à un tri de ces données pendant leur collecte. Cette opération ne peut s’effectuer que a posteriori.
C’est pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.