Avec le vote sur l’article 1er, nous terminons ce soir le débat sur les trois principaux articles de ce projet de loi.
Le débat a donné lieu, en tout cas en ce qui nous concerne vous et moi, monsieur le ministre de l’intérieur, à un dialogue de sourds. Nous ne sommes d'accord que sur un point : la nécessité de renforcer l’efficacité de la lutte contre les dangers qui nous menacent. Sur le reste, nous nous opposons.
Vous nous dites que les méthodes qui permettent d’intercepter les données de connexion de tous les Français ne sont pas des traitements de masse. Je prétends le contraire.
Vous nous dites que les métadonnées ne sont pas une intrusion dans la vie privée. Je vous réponds que ce sont des données ultrapersonnelles.
Vous nous dites que ce projet de loi est bien plus protecteur des libertés que le Freedom Act. Je vous dis qu’au moment où les Américains ferment leurs « boîtes noires », nous ouvrons les nôtres.
Vous donnez, par les logiciels espions et d’autres moyens, des possibilités d’intrusion dans les lieux privés. Ce faisant, notre collègue Jean-Yves Leconte vous l’a dit ce matin, vous donnez aux services de renseignement plus de moyens que n’en ont les juges antiterroristes eux-mêmes.
Vous nous dites que la future CNCTR apportera toutes les garanties pour le respect des libertés publiques lors des interceptions de sécurité. Je vous ai demandé comment une commission de sept membres pourrait examiner 200 000 demandes d’autorisation par an sans être une chambre d’enregistrement, et vous ne m’avez pas apporté de réponse précise.
Vous avez refusé à Mme Cukierman que cette commission puisse contrôler les logiciels d’interception, et vous m’avez refusé qu’elle soit en mesure de vérifier et d’agréer les matériels utilisés, alors que son nom est « Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement » !
Je passe sur tout le reste, monsieur le ministre. C’est la dernière fois que j’interviens dans ce débat. Je ne vous importunerai plus, puisqu’il semble que j’ai été importun.
Madame la garde des sceaux, si je m’adresse à M. le ministre de l’intérieur, ce n’est pas que je vous tienne pour quantité négligeable. D’une part, c’est avec lui que j’ai « discuté », si l’on peut dire, tout au long de ce débat. D’autre part, j’ai cru comprendre, mais je me trompe peut-être, que, depuis le début de l’examen du texte à l’Assemblée nationale jusqu’à maintenant, votre position était probablement beaucoup plus proche de la mienne que de celle du ministre de l’intérieur. Mais c’est à vous d’en décider.
Je ne voterai pas l’article 1er, monsieur le ministre. Je ne voterai pas votre projet de loi. Ne vous en faites pas : dans le contexte émotionnel de la période où vous le présentez, je ne doute pas que vous trouverez facilement une majorité.
Je vous ai dit, et cela ne vous a pas plu, que la mise en place de moyens sécuritaires disproportionnés et problématiques au regard de nos libertés publiques, chèrement acquises, était un cadeau fait aux terroristes, dont l’objectif est précisément, comme ce fut le cas aux États-Unis voilà quinze ans, de nous amener à rompre l’équilibre difficilement obtenu entre nécessité de notre sécurité et exigence de nos libertés.
Je vous souhaite vivement, monsieur le ministre de l’intérieur, que d’ici quelques années il ne se trouve pas un Snowden français pour nous révéler que cette loi a ouvert la porte à des écarts que vous n’aviez pas voulus. Je vous le souhaite, et je le souhaite à notre pays.
Vous nous dites que c’est impossible. Je dis, moi, que vous en ouvrez le risque. L’avenir dira qui de nous deux avait raison.